Un robot dans mes champs, pourquoi et comment?
Dans le cadre de la Foire de Libramont, au niveau du pôle innovation, on s’intéressait bien évidemment aux robots. Au cours d’une table ronde animée par Sébastien Weykmans de WalDigifarm, quelques spécialistes du domaine ont apporté leur expertise quant au développement de ces nouveaux outils dans les exploitations.

La production végétale est aujourd’hui confrontée à des défis inédits : besoin d’améliorer la productivité et la rentabilité, réduire l’impact de l’activité agricole sur l’environnement, accroissement de la sécurité alimentaire, pénurie de main-d’œuvre… Dans ce contexte, la robotique agricole apparaît comme l’une des solutions à la disposition des agriculteurs mais quelle démarche doivent-ils mettre en œuvre pour s’équiper et quels freins peuvent-ils rencontrer ? L’objectif de l’échange était de comprendre l’impact de la révolution robotique sur les méthodes de production, et plus particulièrement ses apports. Il visait également à identifier les défis que les industriels doivent relever pour répondre efficacement aux besoins des agriculteurs, et à identifier les leviers à l’adoption et l’accueil réussis des robots dans les exploitations.
La table ronde proposée accueillait Quentin Limbourg, chercheur au Cra-w et spécialiste de la robotique agricole ; Gerald Tonglet Ceo d’Agronova ; et Thomas Hereen, vigneron consultant indépendant qui encadre la profession dans l’achat de robots spécialisés.
La France, à l’avance
La Wallonie compte aujourd’hui entre 6 et 10 robots travaillant de façon autonome en plein champ. C’est peu mais, pour avoir une idée de la marge de développement envisageable sur notre territoire, Sébastien Weykmans expose les chiffres français. En effet, le pays est légèrement en avance en la matière. En 2018, la France comptait une petite centaine de robots agricoles dédiés à la production végétale en activité. En 2023, on en référence au moins 600 utilisés principalement pour le travail du sol, le semis et le désherbage en viticulture et maraîchage. Certains sont aussi utilisés pour le binage et la collecte de données en grandes cultures ou encore la pulvérisation en arboriculture, maraîchage et viticulture. En 2018, 5 modèles étaient proposés à la vente en France contre environ 25 modèles différents en 2023.
Quel accompagnement ?
Mais quel est l’accompagnement dont a besoin un agriculteur, vigneron ou maraîcher qui décide d’adopter un robot agricole ?
Selon Gérald Tonglet, quelle que soit la spéculation, tout le monde a le même parcours d’acceptation de la robotique. La première étape passe par la prise de contact qui permet d’expliquer ce que permet la machine et sur quels points elle peut se révéler une aide précieuse. Vient ensuite la question du retour sur investissement : « Il y a 10 ans, on pouvait qualifier la robotique d’impayable. Mais, aujourd’hui, ça tient la route car les sociétés se sont industrialisées et sont plus nombreuses. On a réussi à diminuer le coût des robots et on peut envisager un retour sur investissement de 3-5-7 ans en fonction du domaine d’activité et des modèles. Le retour se fera à plus long terme en maraîchage alors qu’en grandes cultures bio ou diversifiées, on est sur 3 ans car on met la main-d’œuvre en compétition avec le robot. Pour la vigne, on table plutôt sur 5 ans ».
La dernière phase d’acceptation répond à la question « Suis-je prêt à intégrer un robot sur mon exploitation ? ». Au même titre que la transition entre le cheval et le tracteur a été compliquée il y a 50 ans, le passage du tracteur au robot l’est tout autant. « Lorsqu’on obtient l’acceptation sur la faisabilité et le retour sur investissement reste l’acceptation psychologique qui ne colle pas toujours avec la moyenne d’âge des agriculteurs wallons. Au moment de signer, le chef d’exploitation se retourne souvent vers le ou la jeune de la famille et c’est là que tout se décide. Si ce dernier est encore aux études, il attend encore quelques années car il ne se sent pas prêt à changer toute sa manière de procéder sans lui. C’est réellement la dernière barrière à lever pour avoir des robots de manière plus systématique en Wallonie. On a déjà quelques jeunes entrepreneurs avec une vraie vision, qui savent où ils vont et ou ils veulent mais tout est désormais une question de « change management » (gestion de l’aspect humain d’un changement). C’est également le cas dans d’autres secteurs mais la population étant plus vieillissante en agriculture, le frein est un peu plus important. Nous sommes à 5-10 ans du switch selon moi », détaille-t-il encore.
« L’aspect humain est la dernière barrière à lever pour l’acceptation plus générale des robots »
Une relation difficile au changement que note également Thomas Hereen : « Les cultivateurs doivent intégrer une autre manière de travailler. Là où on raisonne en termes d’économie de passages de tracteur actuellement, le robot est en fonctionnement constant et/ou réalise des passages réguliers, ce n’est pas la même philosophie de travail. Ils doivent aussi comprendre les répercussions que peuvent avoir ces outils sur l’entreprise, au niveau de l’emploi par exemple ».
