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Le labyrinthe logistique de la Raffinerie Tirlemontoise démystifié

Avant qu’un morceau de sucre ne quitte la raffinerie, un long chemin est parcouru. De la culture des betteraves à l’usine de production, le transport et la logistique jouent un rôle crucial. Nous avons rencontré Kristof Vrancken, agro-manager à la Raffinerie Tirlemontoise (RT), qui supervise cette organisation complexe.

Temps de lecture : 9 min

En janvier, nous retrouvons Kristof Vrancken au siège de l’entreprise à Tirlemont. Bio-ingénieur, il a d’abord travaillé cinq ans chez Beneo comme agronome avant de rejoindre la RT, où il en est à sa deuxième campagne betteravière. «Je pense que c’est le job de ma vie. Coordonner de nombreuses activités me convient parfaitement. En automne et en hiver, je fais de longues journées, y compris le week-end, mais je profite aussi d’un été relativement calme.»

Une campagne intense

À l’arrière de l’usine, les camions continuent d’affluer pour livrer les racines. «La campagne 2024-2025 est plus longue que prévue en raison de l’automne pluvieux et de problèmes techniques rencontrés sur nos sites de Longchamps et Wanze.» Durant cette période, M. Vrancken est responsable de la logistique des 11 avaleuses de tas et de la réception des betteraves de près de 4.000 planteurs pour les usines de Tirlemont et de Longchamps. Il s’occupe également de la logistique des co-produits.

Son travail ne se limite pas à la campagne betteravière. Avant la récolte, tout commence par une planification minutieuse. «Notre département compte 15 ingénieurs agronomes. Ils conseillent les cultivateurs sur diverses questions comme l’achat de semences et la protection des cultures, et ils assurent également le lien entre les planteurs et la RT pour les contrats.»

Casse-tête logistique

Avant que la première betterave ne soit récoltée, toute une saison culturale la précède. Le suivi de la culture est donc essentiel. «L’usine est informée de toutes les étapes : de l’achat des semences à la livraison à l’usine», explique M. Vrancken. «Les agriculteurs planifient leurs cultures dès l’hiver. En janvier-février, ils renseignent où les variétés de betteraves seront semées et enregistrent leurs parcelles sur notre portail. Le planteur peut y rechercher et y indiquer la parcelle concernée à l’aide d’images satellites.»

Pour l’agronome, les données de localisation et de taille correctes de la parcelle sont importantes pour organiser la campagne betteravière en automne. «Les cultivateurs indiquent l’emplacement des tas de betteraves, ce qui est crucial pour l’organisation logistique. En général, le tas se situe sur la parcelle récoltée, mais il arrive parfois qu’il soit placé ailleurs». En effet, les camions et l’avaleuse de tas doivent pouvoir atteindre facilement la parcelle et disposer d’un espace de manœuvre suffisant pour charger les racines. Dans les zones difficiles, il est même préférable que le chargement se fasse pendant la journée. L’agriculteur peut également commander tous les co-produits souhaités (pulpe, radicelle, écume) en hiver.

Une fois ces informations collectées, M. Vrancken orchestre le transport, pour optimiser le chargement et les délais. . «Toutes les parcelles désignées sont analysées. On leur attribue notamment un nom de village. Ces emplacements - c’est-à-dire les villages - sont ensuite affectés à l’une de nos 11 avaleuses. De cette manière, je peux tracer le calendrier de chaque engin.»

«Notre équipe d’agronomes doit faire preuve d’une grande flexibilité»

La rotation, un système équitable

Chaque avaleuse couvre un même circuit quatre fois durant la campagne. «En d’autres termes, la machine retourne à chaque endroit quatre fois entre le début et la fin de la récolte. Ce système permet aux grands exploitants de livrer en quatre étapes, aux exploitations moyennes en deux fois, et aux petites en une seule». Selon M. Vrancken, il s’agit d’un système équitable. «Nos planteurs connaissent bien ce système de rotation et peuvent choisir leurs variétés en conséquence (précoces ou plutôt tardives). Tous les quatre ans, ils livrent plus tôt dans la saison. La plupart des planteurs attendent avec impatience une place dans les cycles 2 ou 3. Après tout, les betteraves poussent encore jusqu’au début du mois de novembre. À cette période, l’humidité n’est généralement pas trop importante et les agriculteurs ne doivent pas encore protéger les tas contre le gel. Le bâchage des tas reste une tâche essentielle dans le cycle 4 pour préserver la richesse des betteraves».

