Accueil Economie

Une volonté de repenser la chaîne agroalimentaire

La Foire de Libramont a placé la transition agroalimentaire au centre des débats, en réunissant autour d’un même panel les représentants de la grande distribution, des circuits courts, de la transformation industrielle et de la société civile. Les échanges ont mis en lumière une volonté commune de repenser les logiques de filière dans une approche coopérative et durable. Une nécessité d’agir ensemble qui s’impose plus que jamais.

Temps de lecture : 5 min

La traditionnelle séance inaugurale s’est ouverte sur un appel à repenser la chaîne agroalimentaire dans son intégralité, du champ à l’assiette, et à retisser les liens entre ceux qui produisent, transforment et consomment. Placée sous le signe de l’action concertée, cette édition entendait moins dresser un état des lieux qu’« inspirer, rassurer, réclamer et motiver à agir », à travers les regards croisés d’acteurs économiques, politiques et citoyens.

« Aller chercher notre part d’humanité »

Pour ce faire, les organisateurs ont réuni autour d’une même table plusieurs entrepreneurs issus de la grande distribution, des circuits courts et de la transformation, afin d’ouvrir un dialogue sur les conditions d’une transition à la fois viable, durable et partagée.

Parmi les interventions, nous noterons celle d’Olivier De Cartier, cofondateur, avec son frère Jonathan, de la boulangerie industrielle nouvelle génération Copains, implantée en Wallonie, qui a marqué les esprits par son plaidoyer en faveur d’une alimentation plus humaine et durable. Défendant un modèle de production à grande échelle qui n’abandonne ni le goût, ni la qualité des matières premières, ni l’ancrage dans les filières agricoles locales, l’entrepreneur a appelé à une prise de conscience intergénérationnelle.

« L’enjeu pour nous, c’est d’aller chercher notre part d’humanité », a-t-il déclaré, en invitant chacun à se projeter dans les yeux d’un enfant en 2050 et à assumer collectivement les choix faits aujourd’hui. Pour lui, cette exigence impose une redéfinition du rôle de l’industrie agroalimentaire, à même de concilier performance économique et responsabilité environnementale. « Notre responsabilité est de concilier les circuits de distribution existants avec une agriculture qui respecte les sols et limite les intrants chimiques », a-t-il insisté.

Cette transformation, selon lui, ne pourra se faire sans l’implication active des distributeurs. « La grande distribution, comme Carrefour, montre une forme de sensibilité à ces enjeux. Mais pour réussir, il faut s’ajuster à leurs contraintes, proposer des volumes, travailler l’efficacité, tout en assurant un prix équitable aux producteurs ».

Une image à contrebalancer pour la grande distribution

En réponse aux interpellations sur la responsabilité de la grande distribution dans la transformation du système agroalimentaire, Geoffroy Gersdorff, directeur général de Carrefour Belgique, n’a pas esquivé les critiques. « On nous voit souvent comme le méchant loup qui décide du sort de la filière », a-t-il concédé, tout en défendant une réalité plus nuancée. Entré dans l’enseigne en 1997, ce bio-ingénieur de formation, premier Belge à en prendre la tête, revendique un engagement de long terme auprès du monde agricole.

Présent depuis plus de vingt ans à Libramont, Carrefour collabore aujourd’hui avec près de 700 producteurs, certains depuis plus de trois décennies. « Cela passe par la sélection des produits, leur mise en valeur en magasin et un travail pédagogique auprès des consommateurs », détaille-t-il. Pour M. Gersdorff, accompagner la transition implique aussi de relever un défi économique majeur : convaincre les clients, dans un contexte de pouvoir d’achat contraint. « Le bio, par exemple, ne doit pas forcément être plus cher. Encore faut-il pouvoir le démontrer ».

Face aux attentes croissantes en matière de durabilité, il rappelle que les marges du secteur restent minces : « Sur un panier de 100 €, il nous reste environ 20 centimes. Avec cela, nous devons arbitrer, investir, soutenir les filières ». Une équation délicate, reconnaît-il, mais qui n’exonère pas les distributeurs de leur rôle dans l’évolution du modèle.

Un levier de transformation encore sous-utilisé

À l’échelle plus modeste mais non moins stratégique des circuits courts, Frank Mestdagh, fondateur des magasins D’Ici, plaide pour une consommation plus responsable, enracinée dans les territoires et pensée à hauteur d’humain. Pour lui, l’alimentation ne se résume pas à un acte d’achat, elle est un vecteur de lien, de solidarité et de transformation locale.

Son enseigne travaille avec un réseau restreint de producteurs, choisis pour la qualité de leur travail et la relation de confiance établie. « Nous connaissons personnellement les agriculteurs avec qui nous collaborons. Ce lien direct permet d’imaginer les choses autrement, dans une logique de coopération plutôt que de simple transaction », explique-t-il.

Dans un système alimentaire souvent dominé par l’anonymat des échanges et la pression des volumes, il défend une autre approche : celle d’une économie de proximité, qui réconcilie valeur sociale, qualité des produits et respect des équilibres environnementaux.

Il défend l’idée que l’alimentation peut être un levier de transformation sociale plus large. « Elle traverse tous les domaines : la santé, l’économie, la culture, le climat. Pourtant, elle reste peu présente dans les politiques publiques. » Il relève, à titre d’exemple, que le terme « alimentation » est mentionné cinq fois seulement dans la dernière Déclaration de politique régionale (DPR) wallonne, contre dix-neuf dans la précédente.

Selon lui, les entreprises, même à petite échelle, peuvent agir en dehors de la sphère alimentaire elle-même. Il cite le cas d’un de leurs magasins, construit en collaboration avec une entreprise d’agriculture sociale et un menuisier local. « Cela montre qu’en intégrant l’alimentation dans une vision plus large, on peut activer de nombreux leviers de transformation locale ».

Une transition à construire ensemble

Les échanges entre les intervenants, parfois issus de mondes éloignés, ont mis en évidence une volonté commune de faire évoluer les modèles existants. Si les approches divergent, tous partagent l’idée que la transition ne pourra réussir sans une meilleure coordination entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

À Libramont, cette discussion n’a pas donné lieu à des annonces spectaculaires. Mais elle marque une évolution notable dans les discours : la reconnaissance explicite de l’interdépendance des acteurs et de la nécessité de repenser les logiques de filière dans un cadre coopératif.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Pac : les syndicats dénoncent un désengagement de l’Europe

Economie À l’occasion de l’ouverture de la Foire de Libramont, les six principaux syndicats agricoles wallons ont livré une déclaration commune, dénonçant la réduction annoncée du budget de la Pac par la commission. Ils y voient une menace pour la viabilité du secteur, pour la cohésion européenne, et pour le renouvellement des générations. Les autorités politiques, interpellées publiquement, ont assuré les soutenir.
Voir plus d'articles

Trouvez un emploi dans le secteur agricole et horticole

Centre wallon de Recherches agronomiques - CRA-W

Gembloux, Namur, Belgique

Postuler maintenant

Ferme de petit bomal saspj

Bomal, Luxembourg, Belgique

Postuler maintenant

Trouvez l'employé qui vous convient vraiment.

Publier une offre d'emploi
Voir toutes les offres d'emploi