Et la fiabilité ? Les limites ?
Malgré l’évolution des dernières années, pouvons-nous y aller les yeux fermés ou y a-t-il encore des limites techniques à cette robotique ? Une question à laquelle Quentin Limbourg répond en se basant sur son expérience : « Nos travaux de recherches ont commencé en 2018 sur des prototypes avec, évidemment, des soucis de fiabilité et d’autonomie pour certains. Mais, nous sommes dans le domaine de la haute technologie et tout progresse très rapidement, à tel point, qu’aujourd’hui, ce sont de tous nouveaux concepts qui sont proposés. Néanmoins, je suis d’accord avec mon collègue quant à l’implication des nouvelles générations dans la gestion du matériel car la remontée d’informations et les mises à jour qui y sont liées sont énormes et cela demande un peu de dextérité ».
En termes de limites, ce sont les demi-tours et dévers qui semblent poser le plus de problèmes : « Plus le robot sera gros, plus il sera difficile à manier mais les plus petits se débrouillent sans aucun problème ». Et Thomas Hereen d’ajouter : « Tout cela peut être allégé par l’adaptation des parcelles à ces techniques. On anticipe lors de la plantation des vignes ou au fur et à mesure des passages des pierres sont retirées et au final tout se passe impeccablement. Le choix des plantes peut aussi être déterminant. Les cépages retombants font par exemple plus de végétation et sont moins pratiques lors de l’utilisation de robots ».
Les contraintes pédoclimatiques
On constate le développement de la robotique dans des zones particulières. Pouvons-nous en déduire pour autant que certaines conditions pédoclimatiques sont davantage propices à celle-ci ?
D’après Quentin Limbourg, le triplé sol/climat/ culture ne pose aucun problème en termes de motricité et déplacement des robots. Les soucis relèvent plus des pratiques agronomiques et des moments d’intervention, tout comme pour des outils classiques.
Selon Gérald Tonglet, cela ne dépend en effet pas d’une meilleure adaptation au sol mais plutôt des cultures à valeur ajoutée qui y sont implantées. « Des cultures comme la carotte dans la région de Toulouse ou les fleurs aux Pays-Bas seront davantage propices à intégrer la robotique que des prairies dans le centre de la France ou les Ardennes belges ».
Quid du service et de la formation ?
Mais, les constructeurs, distributeurs ou encore centre de formation ont-ils déjà intégré cette matière à leur cursus ?
« Pas vraiment, tout est à construire. Personnellement, nous nous sommes rendu compte qu’il était important de pouvoir accompagner notre client de A à Z et nous avons développé un service plus poussé que prévu pour cela. Les concessionnaires traditionnels ne semblent pas encore prêts à monter dans le train car il s’agit d’une tout autre approche qui demande du temps et de l’énergie », dit Gérald Tonglet.
« Dans ce contexte, il faut sans doute envisager la chose d’une tout autre manière et pourquoi pas penser à regrouper les exploitations, aux contrats ou à des services de location », ajoute Thomas Hereen.
Quel modèle de robot en 2035 ?
En ce qui concerne les robots, les constructeurs historiques ont misé sur des stratégies relativement différentes, de la flotte de petits robots chez Fendt au tracteur autonome sans cabine chez Case/New Holland, en passant par un modèle hybride entre autonomie et présence d’un chauffeur chez d’autres. Mais vers quoi allons-nous réellement et quel sera le modèle prédominant en 2035 ?
Pour Quentin Limbourg, nous nous dirigeons certainement vers des petits tracteurs autonomes pouvant être équipés d’outils légers, qui travaillent longtemps et que l’on peut facilement déplacer de parcelle en parcelle vu la configuration parcellaire de notre pays.
Gérald Tonglet pense également que le tracteur autonome fait partie de la solution mais, pour lui, il est impossible d’envisager de grosses puissances car c’est synonyme de danger et cela pourrait créer des accidents. De plus, ce type d’équipement serait difficile à gérer dans nos configurations de terres. « Je vois plutôt des petits tracteurs de maximum 1 tonne qui travaillent en nuée ».
Thomas Hereen rappelle que cela dépendra toujours du contexte de l’exploitation, du nombre et de la taille des parcelles mais aussi du travail à réaliser. « La pulvérisation exige par exemple des fenêtres courtes d’intervention et demande une certaine sécurité de travail, ça peut être un frein ».
Des lois, des aides et de la recherche
Et quant au rôle de l’administration dans le développement de la robotique, les experts évoquent une réflexion nécessaire sur la légalité de possession d’un robot et de son fonctionnement en toute autonomie. L’accès aux aides à l’investissement pour ce type d’engins changerait également la donne en la matière. Enfin, il paraît aussi essentiel de s’engager dans la recherche et la promotion de ces technologies pour démontrer leur intérêt.