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Chauffeur routier à l’international: «Bien plus qu’un boulot, un style de vie!»

Depuis près de 20 ans, François arpente les routes internationales au volant de son camion. Pour nous, il raconte ce métier, ses règles, ses contraintes, ses joies et ses perspectives… Un job parfois contraignant mais, qui offre un cadre de vie inédit.

Temps de lecture : 12 min

C’est à 21 ans que François Meynaerts embrasse le métier de chauffeur routier. «J’ai d’abord travaillé pour une société active dans le transport de fret, c’est-à-dire de marchandises. Mon camion tractait des remorques frigo ou bâchées et je faisais de la distribution logistique de produits médicaux ou encore de mobiliers de bureau. J’ai ainsi voyagé jusqu’en Allemagne, Angleterre ou encore jusqu’au Danemark », se souvient-il.

Des machines sur un camion

Désormais et depuis 16 ans, il travaille pour une filiale belge de Gruber Logistics établie à Gosselies. « La maison mère de Gruber se situe à 150 kilomètres de Vérone en Italie, non loin de la frontière autrichienne. Elle fait pas mal de logistique et possède 2.350 camions de tous types sur lesquelles interviennent 1.080 chauffeurs. La filiale belge est quant à elle sous la gérance de Roland Santolini et fonctionne de manière autonome. Nous sommes spécialisés dans le transport de véhicules pour le BTP, c’est-à-dire utilisés en génie civil et construction. L’entreprise possède 14 camions et 14 remorques plateau 4 essieux et emploie 14 chauffeurs en plus du gérant qui s’occupe de toute la logistique, d’une responsable administrative et comptabilité et d’un commercial qui prend en charge les échanges avec nos plus gros clients ».

La filiale belge travaille en particulier avec les sociétés Caterpillar, localisée à Grenoble (France), et Manitou et Magni près de Modène en Italie. Son rayon d’action s’étend donc principalement à la France et l’Italie. Neuf des chauffeurs sont d’ailleurs italiens: «On évite ainsi de les faire déloger durant le week-end quand un chargement doit être réalisé tôt le lundi matin ».

La spécialité de François: le transport de matériel utilisé en construction et génie civil.
La spécialité de François: le transport de matériel utilisé en construction et génie civil. - DR

Optimiser les déplacements

En effet, la gestion d’une société de transport repose principalement sur la capacité d’organiser les livraisons et d’arranger les destinations afin d’optimiser les déplacements dans le temps et l’espace et de rouler le moins possible «à vide» c’est-à-dire sans chargement. «On minimise ainsi les coûts et on satisfait au maximum les clients dans la qualité et les délais de nos livraisons».

Pour ce faire, pas mal de paramètres doivent être pris en compte tels que les horaires de chargements, les règles et les autorisations préalables de circulation, le signalement ou l’encadrement des véhicules, les temps de conduite et de repos à respecter ou encore le timing des terminaux portuaires ou ferroviaires.

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Au départ des ports…

«En effet, beaucoup de machines sont chargées et déchargées aux ports maritimes d’Anvers et de Zeebrugge. On pourrait en privilégier d’autres mais ils ne sont malheureusement pas toujours en capacité de gérer un grand flux de marchandises. Zeebrugge possède le deuxième plus grand terminal d’Europe, le premier étant celui de Rotterdam. Et pourtant, les machines ne peuvent être présentes au port qu’au plus tôt 5 jours avant le départ des bateaux sinon les transporteurs déposent le matériel des semaines avant et cela engorge les terminaux. Il faut donc tenir compte de ces délais lors des réservations sur les bateaux mais aussi envisager le chargement d’autres machines temps qu’on est sur place ».

Pas mal de machines sont chargées et déchargées dans les ports.
Pas mal de machines sont chargées et déchargées dans les ports. - DR

La responsabilité du chauffeur et de son entreprise commence au chargement de la machine et s’arrête à son déchargement : « Mais, dans les ports, celles-ci peuvent encore être prises en charge par d’autres sociétés qui proposent toute une série de services tels que le graphitage du matériel pour le protéger de la corrosion. Certaines s’occupent aussi du démontage des machines pour qu’elles occupent le moins de place possible dans les bateaux puisque le transport est facturé au cubage (mètres cubes occupés par la marchandise). De même, ces firmes spécialisées peuvent aussi réassembler les outils à leur arrivée au port, les nettoyer et les préparer pour que nous puissions les livrer en parfait état aux clients ».

