Pragmatisme…ou relâchement?

C’est un tournant discret, mais décisif, que vient d’amorcer la commission. Derrière un nouveau paquet de simplification présenté la semaine dernière (lire en pages intérieures), se profile une reconfiguration en profondeur de la Pac. Moins de paperasse, plus de flexibilité, un soupçon de numérique…
Depuis des années, les agriculteurs européens ploient sous des injonctions contradictoires. Produire plus avec moins, préserver la biodiversité sans sacrifier les rendements, investir dans le vert sans garanties de rentabilité. Tout le monde en convenait, le contrat était intenable. Les manifestations de 2024 l’ont d’ailleurs rappelé aux décideurs politiques. Les économies annoncées, jusqu’à 1,58 milliard € par an pour les exploitants et 210 millions € pour les administrations nationales ne sont pas anecdotiques. Mais l’essentiel est ailleurs. En acceptant que les États membres puissent adapter les conditionnalités environnementales à leurs réalités nationales, la commission acte la fin d’une vision uniforme de l’écologie agricole. Une norme unique pour vingt-sept agricultures différentes ? L’idée relevait du fantasme technocratique. Il était temps d’y renoncer.
Ce geste vers les territoires ne signifie pas nécessairement l’abandon des ambitions climatiques. L’Exécutif le martèle, les objectifs restent, les moyens évoluent. On parle désormais d’équivalences plutôt que d’obligations. De simplification plutôt que de renoncement. L’intention est louable, à condition que la flexibilité ne devienne pas une porte ouverte au relâchement. C’est précisément là que les écologistes s’alarment. Cette réforme risque de vider de leur substance les exigences écologiques de la Pac, au moment même où les pressions sur les écosystèmes s’intensifient. Le soupçon n’est pas infondé. L’Europe, échaudée par ses propres ambitions non tenues, notamment celles du Pacte Vert qui est quasiment passé à la trappe, semble aujourd’hui adopter une posture plus gestionnaire que visionnaire. Certains y voient un ajustement pragmatique, d’autres, une capitulation devant la pression politique et sociale.
Avec cette réforme, la commission ne sacrifie pas formellement son ambition verte, elle tente plutôt de la sauver par la voie du compromis. En la reconnectant à la réalité du terrain, en soutenant davantage les petites exploitations, en misant sur la numérisation pour simplifier sans affaiblir. C’est une forme de maturité politique, celle qui accepte que la transition agricole ne peut se faire ni contre les agriculteurs, ni sans eux.
Mais c’est aussi un pari risqué, celui de ne pas perdre l’essence de la transition en voulant trop accommoder sa forme.