À votre idée?
Lors du mois de janvier, les vœux de « bonne année » sont légion, le plus souvent personnalisés au gré des désirs latents des uns et des autres. Ainsi, en ce qui me concerne, certains me souhaitent d’avoir de « bonnes idées » pour alimenter ma petite chronique du Sillon Belge. Cette année, une amie journaliste y est allée de sa théorie personnelle. Selon elle, trouver une inspiration n’est pas bien compliqué : il suffit d’attraper au vol une idée comme on capture un papillon, puis de la disséquer soigneusement afin de la décrire et d’explorer sa nature profonde.

Pour ma part, ça ne se passe comme ça, lui ai-je expliqué. Quand on tient une idée au creux de sa main, on ne la tue pas pour la passer sous un microscope ! On lui parle pour la rassurer, pour SE rassurer. On la regarde vivre et respirer, faire des petits éventuellement ; on suit son évolution ; on écoute ce qu’elle raconte ; on l’observe sous toutes ses faces ; on analyse les émotions qu’elle inspire chez ceux qui la rencontrent.
Certaines idées ne veulent pas coopérer. « Passe ton chemin et débrouille-toi !
De ces idées, impossible de tirer un court billet, ce serait les massacrer. Les utiliser est une vraie fausse bonne idée ! Alors, j’ouvre la main et les papillons s’envolent, chargés de toutes ces idées trop complexes, lesquelles laissent sur ma paume un peu de poussière d’étoile en souvenir, une denrée fort utile quand il s’agit d’édulcorer d’autres écrits. Et puis j’attends qu’un autre papillon passe à ma portée : un message, un coup de fil, une rencontre, un courriel de Papy Joseph, une lecture, une émission télé…
Une idée exploitable vient à vous sans qu’on la cherche. Soudain, elle est là sans qu’on la convoque ; elle vous saute littéralement aux yeux, comme on trouve par hasard un trèfle à quatre feuilles en se baladant dans une prairie. Elle survient souvent en pleine nuit, entre deux phases de sommeil, quand le cerveau fait le boulot en pilotage automatique. L’idée confuse se décante, se débarrasse de ses camouflages, et les mots viennent, dictés par une voix intérieure trop heureuse de se délester de cette idée encombrante, sombre ou lumineuse, claire ou floue, intelligente ou stupide.
Ensuite, de manière libératoire et selon ses affinités, vient le moment d’exprimer son idée, de la partager oralement ou par écrit – dans Voix de la Terre du Sillon, par exemple-. Chacun colore cette rubrique à sa façon ! Manou de Warneton écrit des poèmes sublimes. JMP cite des chiffres et développe sa démonstration -thèse, anti-thèse et conclusion, CQFD –, non sans humour. Très didactique, Papy Joseph examine et structure, segmente et extrapole, pondère et dédramatise. Un autre -qui vous parle présentement- s’envole sans cesse dans ses délires…
Et vous, quel serait votre style ? Rentre-dedans ou consensuel ? Triste ou joyeux ? Fantaisiste ou sentencieux ? Critique ou bienveillant ? Quelle importance, au fond ? Le plus vital n’est-il pas de s’exprimer, de se libérer de ces idées, de trouver comme Stromae « une manière de les faire taire, ces pensées qui nous font vivre un enfer » ?? Il est essentiel de partager, de chercher des pistes, d’entamer un dialogue avec soi-même et les autres, sans subir le diktat du prêt-à-penser universel, fortement prégnant dans le milieu agricole : les idées convenues, toutes faites et emballées pour nous sous vide dans les usines à mots, politiques et médiatiques. Souvent, leur idéal ment…
En agriculture, une idée revient sans cesse en cascade dans ce qu’on lit à gauche et à droite : dans la presse, dans les reportages à la télé ou en radio. Une idée tentaculaire – certes ! –, aux multiples bras. Les agriculteurs expriment le plus souvent un ressenti d’oppression, un manque de reconnaissance, un désenchantement très marqué. Le sentiment d’être exploités, de constituer une fin de race, d’être les tout derniers représentants d’un monde avalé par le capitalisme, balayé par l’industrialisation et la numérisation.
A-t-on idée ? La morosité ambiante déteint sur les idées, comme la pollution assombrit les ailes de certains papillons, aux abords des usines. Nos idées-papillons méritent souvent un bon décrassage, pour retrouver leurs couleurs optimistes et apporter du soleil dans nos vies. Qu’en pensez-vous ? Trouver l’idée qui déchire sans la chercher, puis la nourrir et la regarder s’épanouir : n’est-ce point toucher du doigt une sorte d’idéal ? À votre idée ?