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La communication et le partage, au cœur du réseau Terraé

Accompagner le processus de transition agroécologique est un exercice complexe. Les transformations à mettre en œuvre sont multiples. Elles impliquent des échelles variées et des points de vue parfois divergents. Aussi, c’est localement, pas à pas et collectivement que les connaissances se construisent. En effet, les changements de pratiques impliquent également des déplacements de point de vue et une transformation des références.

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Le projet Terraé, financé par le Spw Agriculture, Ressources Naturelles et Environnement, vise à soutenir et à promouvoir la transition agroécologique en Wallonie (pour en savoir plus : www.terrae-agroecologie.be). Mis en place en 2022, le réseau de fermes associé réunit 40 agriculteurs et agricultrices aux profils variés et en transition agroécologique en Wallonie. Il est le fruit d’une collaboration étroite entre quatre organismes : le Centre wallon de recherches agronomiques (Cra-w), Fourrages Mieux, Greenotec et Natagriwal.

Au cœur du réseau : la transmission des savoirs-faire-être…

Au sein des 40 fermes, des actions individuelles et collectives sont co-construites et mises en œuvre avec, d’une part, les agriculteurs et agricultrices et, d’autre part, les accompagnateurs et accompagnatrices.

À l’échelle individuelle, des plans d’actions sont établis entre l’agriculteur et l’accompagnateur. Ils permettent de dégager des priorités à court, moyen et long terme. Ces plans reposent sur la conjonction des centres d’intérêt des agriculteurs, de résultats issus d’un diagnostic de la ferme et des principes de l’agroécologie qui guident Terraé. Le diagnostic de la ferme est établi sur base notamment d’un bilan « Pyramide » (portant sur les pratiques soutenant la biodiversité au sein de la ferme) et d’un bilan « DECiDE » (calcul de l’empreinte carbone, émissions d’ammoniac et consommation d’énergie).

À l’échelle collective, des ateliers participatifs sont organisés entre agriculteurs du réseau rejoint, ponctuellement, par une personne extérieure témoignant d’une expertise spécifique. Ces ateliers sont l’occasion pour l’agriculteur d’adresser une question pratique, reflétant une problématique rencontrée sur sa ferme, et de mobiliser les expertises de chacun pour formuler des pistes de solutions tout en considérant le contexte particulier de la ferme concernée.

Partager ces expériences et les réflexions dans lesquelles elles s’enracinent permet tout à la fois de soutenir un collègue tout en enrichissant sa propre réflexion et démarche vers des systèmes agroécologiques.

La démarche participative de ces types d’action nécessite une posture spécifique des accompagnateurs du réseau.

Cette posture spécifique porte en particulier sur une ouverture et une attention à la situation des agriculteurs qui sont face à de multiples enjeux quotidiens ne relevant pas des questions purement techniques et agronomiques. Elle est évidemment complétée par leurs connaissances en des matières particulières et leurs compétences spécifiques.

Il s’agit ici d’être à l’écoute et de faire surgir des problématiques concrètes et saisissables pour lesquelles des actions peuvent être mises en œuvre. L’accompagnateur se dégage d’un rôle prescriptif et normatif, transférant des connaissances du haut vers le bas. Ce sont les valeurs des agriculteurs qui sont le moteur du changement.

… et la transmissibilité des fermes

Ces différentes interactions ont permis de voir émerger le sujet de la transmissibilité des fermes. Trois éléments, qui constituent des leviers invisibilisés, ressortent de ces échanges.

La modestie de l’exploitation, voilà ce que plusieurs agriculteurs veulent préserver. Il s’agit, pour eux, d’un enjeu fondamental pour ne pas être confrontés aux problématiques inhérentes à une conception de croissance infinie.

Croissance infinie qui suppose que pour « gagner plus, il faut avoir plus » : plus de terres, de bêtes, de bâtiments et de véhicules et aussi plus de travail et de crédits. Faire le choix de la modestie, c’est penser son travail et son revenu en faisant avec ce que l’on a pour préserver une dimension humaine et autonome de la ferme. C’est aussi faire le choix de revenir à une vision du métier en adéquation avec les valeurs de l’agroécologie : agir avec le milieu. Non inféodée à des apports extérieurs, la reprise de la ferme serait ainsi facilitée car elle évite les écueils d’un endettement démesuré.

Pol Thunus,  agriculteur et membre du réseau Terraé, prend soin de la trayeuse héritée de son père. Avec ce dispositif, il ne vit pas la traite comme une contrainte mais comme un  moment de soin et d’attention au milieu.
Pol Thunus, agriculteur et membre du réseau Terraé, prend soin de la trayeuse héritée de son père. Avec ce dispositif, il ne vit pas la traite comme une contrainte mais comme un moment de soin et d’attention au milieu. - S. Lagneaux

Toujours en vue de miser sur une économie des moyens et non un accroissement des investissements, la maintenance du matériel fait également l’objet de beaucoup d’attention, à l’instar du soin porté aux animaux, aux cultures et au sol. Banale et peu productive, cette attention se distingue de l’innovation et de l’inaction ou du « laisser-faire ». Cette maintenance rompt avec l’obsolescence et le remplacement, avec la « disruption » ou encore avec la disjonction entre deux états, deux projets, deux générations.

Cette continuité temporelle des biens et des vivants, ces liens se marquent également dans une conception du milieu. Les agriculteurs du réseau mobilisent une vision du monde dans laquelle ils font partie de l’environnement, qui ne se limite pas à ce qui les entoure. Les fermes ne sont pas ce qu’ils exploitent. Ils s’inscrivent dans un milieu, ils en sont un des protagonistes, tout en agissant sur lui, mais sans en être l’unique organisateur ou usager.

Il découle de cette conception une posture d’ouverture aux multiples formes de l’altérité et une considération des générations passées et futures, non pas sur le mode de la rupture mais de la filiation. On hérite et on laisse une part de soi pour autrui ; non pas un modèle à reproduire mais un milieu à vivre.

Séverine Lagneaux et Victoria Tosar

Cra-w

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