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Què diss’???

« È kwè ? Què diss’, Batiss’ ? ». Sur le ton de la rigolade, un voisin agriculteur m’a demandé ce que je pensais du nouveau gouvernement fédéral. J’ai été bien en peine de lui fournir une réponse éclairée, car les négociations ont traîné dans le flou durant des mois et des mois, « comme si on fauchait du foin en juin pour le ramasser 7 mois plus tard », s’est marré mon vieux pote. « Bande de fainéants ! I’ n’su san wînr’ dèss’grabouillè ! » (ils ne sont guère grouillés), a-t-il conclu.

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C’est mathématique : une législature au fédéral belge dure 5 années, avec déjà 7 mois sur 60 de perdus, auxquels s’ajouteront 5 mois en fin de cycle pour la campagne électorale de 2029. 7 + 5 = 12 mois, une année sur cinq gaspillée pour discuter, trouver des accords, simuler des disputes entre eux, faire des ronds de jambe devant les électeurs et raconter des carabistouilles. Et il paraît que nous vivons une situation d’extrême urgence, qu’il va falloir sabrer dans les dépenses de l’État ! Nos élus ne donnent guère l’exemple, à gaspiller leur temps -rémunéré !- avec autant de désinvolture…

Mais bon, ne soyons point acrimonieux, et pâmons-nous d’aise devant le « Bart’s boys band » de De Wever, où les dames sont représentées en portion congrue tandis qu’aucune ne fait même partie du Kernkabinet des 5 Big Five. Entre mecs, ça va rouler, pensent-ils sans doute ! 4 dames pour 11 messieurs autour de la table des ministres fédéraux : les femmes ont-elles à ce point « mâle » voté ? Les 11 ministres masculins vont-ils assumer leur part de féminité ?

OK, me répondrez-vous : qu’ils commencent déjà par assumer toutes ces tâches qu’ils disent tellement « urgentes » ! On verra dans quatre ans s’ils ont respecté leurs promesses, si le pays est toujours en seul morceau, si la Belgique vit « toujours grande et belle, et son invincible unité aura pour devise immortelle : le Roi, la Loi, la Liberté ! ».

Et notre agriculture ? Restera-t-elle toujours « grande et belle » ? N’avons-nous point deux ministres pour s’occuper de nous ? Une jeune dame à la Région wallonne et un briscard au fédéral, duo d’enfer du MR ! Nous voilà parés, si on peut les croire et pour autant qu’ils nous consacrent suffisamment de temps, car ces deux ministres n’ont pas que l’agriculture à gérer… Anne- Catherine Dalq s’occupe également de chasse & pêche, nature & forêt, ruralité. David Clarinval est par ailleurs vice premier ministre, et ministre de l’Économie et de l’Emploi, deux très grosses responsabilités…

Crénom de nom ! Comment font-ils pour cumuler plusieurs compétences, surtout au fédéral ? Qui trop embrasse, mal étreint ! L’agriculture a perdu son statut stratégique de première importance, qu’elle a détenu jusque dans les années 1970. Des petits ministères partagés, à temps partiel, lui suffisent amplement, ont décrété nos hommes et femmes politiques. Mais n’y voyons point de malice, car ils sont bien conscients que l’agriculture est un secteur qui crée énormément de richesse… sauf que celle-ci profite à 90 % à ses fournisseurs et ses acheteurs, à tous ces gens qui tournent en orbite autour de nous !

Tout le monde vit bien, et même très bien, parmi ces satellites ! L’industrie agroalimentaire, les marchands de bestiaux, les négociants en aliments et en engrais, les fabricants et les vendeurs de tracteurs et matériels agricoles, les fonctionnaires des administrations wallonnes et fédérales, les conseillers et inspecteurs de tous poils, les employés de la vaste nébuleuse para-agricole où nous baignons comme des frites dans l’huile chaude. Question revenus et tracas, tout le monde « a bon » au sein de l’agriculture-machine-à-sous, sauf la base terre à terre qui fait tourner celle-ci.

Nos ministres ont dès lors bien du pain sur la planche, pour maintenir les privilèges des uns et la soumission des autres, en faisant croire qu’ils travaillent pour l’ensemble de la filière. Le système est bien rodé, qui emprisonne notre profession dans une double camisole de force : un carcan commercial et un corset administratif. Les fermiers quelquefois s’ébrouent, démarrent leurs tracteurs pour bloquer des routes et secouer le joug qui les oppresse, dans l’espoir infime de sortir les ministres de leur zone de confort. Et ceux-ci promettent, baratinent –blablablabla… –, accusent en vrac l’Union Européenne, la PAC, les tensions géo-politiques internationales, le grand commerce mondial, les épizooties, les changements climatiques, etc.

Ce n’est jamais de leur faute ! Dur dur d’être ministre, ne trouvez-vous point ? Il faut être malin, avoir du bagou, savoir vendre sa politique, garder des subsides en réserve pour calmer les velléités des fermiers, financer des vaccins FCO -qu’on attend toujours !- comme un bon prince qui fait l’aumône à ses sujets. C’est tout un métier ! N’est pas ministre qui veut…

Entre « récolte » et « révolte », une seule lettre change quelquefois dans le monde agricole, quand trop c’est trop. Et même alors, notre soumission atavique aux autorités nous fait baiser les pieds de ces ministres, retirer notre casquette, les saluer poliment et les remercier sans fin pour des choses qu’ils ne nous donnent pas, qu’ils ne nous donneront jamais : un revenu décent, du respect et de l’empathie.

« Què diss’, Batiss’ ? ». Rien de nouveau sous le soleil en politique, au royaume de Belgique.

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