«Il faut que l’Europe ne perde plus d’agriculteurs»
Dans la droite ligne de la Vision pour l’Agriculture qu’il a présentée en février dernier, le commissaire Christophe Hansen a réaffirmé, lors du Global Food Forum des 12 et 13 mai, son ambition pour l’avenir du secteur agroalimentaire européen. Alors que la croissance durable s’impose comme un impératif stratégique, il a lancé un appel à l’engagement collectif pour faire de l’agriculture un pilier compétitif, résilient et pleinement reconnu comme atout stratégique de l’UE.

« Relancer le moteur de la production agricole européenne », voilà la thématique qui a animé le dernier Gobal Food Forum.
Le retour des clauses miroirs
Une dynamique qui ne saurait se concrétiser sans écouter ceux qui font vivre nos campagnes, et dont la colère de l’année passée a constitué un tournant décisif. Au cœur de ces tensions, une demande claire avait émergé, celle de plus de justice, plus de réciprocité, et moins de complexité bureaucratique. Et leur voix « a été entendue » a assuré Christophe Hansen, ajoutant qu’en réponse, « la commission a initié une série de mesures de simplification, auxquelles d’autres viendront s’ajouter ».
Le commissaire a voulu adopter un discours ferme par rapport aux règles du commerce qui doivent être justes et équitables pour tous. « Si un produit est interdit en Europe en raison de ses effets nuisibles sur les pollinisateurs, les plantes ou la santé humaine, il ne doit pas être autorisé à entrer sur notre marché », a-t-il insisté, appelant à une mise en œuvre stricte des clauses miroirs. Il a ainsi dénoncé l’absence de réciprocité avec certains partenaires commerciaux, une situation préjudiciable aux agriculteurs européens, contraints de respecter des normes strictes.
Dans cette optique de protection des intérêts européens, le commissaire a annoncé qu’il prendrait la direction du Japon en juin prochain pour une mission économique visant à promouvoir les produits agroalimentaires européens. « Les entreprises répondent présentes, ce qui témoigne de la détermination de nos producteurs à exporter, même dans un contexte global tendu, notamment avec les États-Unis et la Chine », a-t-il souligné. Cette approche offensive cherche à ouvrir de nouveaux marchés tout en préservant des standards de qualité élevés.
Un prix plus juste pour une chaîne alimentaire équilibrée
Christophe Hansen est également revenu sur un enjeu majeur, celui d’assurer un revenu décent aux agriculteurs. Selon lui, deux propositions législatives en cours d’examen revêtent une importance cruciale. La première vise à combattre les pratiques commerciales déloyales, tandis que la seconde porte sur la révision de l’Organisation commune des marchés (OCM). Toutes deux poursuivent l’ objectif commun de rétablir un équilibre plus juste dans les rapports de force au sein de la chaîne de valeur agroalimentaire, au profit des producteurs.
Pour le commissaire luxembourgeois, la modernisation de l’administration agricole est une nécessité incontournable. Dans cette perspective, il a annoncé son ambition de réduire les charges administratives de 1,5 milliard € par an, avec une attention particulière portée aux exploitations biologiques et de petite taille. Il n’a pas manqué de critiquer certaines transpositions nationales, jugées excessivement rigides et contre-productives, qui complexifient inutilement les règlements européens. Ce qui lui a fait dire, non sans humour, que «parfois, on est plus catholique que le pape ».
Cette volonté de simplification s’inscrit dans une démarche plus large, prévoyant une seconde phase de réformes destinée à alléger les contrôles redondants et à centraliser les démarches administratives (voir p. 14). « Un seul rapport annuel au lieu de cinq ou six, c’est davantage de sérénité pour nos agriculteurs », a-t-il souligné, insistant sur la nécessité de réduire la pression bureaucratique qui pèse lourdement sur le monde agricole.
Une Pac plus ciblée, plus équitable
La réforme de la Pac s’annonce sous le signe de la résilience, une priorité à laquelle le commissaire M. Hansen attache une importance capitale. Confronté à un secteur en profonde mutation, il alerte sur des chiffres alarmants : seuls 12 % des agriculteurs ont aujourd’hui moins de 40 ans, et plus de trois millions d’exploitations ont disparu en une décennie. Dans les mois à venir, les négociations autour du budget agricole s’annoncent cruciales. Le commissaire plaide pour une Pac plus ciblée, avec un appui renforcé aux petites exploitations, aux zones à handicap naturel et aux jeunes agriculteurs. Il souhaite également une redéfinition plus précise de la notion d’« agriculteur actif », afin de garantir que les aides bénéficient réellement à ceux qui vivent de la terre. Autre sujet désormais mis sur la table, la dégressivité des aides. Longtemps taboue, cette mesure pourrait devenir un levier central pour enrayer la disparition des petites fermes et assurer une répartition plus équitable des soutiens européens.
Investissements, prévisibilité et bioéconomie
Le commissaire Christophe Hansen tire la sonnette d’alarme sur un enjeu capital : le manque criant d’investissements dans le secteur agricole, chiffré à 62 milliards € par la Banque européenne d’investissement (BEI). À ses yeux, ce déficit est aggravé par une absence de prévisibilité, qui freine considérablement l’octroi de crédits. « Sans visibilité, pas de financement. Et sans financement, pas d’avenir », résume-t-il, pointant l’urgence de rétablir des conditions de confiance pour assurer la pérennité du monde agricole.
Au cœur de cette transformation, l’agriculture est appelée à devenir un acteur central de la bioéconomie, une ambition partagée avec la commissaire à l’Environnement Jessica Roswell. Dans cette vision d’avenir, l’eau s’impose comme une ressource stratégique, à la fois objet de préservation et levier d’adaptation face aux événements climatiques extrêmes. Elle sera un élément structurant d’une stratégie de résilience à la fois durable et adaptée aux réalités du terrain.
L’élevage en héritage
L’élevage constitue un sujet sensible pour Christophe Hansen, personnellement touché par la récente fermeture de la ferme familiale. Pour le commissaire luxembourgeois, cette activité ne se résume pas à une production agricole. Dans de nombreuses régions, en particulier les zones de montagne, elle représente l’unique forme d’agriculture viable. Elle est aussi un moteur de biodiversité et un pilier essentiel du tissu économique rural, notamment à travers le tourisme.
Alors que certains pays enregistrent une baisse du cheptel de 7 à 13 %, le commissaire appelle à un véritable sursaut. Il plaide pour une relance fondée sur trois axes : investissements ciblés, innovation adaptée, et reconnaissance du rôle territorial de l’élevage. « Nous devons agir pour que l’élevage reste une option viable, attrayante et durable », a-t-il affirmé.
« Je suis fils et frère d’agriculteur. Je viens d’une famille de sept enfants et j’ai appris à me battre pour ce qui est juste », a rappelé le commissaire Hansen, faisant écho aux propos qu’il avait prononcé lors de son audition du 4 novembre dernier devant le parlement. Un ancrage personnel qui confère à ses engagements une résonance particulière. Reste désormais à traduire ces paroles en actes, car c’est bien cette combativité que les agriculteurs attendent concrètement de lui et de ses services.