Via les voies ferrées…

Le domaine du camion est sans conteste la route mais parfois le camion emprunte des voies plus originales. « Pour atteindre certains pays, nos camions traversent les masses d’eau sur des ferrys mais cela arrive également que l’on prenne le TGV. J’ai dû le faire par le passé et l’expérience est singulière. Les camions montent sur des plateformes et sont garés l’un derrière l’autre. Les chauffeurs sont quant à eux installés dans des voitures à l’avant du train. Quand il est possible au niveau des dimensions du chargement limitées à trois mètres, ce mode de traversée vers l’Angleterre est très avantageux car il ne prend que 45 minutes voire 30 minutes le week-end et est moins onéreux. De plus, les réservations sont plus aisées que via le ferry car les navettes disponibles sont plus nombreuses, on doit donc s’y prendre moins à l’avance ».

La route procure un sentiment de liberté et offre une échappatoire.
La route procure un sentiment de liberté et offre une échappatoire. - DR

Avec ou sans escorte…

Pour circuler, les camions- accompagnés de leurs remorques et chargements - doivent respecter une masse maximale autorisée – 44 tonnes- et des dimensions particulières. Quand ces dernières dépassent certaines limites, des dispositions doivent être prises par le transporteur: « Là où l’affaire se complique, c’est que les règles ne sont pas toujours les mêmes dans tous les pays européens. »

En France, par exemple, il existe trois catégories de convois :

- Ceux dont la largeur se situe entre 2,55m et 3m qui peuvent circuler sans escorte correctement signalés par des gyrophares et des panneaux spécifiques ;

- Ceux dont la largeur courre entre 3m et 3,50m qui doivent être accompagnés d’une escorte ;

- Ceux de plus de 3,50m qui s’organise au cas par cas avec un itinéraire extrêmement précis, des autorisations de passage à obtenir à l’avance, une escorte… « Ce n’est clairement pas le genre de transport qui s’organise sur le pouce ».

Il y a aussi des autorisations propres aux villes : « Grenoble en est un exemple. L’usine Caterpillar se trouve en son centre et des autorisations spécifiques sont nécessaires pour y circuler. Seul un transporteur les possède. C’est donc lui qui est chargé d’amener les machines hors de l’agglomération grenobloise. Nous les récupérons sur une plateforme de stockage en périphérie et organisons ensuite leur livraison. Si le transport nécessite une escorte, le trajet est organisé en concertation avec le chauffeur de la voiture pilote. Ce sont des sociétés indépendantes qui interviennent mais, au fil du temps, on se connaît et il n’est pas difficile d’accorder nos violons. Néanmoins, on doit souvent tenir compte de pas mal d’éléments tels que les horaires de passage autorisés dans les villages ou la présence d’ouvrages d’art sur le trajet qui pourrait compliqué le déplacement. Le timing est établi dans un carnet présent à bord du véhicule. En Italie, il existe aussi des limitations de vitesse sur l’autoroute au-delà d’une certaine masse ou encore une circulation de nuit obligatoire pour passer le Fréjus si on excède une largeur de 3m par exemple. En Belgique, au-dessus de 44 tonnes, on ne peut rouler que sur nationales…Toutes ces indications, en plus évidemment des embouteillages éventuels, sont prises en compte dans l’élaboration de notre itinéraire».

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Des pauses et des temps de conduite à respecter

Si cela peut s’avérer un casse-tête de se conformer aux législations en vigueur dans les différents pays, à cela s’ajoute le respect des règles relatives aux temps de conduite et de repos du chauffeur.

