Farm Europe appelle à refonder l’ambition agricole européenne
À l’occasion du Global Food Forum, qui s’est tenu les 12 et 13 mai à Jodoigne, Yves Madre, cofondateur du cercle de réflexion Farm Europe et ancien conseiller principal du commissaire européen à l’Agriculture Dacian Ciolos, a dressé un état des lieux sans détour de l’agriculture européenne. À l’heure où se profilent les discussions budgétaires et la réforme de la Pac, il a plaidé pour une stratégie claire, ambitieuse et collective, afin de redonner sens et cohérence aux politiques agricoles de l’UE.

D’ici quelques semaines, la commission présentera son projet de budget pluriannuel (2028–2034) ainsi que ses premières pistes pour une nouvelle Pac. Pour Yves Madre, ces propositions seront déterminantes pour répondre à une double urgence, assurer la souveraineté alimentaire de l’UE et réussir la transition vers une économie décarbonée.
« Il faut poser les bonnes questions aujourd’hui. Quel niveau de production voulons-nous ? Quels moyens mettons-nous en face ? », a-t-il lancé devant un parterre de professionnels, d’élus et de décideurs politiques réunis pour l’occasion, parmi lesquels le ministre David Clarinval, le commissaire Christophe Hansen et de nombreux eurodéputés.
Une Europe agricole fragilisée
Pour objectiver le débat, Farm Europe a actualisé son radar de durabilité et de souveraineté des systèmes alimentaires européens, basé sur 24 indicateurs. Le diagnostic est préoccupant.
Si l’Europe reste une grande puissance agricole, avec une balance commerciale excédentaire et des progrès environnementaux tangibles, la dynamique économique et sociale s’essouffle dangereusement. Les revenus agricoles sont en recul. Les filières animales, les grandes cultures ou encore les oléagineux montrent des signes d’essoufflement inquiétants. « Nous assistons à une dégradation rapide dans des secteurs pourtant historiquement solides », a souligné Yves Madre.
Un affaiblissement budgétaire préoccupant
Depuis 2020, la Pac a perdu 85 milliards € en valeur réelle, en raison de l’inflation et du gel des montants en euros courants. Et la tendance pourrait s’aggraver. En cas de reconduction du cadre actuel, 166 milliards € supplémentaires pourraient manquer sur la période 2027–2034, avec une baisse des aides directes de 54 % par rapport à 2020. Pour M. Madre, la situation « n’est plus tenable, la Pac ne peut pas continuer à se réduire pendant qu’on en attend toujours plus ».
Le cofondateur du cercle de réflexion a formulé une autre critique majeure qui porte sur la logique actuelle de « renationalisation » de la Pac. Selon lui, la flexibilité accordée aux États membres affaiblit la cohérence de la Pac et accentue les inégalités entre pays. « On crée une Europe agricole à plusieurs vitesses, où seuls les États les plus riches peuvent compenser par des aides nationales. Ce n’est ni juste, ni efficace ».
Il plaide pour une flexibilité adaptée aux exploitations agricoles, pas aux logiques budgétaires des capitales. « Ce sont les agriculteurs qui doivent bénéficier d’une approche sur mesure, pas les ministères ».
Yves Madre a insisté sur la notion de défi climatique qui impose de produire plus, et mieux. Selon les calculs de Farm Europe, l’UE devra augmenter sa production agricole de 13 % d’ici 2030, et de 25 % d’ici 2035, pour répondre à la demande alimentaire, énergétique et industrielle sans recourir aux importations massives.
Pour une trajectoire de croissance maîrtisée
« La transition écologique ne se fera pas contre l’agriculture, mais grâce à elle », a-t-il martelé avant de rappeler que l’agriculture européenne dispose d’atouts uniques (biomasse, photosynthèse, carbone organique) qui doivent être pleinement mobilisés dans le cadre d’une bioéconomie européenne souveraine.
Pour atteindre les objectifs de décarbonation fixés d’ici 2030 dans les secteurs des transports, du bâtiment, des plastiques ou encore de la chimie, objectifs déjà actés par les colégislateurs européens, il faudra accroître la production agricole de 13 % d’ici à 2030, et de 25 % d’ici à 2050, tous secteurs confondus, qu’il s’agisse de productions végétales ou animales.
Ce défi appelle une mobilisation réelle de l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire, y compris, les responsables politiques. «C’est en affirmant clairement une orientation vers une intensification durable de la production agricole, et en l’accompagnant d’investissements industriels cohérents, que cette stratégie pourra aboutir» a poursuivi Yves Madre. Et d’ajouter qu’il s’agit, tout simplement, «de faire le choix de valoriser les capacités de production existantes et d’opter pour une trajectoire de croissance maîtrisée, plutôt que de céder à la logique de décroissance».
Une stratégie industrielle et agricole conjointe
Cette transition implique une synergie nouvelle entre la Pac, la politique industrielle et les normes européennes. Yves Madre a appelé à aligner les objectifs climatiques avec les leviers économiques. Il a évoqué un soutien à la production de biocarburants durables, un développement de filières biosourcées, des investissements dans les infrastructures locales, et des commandes publiques vertes.
« Il faut une politique agricole forte, mais aussi une stratégie industrielle qui fasse de l’agriculture une colonne vertébrale de la transition verte européenne. »
Yves Madre a enfin exhorté les institutions européennes à sortir de la logique du repli et de l’austérité : « L’Europe doit se demander si elle veut encore être une puissance agricole et alimentaire. Si la réponse est oui, alors il faut se donner les moyens» a-t-il encore insisté.