Pac : «Je me bats avec une autre casquette,mais avec la même conviction»
Quelques heures après la fronde des organisations agricoles et au lendemain de la visite du commissaire Christophe Hansen sur le champ de foire libramontois, nous sommes allés à la rencontre de la ministre Anne-Catherine Dalcq, laquelle a réagi avec fermeté aux annonces sur la future Pac. Budgets en baisse, dilution des fonds, mise en concurrence entre États, elle redoute une réforme technocratique, aux contours encore flous, qui trahirait l’esprit de solidarité de cette politique phare.

C’est peu dire que les premières lignes dévoilées de la future Pac pour la période 2028-2034 ont provoqué un électrochoc dans le monde agricole.
L’Europe saperait-elle ses priorités ?
Ni les syndicats, vent debout à Libramont dans un front commun inédit, ni Anne-Catherine Dalcq, qui a rapidement exprimé sa consternation, ne cachent leur inquiétude. « C’est un choc, une déception, un manque de reconnaissance pour le monde agricole », a réagi la ministre wallonne.
Pour rappel, la réforme, telle qu’envisagée par la commission, prévoit une réduction d’environ 20 % du budget alloué à la Pac. S’y ajoute une transformation structurelle jugée préoccupante : le budget agricole serait désormais englobé dans un vaste fonds transversal, sans mention explicite de la politique agricole.
« C’est comme si l’Europe oubliait qu’on ne peut pas saper ses priorités. La Pac a permis l’autonomie alimentaire. Aujourd’hui, on l’invisibilise », déplore encore la ministre.
Un désengagement budgétaire aux effets systémiques
La ministre met en garde contre les répercussions concrètes d’un tel recul : « Ce manque de financement met à risque des politiques essentielles : l’aide à l’installation, le soutien au revenu, les mesures environnementales », regrette-t-elle.
Dans une région où plus de la moitié des exploitants agricoles ont dépassé les 55 ans, l’enjeu générationnel est crucial. « Il faut garantir un revenu pour que les jeunes puissent s’installer. Or, on baisse les moyens. C’est une grande crainte ». L’impact concerne aussi les investissements dans la transition agricole. Mme Dalcq insiste sur la nécessité d’un accompagnement technique et financier : « Les agriculteurs ne réclament pas des produits phytosanitaires à tout prix. Ils veulent pouvoir protéger leurs cultures efficacement. Il existe des alternatives, variétés résistantes, technologies innovantes, mais elles doivent être rendues accessibles ».
Des garanties partielles, un risque de fracture européenne
Pour répondre aux légitimes inquiétudes du secteur, le commissaire Christophe Hansen s’est rendu à Libramont. Il a assuré que 80 % du budget Pac resterait protégé, via un mécanisme de fléchage budgétaire. Une promesse que la ministre juge insuffisante, précisant que si 80 % sont « menottés » à l’agriculture, « le reste devra être négocié, pays par pays, via d’autres enveloppes nationales ou européennes ».
Ce glissement vers une logique de cofinancement alarme les autorités wallonnes : « Cela ouvre la porte à des distorsions de concurrence entre États membres. Certains investiront davantage, d’autres moins. C’est une renationalisation déguisée de la Pac. On perd l’essence même de la politique commune ».
Un alignement inédit des syndicats agricoles
À Libramont, la réaction syndicale ne s’est pas fait attendre. Leurs représentants ont pris la parole d’une seule voix à l’issue de la séance inaugurale de la Foire. Pour Anne-Catherine Dalcq, ce sursaut était prévisible : « Nous échangeons régulièrement, et je partage leur colère ». Elle revendique une double légitimité : politique, bien sûr, mais aussi de terrain. « Il y a un an et demi, j’étais sur les tracteurs, moi aussi. Aujourd’hui encore, je me bats avec une autre casquette, mais avec la même conviction ».
Préserver un budget à la hauteur des enjeux
Alors que les négociations budgétaires s’intensifient à Bruxelles comme à Namur, la ministre entend rester mobilisée : « Nous analysons tous les textes, tous les chiffres. Mon objectif est clair, c’est d’obtenir, au minimum, un budget Pac équivalent à l’actuel. Idéalement, un budget renforcé ».
Du côté wallon, la ligne est arrêtée. Côté fédéral, la Belgique doit encore harmoniser sa position. « Le ministre Clarinval et la ministre Simonet ont clairement exprimé leur volonté de défendre une Pac forte. Mais la position conjointe sera tranchée en septembre ».
D’ici là, Anne-Catherine Dalcq réaffirme son engagement : « Je comprends les craintes des agriculteurs. Je les partage. Je continuerai à me battre pour une Pac ambitieuse, qui soutienne un modèle agricole familial, durable, ancré dans nos territoires », a-t-elle conclu.