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«Les agriculteurs veulent être aidés et accompagnés pour sortir des pesticides»

NBT, transport animal, restauration de la nature, règlement pesticides, émissions industrielles, autant de directives et de textes législatifs qui occupent les travaux des eurodéputés. Ceux qui sont issus des rangs de la droite semblent avoir remporté quelques manches. Mais les écologistes sont en embuscade. À l’instar de la Wallonne Saskia Bricmont.

Temps de lecture : 5 min

Le parti populaire européen (PPE) a adopté le 6 décembre dernier son document de position présentant sa vision pour l’agriculture européenne.

Avec ce manifeste intitulé « Un pacte européen pour les agriculteurs – La vision du PPE pour l’agriculture en Europe », la droite européenne envoie un message au monde agricole et rural avant les élections européennes de juin 2024. Le PPE veut se présenter comme le parti des agriculteurs et des communautés rurales européennes.

Saskia Bricmont, quand on entend les démocrates-chrétiens qui ont démantelé le règlement « pesticides » il y a quelques jours dire : « nous sommes avec vous et nous défendrons vos intérêts », cela signifie-t-il que les agriculteurs seraient opposés à la mise en œuvre des différentes stratégies du Pacte Vert ?

Non. J’ai eu de nombreux retours d’agriculteurs wallons qui sont engagés dans une démarche agroécologique. Ils me disent qu’il faut encourager la réglementation à évoluer dans la direction d’une diminution puis d’une suppression des produits dangereux, en ce compris le glyphosate, et l’on peut y arriver. Il faut que notre système alimentaire puisse se passer des produits chimiques. Ces agriculteurs-là comptent sur nous, les écologistes, pour se diriger vers ce modèle-là.

Qu’en est-il des autres agriculteurs ?

En Wallonie, les agriculteurs font déjà beaucoup d’efforts, preuve en est qu’ils ne sont en général pas opposés aux réglementations plus contraignantes. Mais ils nous disent aussi que les techniques ne sont pas au rendez-vous pour y arriver. Le législateur et la commission ont un rôle à jouer pour répandre les bonnes pratiques et aider les agriculteurs dans leur transition écologique avec un plan d’accompagnement. N’oublions pas que le modèle agro-industriel les a encouragés dans leur dépendance aux produits phytosanitaires. Il nous appartient désormais, à l’échelle européenne, de les aider à s’en passer en se basant sur l’évolution des techniques agronomiques. Il existe de multiples méthodes en agroécologie, c’est par exemple la réduction de la taille des parcelles pour éviter les pertes quand une production fonctionne moins bien qu’une autre, c’est encore la réintroduction de certains insectes qui permettent la restauration de l’écosystème.

Mais vous êtes d’accord pour dire que les financements font défaut…

À l’heure actuelle, nous n’avons pas de vision claire sur le sujet. Nous avons toujours plaidé pour un alignement de la Pac et de ses financements sur la stratégie « De la fourche à la fourchette » et du Pacte Vert en général. Or, la commission de l’Agriculture du parlement a rejeté la proposition de l’Exécutif et de la commission de l’Environnement qui prévoyaient l’utilisation des fonds de la Pac pour financer des mesures de réduction de l’utilisation des pesticides.

Ce qui illustre les dissensions entre les commissions de l’Environnement et de l’Agriculture…

Les eurodéputés qui siègent en commission de l’Environnement ont en tête l’urgence climatique et la dégradation de nos écosystèmes, le fait que 95 % des terres en Belgique et 80 % en Europe sont dégradées au niveau de la biodiversité, laquelle est essentielle à des systèmes alimentaires résilients. En commission de l’Agriculture, je dirais que c’est un peu comme en commerce international, ce sont pour la plupart des défenseurs d’une agriculture traditionnelle largement dépendante des subsides de la Pac actuelle. Nombre d’entre eux sont sensibles aux sirènes des représentants de l’agro-industrie et de l’industrie chimique. Les écologistes qui sont membres de cette commission portent la vision d’un autre système agricole dans les discussions. Mais la majorité des députés reste en faveur d’un modèle agro-industriel qui n’est pas nécessairement représentatif de ce qui se passe en Wallonie, laquelle fait un peu figure d’exception dans le paysage agricole européen. Bref, il existe un grand écart entre la reconnaissance théorique d’une urgence et le comportement et les votes au sein de cette assemblée.

Sera-t-il possible de sortir par le haut de ce clivage qui gangrène le parlement européen ?

C’est extrêmement difficile avec une grande une partie du PPE qui évolue sous le joug de Manfred Weber, le chef d’un groupe ayant fait du Pacte Vert un repoussoir et des écologistes l’ennemi à abattre. Il s’oppose en cela à sa propre collègue démocrate-chrétienne et présidente de la commission, Ursula von der Leyen, dont c’est le bébé puisqu’elle en avait fait le programme de travail de l’Exécutif européen ! Pour moi, leur attitude constitue un très mauvais calcul, car l’écologie devrait être transpartisane. C’est loin d’être le cas aujourd’hui et il faut donc que nous puissions emmener un maximum de députés du PPE et du groupe libéral Renew vers des politiques climatiques et environnementales ambitieuses.

Les écologistes sont-ils donc devenus le gros caillou dans la chaussure des démocrates-chrétiens ?

C’est clair que nous les embêtons, car nous remettons en cause leur modèle économique, destructeur de la santé et de l’environnement, qui a dominé la politique agricole de l’Europe pendant des décennies. C’est à cause de lui que nous sommes aujourd’hui dans l’impasse. On doit changer de paradigme et ça, les partis traditionnels, en ce compris les socialistes, en sont incapables ! Notre objectif n’est pas de faire paniquer les gens même si la situation actuelle est tout de même anxiogène car on sait où l’on doit aller, des objectifs ont été fixés dans le cadre du Pacte Vert, mais il y a toujours des forces politiques, majoritairement à droite, qui refusent d’adopter les mesures et les règles nécessaires pour les atteindre.

Quid des eurodéputés belges ?

En Belgique, ce sont Les Engagés qui apportent leur poids politique au PPE, qui cible le Pacte Vert. Je souhaite donc bonne chance à Yvan Verougstraete qui a annoncé vouloir changer le logiciel européen car c’est ainsi qu’il a présenté sa candidature. Je salue son enthousiasme, mais je m’interroge sur la manière dont il compte s’y prendre au sein du PPE. Tant mieux si nous pouvons le compter comme un allié des Verts, mais je pense qu’il ne sait pas encore très bien où il va mettre les pieds…

Marie-France Vienne

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