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Nos amis les animaux

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Je voudrais vous parler d’eux, parce qu’on ne les aime pas. On les supporte, tout au plus ; on cherche à les éliminer, le plus souvent. Vous parlez d’eux, oui ! –, de tous ces animaux autour de nous, qui se sont invités dans nos fermes sans permission, pour y trouver le gîte et le couvert, pour s’y reproduire et vivre leurs existences tranquilles de petites bêtes bien moins méchantes que nous, les humains !

Nuisibles, ravageurs, parasites, vecteurs de maladies, dégoûtants, dérangeants : les qualificatifs ne manquent pas pour clamer notre exaspération de les voir quelquefois proliférer et envahir notre espace de vie. Des milliers de bêtes peuplent nos exploitations agricoles, nous accompagnent dans les moindres de nos mouvements ! Chaque ferme est un écosystème à part entière, n’en déplaise aux écologistes, lesquels nous accusent d’amoindrir la biodiversité.

Qu’ils viennent donc visiter et constater à quel point nos colonies de mouches prolifèrent, combien nos souris et nos rats se multiplient. Nos belettes et nos fouines se plaisent très bien chez nous ; nos renards rôdent joyeusement dans nos champs alentour ; nos hérissons se délectent d’innombrables limaces ; nos orvets et nos lézards se la coulent douce sur nos murs de pierres sèches ; nos loups…, mais non je blague : pas de loup, mes p’tits loups !

Je dis « nos », bien qu’ils ne m’appartiennent pas. La notion de propriété ne s’applique pas à ces petites bébêtes, bien qu’ils se nourrissent de nos aliments, nous imposent une taxe « partage » quand ils se servent dans l’auge des vaches, viennent lécher le lait des veaux ou ronger quelques pommes de terre. Parfois, trop souvent à nos yeux, ils exagèrent, jouent les messieurs et les mesdames Sans-gêne ; ils s’empiffrent et organisent des (bettes)rave-parties, laissent traîner leurs déjections et oublient sur le champ de bataille des congénères momifiés. Ils salissent les tanks à lait, harcèlent nos vaches et nos veaux. De toute évidence, personne n’a jamais pris le temps de leur inculquer des règles élémentaires de savoir-vivre !

J’allais oublier les oiseaux ! Les moineaux, les hirondelles, et d’autres volatiles qu’il m’est impossible de citer, car ils sont trop petits et difficiles à reconnaître. Les grandes étables sont de vraies volières, à nulles autres pareilles. Ça chante et ça pépie à qui mieux mieux chaque matin et soir, en d’impromptues aubades et sérénades ! Ça fiente aussi, ne nous déplaise… Ça se noie dans les abreuvoirs, quelquefois. Nos préférées sont les hirondelles, bien évidemment, si gracieuses et tellement utiles pour réguler les populations de mouches !

Figurez-vous qu’elles déclenchèrent chez nous une crise existentielle, un jour de juin, quand un inspecteur de la QFL (Qualité Filière Lait), nous demanda instamment d’enlever un de leurs nids, accroché tout en haut sur un mur de la laiterie, très loin pourtant du tank à lait et de la machine à traire. Des jeunes y pépiaient déjà, et mon épouse refusa catégoriquement, ce qui créa un incident diplomatique qui nous coûta notre agrément. Détruire un nid d’hirondelles porte-malheur, car ces oiseaux sont magiques : fallait-il que ce contrôleur soit stupide pour ignorer une telle vérité ! Il n’était point issu du milieu paysan, de toute évidence !

Car nous autres agriculteurs respectons la vie qui foisonne autour de nous. Chaque être vivant a le droit d’exister, à deux, quatre ou six pattes. Ou à huit pattes, comme les araignées ! Celles-ci font l’objet d’une répulsion universelle, dieu sait pourquoi ? Leurs grandes toiles se déploient dans les bâtiments de ferme et se chargent volontiers de poussière. Ces draperies peu esthétiques donnent aux intérieurs un aspect sale et négligé, et sont régulièrement enlevées. Il faut « faire les rontouilles » (les toiles d’araignée) régulièrement, pour garder aux étables un aspect propret. Pourtant, la présence de ces toiles est le signe d’une bonne atmosphère dans l’étable, d’une aération correcte. Dans les élevages industriels de cochons et de volaille, les araignées sont très peu présentes, pas plus que les mouches, les hirondelles et autres animaux commensaux.

Enfin, « commensaux » (= qui mangent à la même table), c’est vite dit ! La plupart d’entre vous parleront plutôt d’animaux « parasites », « nuisibles », ou encore « ravageurs ». Difficile de trouver les rats sympathiques, les limaces adorables, les guêpes mignonnes, les renards et les rapaces inoffensifs… Tout ce petit monde constitue un écosystème où chacun occupe une niche. Si on bousille les nids d’hirondelles et de guêpes, il ne faut pas s’étonner de voir la population des mouches devenir hors de contrôle ! De même, nos chats domestiques, -sauf les chasseurs de croquettes… –, se chargent volontiers d’éliminer les souris en surnombre ; nos chiens, sauf les peureux et les pantouflards, mènent une guerre impitoyable aux rats. Les hérissons mangent les limaces et les escargots qui menacent notre potager. Renards, fouines et belettes se chargent des campagnols en prairie et de temps à autre se servent au poulailler : personne n’est parfait… et sûrement pas nous ! Ces milliers, ces millions d’animaux partagent notre vie au sein de nos fermes, que nous le voulions ou non. Ils sont intéressants à observer, et font partie de notre environnement. Notre vie serait bien triste sans le chant de nos oiseaux, les grignotements furtifs des souris, les glapissements des renards, les reflets iridescents des toiles d’araignées déployées aux fenêtres, les chatouillis légers des mouches et les bourdonnements des abeilles & Cie. Nos amis les animaux !

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