Congé pour motif d’exploitation personnelle: quelles conditions de fond remplir pour qu’il soit validé?
À côté des conditions de forme et de temps que nous avons déjà abordées à travers de précédentes parutions, il importe maintenant d’examiner les conditions de fond, c’est-à-dire celles qui tiennent à la validité même du congé notifié : « le bailleur, qui m’envoie un congé, a-t-il, juridiquement et légalement, le droit de le faire ? »

On se concentrera ici sur les cas les plus fréquents en matière d’exploitation personnelle, soit les congés visés aux articles 7 al.1er 1° et 8 §1er de la loi sur le bail à ferme : ils sont ceux qui sont donnés pour l’échéance des deux premières périodes (7 al.1er 1°) ou à tout moment au cours de la troisième période d’occupation (8 §1er).
Qui sont l’émetteur, le destinataire et le bénéficiaire ?
L’émetteur du congé, d’abord : ce doit évidemment être le bailleur qui notifie le congé…
Le destinataire du congé, ensuite : ce doit évidemment être le preneur. S’il y en a plusieurs, il conviendra de notifier la lettre de congé à chacun des preneurs, par notifications distinctes. Par exemple, si l’envoi recommandé est utilisé et qu’il y a deux preneurs, il faut adresser une lettre de congé à un preneur et une seconde lettre de congé à l’autre preneur. La loi veille effectivement à s’assurer que chacun des preneurs, lorsqu’il y en a plusieurs, ait été touché par l’envoi recommandé ou que, au moins, tout a été fait pour que chacun des preneurs ait été touché.
Le bénéficiaire du congé (celui qui est censé exploiter le bien loué par l’effet du congé), en troisième lieu. Il doit être légalement éligible. Cela signifie qu’il doit être le bailleur (ou un des bailleurs s’il y en a plusieurs) (personne physique ou personne morale : une société, par exemple) ou un membre de sa famille autorisé par la loi (si le bailleur est une personne physique).
On ne parle évidemment de cela que si le bailleur est une personne physique puisque, par définition, une personne morale ne peut avoir de parent…
Qui sont les parents légalement éligibles ? Ils sont cités aux articles 7 et 8 de la loi, avec une nuance toutefois entre ceux qui sont visés à l’article 7 et ceux qui le sont à l’article 8. Les parents légalement éligibles de l’article 7 sont, outre le bailleur lui-même : à l’égard du bailleur, son conjoint, son cohabitant légal, ses descendants ou enfants adoptifs ou ceux de son conjoint, de son cohabitant légal ou conjoint ou cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs. La liste des bénéficiaires visés à l’article 8 est identique, sinon qu’il convient de lui ajouter les parents jusqu’au quatrième degré du bailleur (par exemple : un neveu, un frère, une sœur…).
Les critères que doit satisfaire le bénéficiaire
Le bénéficiaire, lui-même, qu’il soit le bailleur ou un parent éligible, doit répondre à de stricts critères prévus par la loi.
Il doit, en premier ordre, être exploitant agricole au sens de l’article 1er 1° al.2 de la loi sur le bail à ferme. La loi entend par « exploitation agricole, l’exploitation de biens immeubles en vue de la production de produits agricoles destinés principalement à la vente ». On ne notifie évidemment pas un congé pour le motif d’exploitation agricole au profit de son fils parce que ce dernier souhaite planter quelques pommiers et cerisiers pour récolter les fruits à la belle saison et les déguster en famille.
La jurisprudence (les courants décisionnels des cours et tribunaux sur une question déterminée) regorge de décisions destinées à baliser les contours de ce qu’est une exploitation agricole, certains cas d’espèce étant parfois évidents tandis que d’autres sont parfois à la marge… Quoi qu’il en soit, il doit, en tout cas, être question d’une activité agricole professionnelle…
Cette condition, relative à la qualité d’exploitant agricole du bénéficiaire du congé, sera adéquatement mise en perspective avec l’article 9 al.1er de la loi, rédigé en les termes suivants : « l’exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s’il s’agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés ».
Et, dans la droite ligne de ce que prévoit l’article 9, l’article 12 §6 de la loi sur le bail à ferme indique que, si le congé est contesté par le preneur, il appartient au juge d’apprécier si le motif de congé est sérieux et fondé et si le bailleur est en mesure d’établir qu’il mettra à exécution les intentions énoncées comme motifs de congé. Concrètement, cela signifie qu’en cas de procès, c’est-à-dire en cas de contestation du congé par le preneur, il appartiendra au bailleur de préciser comment le bénéficiaire du congé assurera l’exploitation effective, personnelle et continue des biens loués durant un délai de 9 ans au moins.
Le Juge examine alors scrupuleusement ce que lui expose le bailleur et ce qu’il est en mesure d’apporter comme élément de preuve, et c’est selon sa « souveraine appréciation » que le congé sera, ou non, validé…
Si contestation il y a…
Il se déduit ainsi de ces quelques explications que le processus de libération de biens loués pour le motif d’exploitation personnelle peut s’avérer long et ardu si le preneur conteste le congé… Si le congé notifié dans les formes et les délais n’est pas contesté dans le délai légal de trois mois, il sera définitivement valide et le processus susmentionné ne comportera, en tant que tel, qu’une seule étape : celle de l’envoi du congé et, conséquemment, l’éviction du preneur du bien loué.
Mais si contestation il y a, il s’agira de passer par l’étape procédurale de la conciliation et, à défaut de conciliation, de « remettre son sort entre les mains » du Juge de Paix.
La question qu’il est, à ce stade des explications, normal de se poser concerne les critères d’appréciation du Juge de Paix. Comme dit ci-dessus, le magistrat vérifiera la qualité d’exploitant agricole du bénéficiaire du congé. Mais, est-ce tout ce qu’il a à vérifier ou y a-t-il des conditions plus précises et spécifiques encore ? C’est ce que nous verrons « au prochain épisode » …
Rappelons que la matière est complexe et que la question des délais est toujours épineuse : mieux vaut donc être conseillé que d’agir tout seul « dans son coin »…
avocat au barreau de Tournai