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Aller simple pour l’enfer

Adrien Dolimont n’aime pas les tueurs. Vous non plus ? Moi, je n’ai rien contre eux, car un « tueur » chez nous est un monsieur qui vient tuer les cochons à la ferme, et le cas échéant l’un ou l’autre mouton, une génisse ou une jeune vache pour le congélateur.

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Mais chhhuuuttt ! Ne le dites à personne, car les abattages à domicile sont très réglementés. Ils seront bientôt interdits, a décrété notre ministre-président Dolimont, en charge du bien-être animal au sein de notre gouvernement wallon. Et nos lapins ? Et nos poules et poulets ? Faudra-t-il demander des autorisations, passer par un abattoir agréé ? Pour tuer des mouches, sans doute faudra-t-il demander bientôt un permis… Légiférer nos poules ? M’enfin !

Les « tueux », comme on dit chez nous en wallon de Haute-Sûre, sont de vrais professionnels, bouchers de métier pour la plupart. Il suffit de leur téléphoner ; on convient d’un jour, et ils viennent très vite en cas d’urgence : veau à la patte cassée, claquage d’un taureau ou hémorragie lors d’un vêlage difficile. Ils tuent « en douceur », donnent la mort sans que l’animal ne stresse.

Le cochon, par exemple, reste dans sa loge, lève la tête pour qu’on lui gratte le cou… et se prend une boule de fonte sur le crâne. Clap de fin ! Le gros pépère n’a rien vu venir et s’effondre d’un seul coup. La suite, vous la connaissez sans doute, si vous avez plus de soixante ans. Le tueur plonge un « stitcheu » (couteau effilé) dans sa gorge et on récupère le sang pour le boudin. Puis on brûle les soies au chalumeau ou à la paille. L’animal est vidé, découpé, enjambonné, côtellettisé, saucissonné, salé, enlardé, cuisiné en pâtés et gelées. Les moutons et les chèvres sont étourdis au marteau, puis égorgées sans qu’elles réalisent ce qui leur arrive. Les bovins sont sacrifiés au matador (de l’espagnol « matar » = tuer), ce pistolet à tige perforante qui perce l’épaisse paroi osseuse du front et bousille le cerveau d’un coup d’un seul.

Ont-ils eu une belle mort ? Aucune fin de vie n’est belle… Au moins n’ont-ils pas subi les affres de l’attente dans le couloir de la mort d’un abattoir ! Quelle horreur ! Les bêtes ne sont pas aussi bêtes qu’on ne le dit. Elles entendent et elles sentent la mort : les cris d’agonie, des odeurs de sang et d’urine, de terreur la plus abjecte. Nos braves vaches et nos cochons finissent dans une épouvante absolue. Nos animaux familiers subissent une souffrance qu’ils n’ont pas méritée, au nom de la rentabilité, de l’hygiène et de la traçabilité alimentaire. Au nom du bien-être animal, selon la conception d’Adrien Dolimont et ses sbires ! Mieux vaut entendre cela que d’être sourd…

Ces gens ne connaissent pas les réalités du métier, n’ont jamais chaussé de bottes pour patauger dans le sang des animaux, comme le font les massacreurs dans les abattoirs. Il suffirait pour eux de se mettre dans la peau d’un cochon, de réveiller celui qui sommeille en eux et dans tout homme, disent les dames. Imaginez-vous dans un étroit couloir sans autre issue que la chaîne d’abattage puis de découpe ! Un premier officiant vous électrocute, puis le suivant vous égorge, ou je ne sais quel robot déshumanisé, sans état d’âme, sans la moindre empathie pour le pauvre cochon. Et c’est ça, le bien-être animal ! Notre ministre Dolimont et ses amis ne vendent pas du rêve !

«   Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge  », disait Voltaire. Les amis des animaux ont parfois de drôles d’idées, en voulant bien faire les choses. L’enfer pour les animaux est souvent pavé de bonnes intentions par ceux qui ne les fréquentent guère, les regardent à travers des vitres déformantes, déformées par des pseudo-défenseurs étourdis qui demandent l’étourdissement avant abattage, ce qu’un tueur de chez nous réalise sans coup férir. Pas de quoi faire rire, évidemment… Comme disaient nos parents : «  Il leur faudrait une guerre, pour leur remettre les yeux en face des trous.  »

En temps de guerre, on fait beaucoup moins de chichis. On est bien content de manger de la viande sans que l’animal ne soit passé par un abattoir. Une dame de 87 ans m’a raconté récemment comment elle et sa famille se sont nourries lors de la Bataille des Ardennes, et dans les semaines et les mois qui ont suivi. Très peu de gros animaux avaient survécu au massacre. Leurs saloirs avaient été pillés, les cochons tous mangés par les Allemands, après avoir été abattus au fusil d’assaut (Mauser Sturmgewehr 45). Neuf dixièmes des vaches avaient péri de diverses façons : brûlées vives par les bombes au phosphore, mitraillées par les chasseurs-bombardiers américains, éparpillées en mille morceaux par les obus.

Il ne leur restait plus rien, si ce n’est que quelques pommes de terre et… des poules ! Celles-ci, malignes comme tout, s’étaient cachées un peu partout et chez cette dame, avaient pour la plupart échappé à l’abattage massif et désordonné de la guerre. Une fois récupérées, dorlotées et soignées au mieux de ce qui restait comme céréales, les poules se remirent à pondre des œufs, et fournirent des protéines d’excellente qualité aux enfants et aux femmes enceintes.

Alors, vous comprendrez aisément que toucher à nos cochons, nos poules et nos animaux, nous obliger à les sacrifier de telle ou telle façon, représente aux yeux des derniers agriculteurs de chez nous une exigence grotesque, incongrue, invasive ! Une vexation de plus, une grave motion de défiance. Et pour nos petits animaux, un aller simple pour l’enfer des abattoirs.

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