La planification est à peu près finalisée début juillet, mais peut être ajustée en fonction de la météo ou des rendements estimés en août. «Des imprévus peuvent survenir tant chez les planteurs que dans notre usine. La météo, par exemple, peut également mettre des bâtons dans les roues. En août, nous prélevons des échantillons de betteraves afin d’estimer le rendement et la teneur en sucre attendus. Si nécessaire, nous réorganisons le planning. Nous envoyons ensuite une mise à jour du planning aux planteurs».

Les chauffeurs des avaleuses de tas et des camions reçoivent leurs itinéraires, juste avant le début de la campagne.

Pour 500 t de betteraves sucrières, il reste environ 100 t de pulpe. Idéalement, les transporteurs achemineront cette cargaison vers un lieu où ils chargeront également des betteraves.
Pour 500 t de betteraves sucrières, il reste environ 100 t de pulpe. Idéalement, les transporteurs achemineront cette cargaison vers un lieu où ils chargeront également des betteraves. - A.V.

En coordination avec l’usine

Une autre raison de l’importance d’une planification rigoureuse est de permettre une répartition équilibrée des chargements. «En collectant et en planifiant toutes les données bien à l’avance, nous pouvons nous assurer que toutes les machines de chargement traitent un tonnage similaire. Par conséquent, elles finissent à peu près au même moment à la fin de la campagne. Ce n’est pas seulement juste pour les planteurs, c’est aussi nécessaire pour les usines. En effet, le tonnage journalier de nos 11 avaleuses correspond à la capacité de traitement des deux usines».

À Longchamps, l’usine traite 18.000 à 20.000t de betteraves par jour, contre 14.000 à 15.00t à Tirlemont. Une avaleuse peut charger 3.000 à 4.000t en 24h, certaines travaillent 24h sur 24, d’autres 18h par jour. En l’espace de 18h, environ 1.000 camions arrivent à Longchamps, soit 1 à 2 livraisons par minute! À Tirlemont, un camion entre toutes les 3 à 4 minutes, soit environ 600 par jour.

Dans les deux cas, la cours de déchargement est très fréquentée, avec un va-et-vient constant de camions. «C’est un endroit potentiellement dangereux en raison des nombreuses manœuvres. Dans certains cas, un prélèvement doit être effectué avant de pouvoir décharger les betteraves. À Tirlemont, les betteraves sont déversées dans une fosse d’où elles sont propulsées vers le traitement par un jet d’eau. À Longchamps, il existe une «chute sèche» : les betteraves se retrouvent immédiatement sur un tapis roulant.

La cours de déchargement voit également d’autres véhicules au travail, comme des camions qui viennent charger des co-produits.

Environ 80 % du transport de betteraves est effectué par les usines. Les 20 % restants sont réalisés par les planteurs euxmêmes ou par des groupes de planteurs.
Environ 80 % du transport de betteraves est effectué par les usines. Les 20 % restants sont réalisés par les planteurs euxmêmes ou par des groupes de planteurs. - A.V.

S’adapter rapidement

La flexibilité est essentielle. «Avec deux usines et 11 avaleuses ayant des horaires de travail différents, vous pouvez imaginer que notre équipe d’agronomes doit faire preuve d’une grande flexibilité. Tout le monde doit être capable de changer rapidement de poste». M. Vrancken nous donne un exemple réaliste. «Lorsqu’une avaleuses tombe en panne pendant la nuit, l’agronome doit rapidement trouver des solutions, pour éviter toute interruption de la production. La première préoccupation est donc que l’usine ne soit pas «sèche», elle qui est censée être alimentée en permanence. Cela signifie qu’au cœur de la nuit, le planning doit être adapté et que les différents maillons de la chaine - entreprise de transport, chauffeur et planteur - doivent en être informés. De plus, la machine défectueuse doit pouvoir reprendre le travail le plus rapidement possible.»

Outre la fin de la campagne, le début constitue également un casse-tête pour Kristof Vrancken. «Il faut que l’approvisionnement et la marge de betteraves soient suffisants pour que l’usine puisse démarrer à plein régime, mais d’un autre côté, la cours de déchargement a une capacité limitée. C’est un véritable exercice d’équilibre.»