La loi autorise une conduite de maximum 9h sur 24h, avec une exception de 10h pour 2 jours de la semaine. Néanmoins, le chauffeur ne peut rouler plus de 4,5 heures d’affilée et est obligé de prendre 45 minutes de pause après ce délai. « Cela signifie que l’on peut conduire 4,5 heures de suite, prendre une pause de 45 minutes et reprendre la route 4,5 heures. Si on est dans une journée de 10 heures, on peut faire 4,5 heures de conduite – 45 minutes de pause- 4,5 heures de conduits- 45 minutes de pause et une dernière heure de conduite ».

A ces règles de temps de conduite s’ajoute un temps de repos obligatoire : « Le chauffeur doit pouvoir se reposer au minimum 11h chaque jour mais, trois fois par semaine ce temps peut être réduit à 9h. Quand tu commences ta journée, tu dois prendre en compte cette amplitude. Si tu commences à 5h et que tu dois avoir un temps de repos de 9 heures, tu as 15 heures de conduites incluant les pauses devant toi. Tu dois obligatoirement stopper à 20h même si tu te retrouves bloqué pendant plusieurs heures lors d’un retard de chargement ou autres. Ce système est fait pour éviter que les chauffeurs ne fassent des journées à rallonge ».

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Presque comme à la maison

Cette organisation contraint donc les routiers internationaux à vivre et dormir dans leur camion: «Ce n’est pas insurmontable de nos jours au vu du matériel et de la formation dont nous disposons. Sur le plan professionnel, nous bénéficions d’outils de qualité. Nos camions sont renouvelés tous les quatre ans et les remorques tous les 6 ans. Là où j’ai commencé avec une carte sur une feuille A4 il y a 20 ans, aujourd’hui nous utilisons des technologies de guidage et de conduite vraiment performantes. Les camions sont capables de limiter automatiquement la distance par rapport au véhicule qui les précède. Ils sont équipés de rétroviseurs à angle mort et de caméras qui aident à se rabattre. Les chauffeurs sont aussi tenus de posséder un certificat d’aptitude professionnel qui les oblige à suivre une formation continue les sensibilisant à des sujets tels que la conduite économique, la gestion du stress, les premiers secours, l’arrimage du chargement ou encore l’utilisation correcte du tachygraphe (appareil électronique intégré au véhicule qui enregistre les temps de conduite et de repos, la vitesse du véhicule et la distance parcourue) ».

Et pour ce qui est des commodités, François dort presque aussi bien que chez lui et il dispose de bonnes adresses: «Nos véhicules sont équipés de doubles couchettes ou d’un lit avec armoire pour ranger nos affaires. Il y a aussi un réfrigérateur, un congélateur, le chauffage et la climatisation, ce qui est bien pratique quand on est dans les Alpes ou au contraire dans les pays du sud. C’est un confort que les sociétés ne négligent en général plus car un chauffeur bien reposé est de toute façon plus productif. Pour ce qui est de l’hygiène et l’alimentation, le réseau routier français, contrairement au belge, est assez bien fourni. Il existe une application « Truckfly » dédiée aux chauffeurs routiers qui permet, entre autres, de repérer les meilleurs établissements et planifier son trajet. Une chaîne de restaurants s’est particulièrement développée dans le service aux transporteurs. Elle propose des repas familiaux à un prix raisonnable et donne accès à des sanitaires bien entretenus. C’est vraiment agréable d’y retrouver les collègues en fin de journée. L’ambiance est conviviale, on peut y faire part de notre journée. D’ailleurs même les vacanciers font halte dans ces enseignes désormais».

Un boulot qui permet d’échapper à la météo belge capricieuse. « C’est toujours plus sympa de circuler en Méditerranée ou de traverser les Alpes que de se retrouver dans les embouteillages bruxellois », rigole François.
Un boulot qui permet d’échapper à la météo belge capricieuse. « C’est toujours plus sympa de circuler en Méditerranée ou de traverser les Alpes que de se retrouver dans les embouteillages bruxellois », rigole François. - DR

