Du lait à la viande, la Rouge Pie de l’Est, une race menacée aux multiples atouts
Si, en travaillant avec la Rouge Pie de l’Est, Benoît Darimont a réussi à perpétuer la tradition familiale, en élevant ces bovins il sort cependant des sentiers battus. En effet, cette race, menacée d’extinction, est de moins en moins présente dans les étables wallonnes. Pourtant, elle ne manque pas d’atouts… Appréciée pour ses qualités viandeuses et laitières, elle se distingue également par sa longévité et son tempérament.


Dans les étables de Benoît Darimont, les vaches se suivent et ne se ressemblent pas. Tandis que l’une présente un cul de poulain bien prononcé, une autre se démarque par une morphologie plutôt laitière. Différentes, donc, mais semblables par leurs qualités. À Jalhay, ces bêtes vivent aussi bien en étables entravées ou sur aires paillées qu’en pâtures. Et oui, pour aller voir les taureaux, direction les prairies. Sous un épais brouillard et les pieds dans la neige, les bovins s’approchent sans difficulté. Bien dans leur tête et sur leurs pattes, le Verviétois nous présente ses animaux qu’il connaît sur le bout des doigts. Pourtant, des Rouge Pie de l’Est, il en a vu défiler dans son exploitation, et ce dès le plus jeune âge. « Mes parents et mes grands-parents travaillaient déjà avec elles. À l’époque, il y avait beaucoup de fermes dans la région qui en possédaient ». En 2006, il reprend le flambeau et ajoute des Limousine au cheptel. « J’ai eu un coup de cœur pour ces bêtes-là ».
Président du Herd-Book Rouge Pie de l’Est, Benoît a été aux premières loges pour suivre son évolution. À son lancement, il y a douze ans, ils étaient une bonne vingtaine à s’y intéresser. Aujourd’hui, 17 éleveurs y sont encore inscrits. « Le plus jeune a 30 ans, il a continué avec la ferme de ses parents. Il y en a aussi un d’une quarantaine d’années. Les autres sont plus âgés. Heureusement, certains ont des repreneurs ». Si ce phénomène s’observe pour toutes les races, en Rouge Pie de l’Est, vu sa rareté, il est d’autant plus inquiétant.
« Beaucoup d’éleveurs ne connaissent même plus ces vaches. Pourtant, pour un jeune couple dont l’objectif est de démarrer avec une petite ferme, elle est vraiment très intéressante ». En travaillant avec cette race mixte, on peut ainsi « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». « L’avantage de la Rouge, c’est qu’on la trait, donc on dégage un revenu pour le lait, et on peut la valoriser pour la viande. On a oublié qu’on pouvait faire les deux avec un seul et même animal ». Populaire dans les cantons de l’Est, elle faisait d’ailleurs l’objet d’un programme de sélection. Pourtant, à partir des années 70, beaucoup d’agriculteurs se spécialisent et délaissent la Rouge au profit d’autres races, comme la Holstein ou encore le Blanc Bleu Belge. Malgré tout, certains passionnés, comme Benoît Darimont, résistent à cette tendance et n’hésitent pas à partager leur amour pour ces bêtes.

La longévité : une qualité indéniable
L’un des atouts de la Rouge est, sans conteste, sa longévité. Chez Benoît, certaines atteignent 13 ans, et les laitières peuvent réaliser entre 6 et 10 vêlages, sans souci. Au total, il en trait entre 50 et 60. Durant sept mois de l’année, la traite se déroule directement en prairie. « Je vais vers les vaches. C’est plus simple. Cela facilite aussi les trajets, car je ne possède pas de prés attenants aux étables. Puis, cela me permet de produire un vrai lait à l’herbe ». Avec une production comprise entre 5.000 et 5.200 litres, Benoît précise : « Ce n’est pas énorme, mais cela inclut aussi les vaches plus viandeuses. Je pourrais augmenter cette quantité en ne gardant que celles au profil laitier, mais ce n’est pas intéressant. Je tiens à conserver la double valorisation, lait et viande. Cela me garantit notamment deux sources de revenu ».
En matière de qualité, il nous montre une étude réalisée sur la Rouge Pie de l’Est dans plusieurs exploitations agricoles. Elle révèle des données précieuses : une teneur moyenne en matière grasse de 43,2 mg/l, en protéines de 34,09 mg/l et en cellules de 74.000/ml.
« Ces résultats sont plus qu’honorables pour une race qui n’a pas été sélectionnée depuis 1985 », souligne-t-il. Il précise que ces chiffres proviennent d’une autre ferme, davantage orientée vers la production de lait.

