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La faute à qui?

La semaine avant Pâques, un article du journal Le Soir (du 16 avril dernier sous la plume de F. Delepierre) tentait d’expliquer au grand public les difficultés rencontrées par le secteur bio pour atteindre ses objectifs. Alors, la faute à qui ? À quoi ?

Temps de lecture : 5 min

Le journaliste interroge des acteurs de la filière et dégage 5 axes de réflexion : l’organisation du marché, une formation spécifique insuffisante, pas assez de communication, un manque de soutien financier et la différence de prix.

La semaine suivante, dans Le Sillon Belge, je lis plusieurs publications illustrant indirectement le sujet : dans la voix de la terre, Marc Assin témoigne des difficultés rencontrées par un agriculteur de ses connaissances (conventionnel puis bio). Valérie Neysen fait l’autopsie du métier d’agriculteur dans sa grande complexité, quel que soit le modèle. Et dans l’édito introduisant le dossier « Enseignement » Marie-France Vienne souligne à quel point celui-ci a intégré l’environnement dans l’agronomie.

Le sujet trotte dans ma tête… Peut-être puis-je y ajouter le recul de la ligne du temps ? J’ai connu le bio lors de son émergence, il y a un demi-siècle ! Je l’ai même connu de l’intérieur à l’époque où les journalistes et les politiques s’en foutaient.

C’était pourtant le paroxysme de l’agriculture intensive avec des dérives, heureusement écartées. Le premier objectif du bio était de dire « Stop » à ces excès et d’explorer une autre alternative, parfois teintée de nostalgie : remettre l’organique à l’honneur, rendre sa place aux rotations plus longues, produire autre chose que des vesces en engrais verts, repenser le travail du sol par rapport au labour systématique. Bref, restaurer des fondamentaux.

Depuis, tous ces paramètres sont intégrés et maîtrisés en agriculture raisonnée, de plus en plus agroécologique. Objectif atteint mais c’est peut-être plus difficile pour le bio de progresser quand l’agriculture conventionnelle a évolué dans le sens souhaité. De fait, la production locale traditionnelle doit elle-même se défendre face aux importations low-cost.

Il suffit, pour s’en rendre compte, de parcourir les supermarchés et de regarder ces chariots débordant de calories multicolores que le consumérisme ambiant invite à consommer « tout préparé ».

La loi des 20/80 (Pareto) s’impose d’elle-même : 80 % du marché va au moins cher. On sait que la variable d’ajustement au prix, c’est l’agriculteur et que les contours de ce marché sont planétaires. Reste 20 % pour les produits locaux, de terroirs et/ou bios. En France, le marché du tabac (avec interdiction de publicité) fait 20 milliards  €. Celui du bio, 12 milliards !

Viser 30 % du marché, c’est beau mais irréaliste dans une économie libérale. Ce n’est en tout cas pas la faute à l’enseignement, qui, justement, va dans le même sens. Si la consommation du bio plafonne, ce n’est pas non plus faute de communication. Quasi tous les reportages sur l’agroalimentaire, soit valorisent l’effort de qualité des producteurs, soit dénoncent les risques quand on s’en écarte.

Manque de soutien financier ? Mais toute la Pac a évolué dans ce sens. Du soutien à la production au départ, elle se répartit selon deux axes : la défense de nos productions face au libre-échange d’une part, des incitants au respect de l’environnement, à commencer par le bio, d’autre part.

Reste le dernier point : des prix généralement plus élevés, ce qui est tout à fait justifié. Y a-t-il une marge de manœuvre à ce niveau ? Tout dépend des spéculations… Deux exemples : la vigne et la céréale.

La vigne consomme, en éléments nutritifs, 5 x moins qu’une betterave. Il est donc aisé de subvenir à ses besoins dans un contexte naturel. La recherche de la qualité et la manière d’en parler, c’est l’ADN de la viticulture. Le principal ennemi ? le mildiou en année humide. Et là, on met le doigt sur un choix délicat : le cuivre, métal lourd qui s’accumule est autorisé d’un côté alors qu’il existe des molécules de synthèse dont l’écotoxicité est plus acceptable. On a l’impression que cela coince entre la science et le dogme. Hormis ce facteur « protection » dans les régions plus humides, le vin bio n’est pas plus cher à produire.

Pour les céréales, c’est plus compliqué. L’azote minéral avait été ostracisé au départ. Et de fait, il y avait surconsommation d’engrais au fil des « trente glorieuses ». Le différentiel de rendement entre les modèles (conventionnel/bio) était aussi plus faible, et donc, la différence de prix moindre.

De nos jours, en simplifiant, 100 quintaux / ha d’un côté, 50 de l’autre, c’est inévitable. Après avoir négligé l’organique au cours des décennies précédentes, on aurait tendance aujourd’hui à vouloir ignorer ses limites. Sans azote minéral, il faut deux fois plus d’espace, ce qui signifie moins de place pour la forêt et tout le reste… Autre observation au niveau « Bilan Carbone » : une tonne d’énergie fossile investie dans l’azote minéral appliqué à la bonne dose, c’est 10 x plus d’énergie renouvelable au compteur.

De nouveau, c’est difficile de toucher aux dogmes liés à la fertilisation et à la protection des cultures. On comprend qu’un pulvérisateur dans les champs n’a rien de séduisant. Mais peut-on faire remarquer que les Belges consomment 20 x plus de budget en pharmacie que le total de ce qui s’applique en phytopharmacie dans tout le pays pour la protection des cultures ?

Est-ce que le bio et le conventionnel, en dépassant des a priori qui ne se justifient plus tellement, peuvent se rencontrer dans l’agroécologie ? Ce serait à l’agriculteur, sur le terrain et selon les conditions de l’année, de mettre le curseur là où le bon sens recommande de le faire.

Est-ce que notre époque est prête à l’entendre ? On voit surtout s’ériger un système de bloc contre bloc, sans nuances. Peut-on s’intéresser à ce qui se fait autrement, sans stigmatiser ?

Cela ne semble pas dans l’air du temps. Si vous souhaitez lire tout le mal qu’on peut penser de l’agriculture, je vous recommande « Silence dans les champs » de Nicola Legendre, (2023), journaliste au journal Le Monde.

Et si vous voulez savoir tout le mal qu’on peut trouver chez les écologistes, je vous recommande « Les illusionnistes » de Woessner et Seznec (2024), journalistes à l’hebdomadaire français Le Point.

Ainsi va le monde !

JMP

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