Un sentiment de liberté

François a parcouru plusieurs milliers de kilomètres et vu pas mal de paysages durant sa carrière: «C’est l’un des attraits important de ce métier. Le sentiment de liberté qu’il procure. On a bien sûr un timing de livraison et des règles à respecter mais on est assez flexible dans la manière de gérer ses journées. On n’est pas dans une logique métro-boulot-dodo. Il permet aussi de s’échapper, de découvrir de nouveaux endroits et de s’extirper de la grisaille belge. La conduite me procure également une échappatoire, des moments où je peux réfléchir sereinement dans un environnement calme, sans sollicitations constantes et je peux remettre tout à plat. Sans parler des échanges avec les collègues, le plus souvent des personnes engagées et passionnés, comme en agriculture d’ailleurs, qui ne font pas ce job pour gagner de l’argent mais ont réellement ça dans le sang ».

La rémunération reste néanmoins correcte : « On est payé en fonction de l’effort fourni bien sûr. Toutes les heures sont comptées avec des différences selon le temps considéré. Le temps de conduite est rémunéré au salaire horaire normal et taxé. On ajoute une indemnité horaire non taxable pour le manque de confort. Le temps de repos est aussi rémunéré par nuitée et non imposable. Il couvre notamment le repas et le fait de déloger. On a un contrat sur 6 jours. On peut donc commencer le lundi matin et finir le samedi soir mais cela dépend aussi des trajets à réaliser et de l’organisation des livraisons. Il arrive que le travail manque comme c’est le cas en ce début d’année, sans doute du fait, en partie, de l’après Covid où les usines ont galéré pour répondre aux demandes et des ventes moins intenses dans le BTP actuellement. Néanmoins, le constat semble être général dans le transport et on a plus vu aussi peu de mouvement depuis la fin des années 80’.», explique-t-il encore.

« Les chauffeurs routiers internationaux sont engagés dans leur métier comme l’est un agriculteur dans sa ferme ! »

«On a tendance à stigmatiser notre profession. Je m’emploie à casser ce mythe», explique le chauffeur routier
«On a tendance à stigmatiser notre profession. Je m’emploie à casser ce mythe», explique le chauffeur routier - DR

Une vie à part

Cette carrière, François ne la regrette pas. Mais, il est conscient qu’elle demande certains compromis. «Quand on est chauffeur routier à l’internationale, on peut être absent jusqu’au samedi soir. Il n’est pas possible de prévoir des activités fixes. L’entourage reste toujours dans l’expectative de notre présence lors d’évènements. Sentimentalement, c’est également plus difficile de s’engager. La solitude peut peser d’un côté comme de l’autre. J’ai eu la chance d’avoir une relation assez longue mais à force, ça a quand même usé notre couple car tous les projets sont souvent mis au conditionnel. Certains chauffeurs arrivent à s’épanouir et construire quelque chose de stable mais cela demande une certaine tolérance de l’un et l’autre. Quand on rentre, on sort d’une grosse semaine et la fatigue prend parfois le dessus. On a besoin de récupérer. Quand ta famille ne t’a pas vu depuis des jours, elle n’a peut-être pas envie de se retrouver face à cela. Il est clair que je ne sais pas ce que c’est la vie de famille. Je n’ai jamais sorti les poubelles le mardi… J’ai vécu ma vie en parallèle des autres et parfois j’ai l’impression d’être passé à côté de certaines choses. Je mentirais si je disais n’être pas dans la remise en question quant au futur. A mon âge, tout est encore possible et ce n’est pas à 60 ans que je pourrai faire ces choix», détaille-t-il.

François n’agirait pour autant pas différemment : «Je ne regrette pas ma carrière et je conseille même vivement aux jeunes de foncer si cela fait écho en eux. Je ne pense pas que notre métier ait plus d’inconvénients ou moins d’avantages que d’autres. J’ai vécu des choses que d’autres n’ont pas vécues à 40 ans mais, évidemment certaines me manquent aussi. Je n’ai pas plus ou moins de regrets que la plupart des gens mais je suis à un stade de ma vie où tout est encore possible et je peux envisager la suite autrement. J’assume les choix que j’ai posés. Ce qui importe je pense, c’est que j’ai toujours fait ça par passion et j’ai eu la chance d’avoir une ouverture différente au monde », conclut-il.

Delphine Jaunard

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