Laisser trois saisons de pâture pour obtenir une belle viande
Pour les vaches destinées à la boucherie, l’éleveur exige qu’elles aient au minimum trois saisons de pâture. La plupart partent toutefois entre 4 et 7 ans, afin de garantir une viande bien rouge. Et si vous souhaitez y goûter, rendez-vous dans des boucheries locales, telles que l’enseigne Goeders à Verviers (plus d’informations dans Le Sillon Belge du 26 décembre). En effet, ce professionnel collabore avec deux bouchers, auxquels il fournit, dans la mesure du possible, une bête par mois. Du circuit court, pour le plus grand plaisir des consommateurs qui peuvent déguster une viande locale et de qualité.
Quant aux veaux mâles, ils sont abattus avant 24 mois. Cependant, dès leurs trois semaines, les jeunes culards affichent déjà une valeur intéressante sur le marché. Ceux qui présentent des caractéristiques plus laitières ne sont gardés que s’ils ont de bonnes origines maternelles, pour devenir des reproducteurs. Les autres sont vendus entre 20 et 30 jours.
La surprise au vêlage
Si, suite à la langue bleue, tous les vêlages ont été décalés d’environ six mois (voir l’article ci-joint), l’agriculteur en compte 80 par an, tandis que les vaches font leur premier à l’âge de 36 mois. Et chaque fois, c’est une réelle surprise. Il ne peut que deviner l’aspect du jeune veau. « Parfois, j’ai des vaches plus laitières dont le veau est culard, et inversement. On ne sait jamais quel trait prendra le dessus ! » Bref, ce moment apporte son lot de suspense… ce qui peut parfois être un casse-tête pour l’éleveur et le vétérinaire. Ces derniers doivent bien connaître la race et le troupeau. Il s’agit, chaque fois, de déterminer si une césarienne est nécessaire ou non, selon le profil du veau à naître. « Sur dix césariennes, au moins quatre sont faites par précaution, et on aurait finalement pu tirer. Toutefois, vu la différence de prix entre un vêlage et une césarienne, cela ne vaut pas la peine de risquer de perdre un veau ».
Trouver de bons reproducteurs : un autre défi
Des veaux d’autant plus précieux que, lorsqu’on travaille avec une race menacée, diversifier la génétique est une tâche compliquée. Toujours suite à la fièvre catarrhale ovine, il n’y a pour l’instant plus de nouveau taureau au centre d’insémination. Chez lui, Benoît en possède quatre, avec des particularités variées. Mais la situation pourrait devenir encore plus complexe si rien ne change. Actuellement, un projet est en cours avec des pays voisins pour trouver de nouveaux reproducteurs. Afin d’éviter la consanguinité, un partenariat pourrait voir le jour avec l’Allemagne. « Néanmoins, ils ont tellement sélectionné leurs animaux pour le lait que j’ai peur de perdre l’aspect viandeux », explique le Verviétois.
Si, depuis des années, il se bat pour promouvoir la race, il est encore difficile de savoir ce que l’avenir réserve. Heureusement, en visitant l’étable, il confie que son fils partage la même passion. Par ailleurs, comme tous les éleveurs de Rouge Pie de l’Est, il peut compter sur une aide de 200 € par animal dans le cadre des races locales menacées. De quoi mettre un peu de beurre dans les épinards pour ces éleveurs qui, à travers leur métier, tiennent à sauvegarder ce patrimoine agricole.