Communication entre chauffeurs

À la RT, la sécurité passe avant tout. Avant chaque campagne, une réunion de sécurité est organisée. «Même si nous travaillons avec les mêmes chauffeurs d’année en année, nous estimons qu’il est important de répéter les procédures et les consignes. Tous nos chauffeurs de camion doivent, par exemple, être en mesure de présenter les certificats nécessaires. Ils signent également une charte et s’engagent ainsi, entre autres, à adopter un bon comportement au volant, à charger en limitant le bruit, à utiliser des protections personnelles (gilet fluo, vêtements et chaussures de sécurité)... Nous soulignons également toujours les points d’attention de la campagne précédente et nous donnons une formation FCA (Food Chain Alliance) aux chauffeurs enregistrés auprès d’elle».

Selon M. Vrancken, les chauffeurs communiquent via radio CB et WhatsApp pour partager des informations sur les itinéraires et les conditions de chargement. «Ils s’informent mutuellement des horaires, de l’accessibilité et de la situation sur la route ou sur le terrain. Ils disposent également d’informations provenant du portail de la RT. Ils y retrouvent notamment l’emplacement exact du tas de betteraves. Se rendre d’ailleurs au tas de betteraves avec une remorque est déjà souvent un défi en soi.»

Le contact entre le chauffeur et l’opérateur de l’avaleuse de tas est crucial. Le chauffeur doit scanner son badge avant de commencer le chargement et surveiller le déroulement du celui-ci.

Au niveau du déterreur, les rouleaux axiaux enlèvent un maximum de mauvaises herbes et de terre pour les laisser au champ. Par le biais d’un tapis, les betteraves nettoyées aboutissent ensuite dans le camion pour être transportées vers l’usine. «Il est important que la tare soit la plus faible possible. La terre cultivée doit rester au champ. Cette pratique augmente la durabilité de l’ensemble du secteur betteravier». M. Vrancken indique que, dans des conditions sèches, la tare représente environ 2 à 3% du tonnage brut. Cette saison, elle est de 6 à 7%. «Compte tenu des mauvaises conditions météorologiques, c’est certainement encore acceptable», ajoute-t-il.

À l’arrivée à l’usine, le chauffeur doit scanner son badge une seconde fois et apprend ensuite si un échantillon doit être prélevé sur sa cargaison.

Transport assuré par les planteurs

Environ 80 % du transport des betteraves est pris en charge par la RT, les 20% restant sont effectués par les planteurs eux-mêmes ou des transporteurs tiers. «Ce système est unique en Europe», explique M. Vrancken. «Nous laissons ce choix à l’agronome. En général, il en a toujours été ainsi dans certaines familles et cela se transmet simplement d’une génération à l’autre. Cependant, ils doivent être en mesure de fournir un certain volume avec leur propre transport. En général, notre agronome établit un accord de livraison adapté au planteur. En interne, nous appelons ce système ‘axe’».

Dans certaines régions, il existe des groupes de planteurs qui se chargent eux-mêmes du transport commun. Ce type d’organisation est appelé «faux axe». Ces planteurs, en concertation avec les agronomes, planifient leur approvisionnement à l’usine avec un entrepreneur ou une société de transport.

Gestion des co-produits

Kristof Vrancken est également chargé de la logistique des co-produits. «Un camion sur cinq transporte des pulpes, des radicelles de betteraves ou des écumes. Pour 500 t de betteraves sucrières, par exemple, il reste environ 100 t de pulpe. Idéalement, ils transportent cette cargaison vers un lieu où ils chargeront également des betteraves.»

Étant donné que les pulpes et les radicelles sont destinées à l’alimentation animale, ces transports doivent répondre à des exigences supplémentaires. «Cela inclut le nettoyage des camions entre le chargement des betteraves et celui des aliments pour animaux. De plus, ce transport ne peut être effectué que par notre flotte enregistrée auprès de la Food Chain Alliance».

Les autres flux de transport nécessaires au fonctionnement de l’usine - par exemple les acides, les sels, les mélasses ou les produits finis à base de sucre - sont pris en charge par d’autres services logistiques.

Une campagne plus courte

La RT prévoit une réduction de 15 % de la surface cultivée cette année pour éviter un excédent de sucre sur le marché mondial. «En raison de la situation internationale, la direction souhaite garantir un prix du sucre décent aux planteurs. Pour nous, cela signifie une logistique adaptée. Les tas de betteraves seront plus petits qu’au cours d’une campagne normale et la campagne sera plus courte.»

D’après Anne Vandenbosch

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