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En France, la synergie entre agriculture et énergie, par l’agrivoltaïsme

Alors qu’il suscite quelque résistance en Belgique, l’agrivoltaïsme connaît en France un certain succès, même si les expériences sont encore peu nombreuses et si la motivation n’est pas la même que chez nous.

Temps de lecture : 6 min

Situé sur les terrasses argilo-caillouteuses et sablonneuses des Aspres, sur les contreforts des Pyrénées, le domaine de Nidolères produit depuis huit générations des vins en AOP Rivesaltes, Muscat de Rivesaltes et Côtes du Roussillon. La région enregistre régulièrement des records de températures, avec des pics de chaleur dépassant 40°C.

Afin de limiter les excès de rayonnement solaire et de fortes chaleurs, Martine et Pierre Escudié se sont inscrits dans le plan Sun’Agri 3 qui leur a permis d’installer un complexe agri-photovoltaïque unique de 7,5 ha pour protéger la vigne et améliorer la qualité de leurs vins.

Développé depuis 2009 par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) sur une trentaine de sites dans le Roussillon et le Languedoc, ce programme vise à accroître simultanément la production agricole et la production d’énergie solaire sans conflit d’usage.

Pour ajuster le pilotage en temps réel des panneaux photovoltaïques, le modèle associe recherche agronomique, traitement des données agricoles dynamiques et technologie photovoltaïque dynamique. Le programme étudie les besoins des plantes tout au long de leur cycle de croissance et les mutualise avec les informations météorologiques et les objectifs de production.

Le projet collaboratif Sun’Agri 3 réunit cinq partenaires et une trentaine d’acteurs associés.

Un outil d’adaptation aux changements climatiques

Au domaine de Nidolères, les systèmes agrivoltaïques dynamiques (AVD) installés au-dessus des cultures fournissent un ombrage transitoire et sont un outil de protection et d’adaptation aux changements climatiques de la vigne, qui optimise la production viticole dans sa qualité, tout en préservant de hauts rendements.

Schéma du système mis en place, mêlant photovoltaïsme et vigne (Source: Sun’Agri).
Schéma du système mis en place, mêlant photovoltaïsme et vigne (Source: Sun’Agri).

L’ombrage piloté peut également diminuer la température des vignes sous AVD jusqu’à -5°C en période caniculaire – le feuillage s’épanouit mieux, ce qui se traduit par une canopée plus dense – et diminue également le risque de gel ; la couverture thermique AVD permettant, en outre, d’éviter des épisodes de gel au débourrement.

De plus, permettant de limiter l’irrigation, le temps de croissance de la plante est allongé d’environ 14 jours par rapport à la zone témoin (une parcelle voisine sans panneaux), tandis que l’évapotranspiration potentielle est diminuée de 40 %. Ce qui permet de déclencher l’irrigation plus tardivement dans la saison et de diminuer la quantité d’eau délivrée de plus d’un tiers.

Le dispositif a également un impact sur l’équilibre aromatique du vin avec des baies plus riches en anthocyanes, jusque 15 % plus acides et une concentration en sucres moindre (et donc moins d’alcool). Enfin, les panneaux permettent d’éviter l’impact des fortes pluies ou l’installation de filets de protection.

L’idée originale

« Préoccupé par des degrés d’alcool qui montent trop haut, des aromatiques qui se perdent ou des baisses de volume à cause de la chaleur, Pierre Escudié s’est rappelé que son père prévoyait des protections de part et d’autre du vignoble, soit par des haies d’arbres, soit quasiment en tendant des toiles. Il s’est alors dit que s’il y a de l’agriculture sous-photovoltaïque au Maroc, pourquoi ne pas essayer de creuser le sujet chez nous. Il a donc conclu un partenariat avec un fournisseur de panneaux photovoltaïques, qui récupère l’électricité, et avec la Chambre d’Agriculture, qui gère toute la partie technique », explique Eric Aracil, directeur adjoint du Conseil interprofessionnel des Vins du Roussillon

L’expérience a été menée dans un premier temps sur 5 ha sous panneaux photovoltaïques et 2 ha sans panneaux, mais avec les mêmes cépages, plantés de la même manière (Chardonnay, Grenache blanc et Marselan), auxquels ont été ajoutés 2 ha de blancs (Colombard et Cinsault) avec 1 ha témoin.

« Tous les panneaux sont individuels et orientables. Ils permettent de maintenir de l’ombre un rang sur deux, tout au long de la journée. Pour régler cela, la parcelle possède un système d’analyse météorologique, avec un système de réglage et de commandes à distance de tous les panneaux. Il y a également un système d’irrigation qui s’autogère en mesurant l’hydrométrie du sol jusqu’à un mètre de profondeur. Le programme est piloté informatiquement depuis Lyon. Chaque rang de vigne a sa propre dose d’ombre en fonction de la météo et des capteurs qui sont sous les panneaux », reprend Eric Aracil.

Comparativement à une parcelle non équipée, les systèmes agrivoltaïques dynamiques permettent de limiter  l’irrigation, d’allonger le temps de croissance de la vigne et de réduire l’évapotranspiration potentielle.
Comparativement à une parcelle non équipée, les systèmes agrivoltaïques dynamiques permettent de limiter l’irrigation, d’allonger le temps de croissance de la vigne et de réduire l’évapotranspiration potentielle. - M.V.

« Ensuite, d’un point de vue évolution du végétal, la vigne souffre moins de la chaleur, le raisin mûrit beaucoup plus lentement et, in fine, cela se traduit par des maturités alcooliques moins hautes et des acidités mieux maintenues. Et puis, et c’est totalement inattendu, des vignes jeunes, de quelques années seulement, donnent des organoleptiques de fou, comme si c’étaient des vignes de 10 ou 15 ans déjà. »

Mais l’opération est-elle rentable ? « La vigne appartient au vigneron parce que le sol lui appartient. Il en tire le profit de son vin. Mais les ombrières et tout le système et la gestion qui lui est associée ne sont pas de son fait. L’électricité revient au fournisseur de panneaux photovoltaïques qui apporte le dispositif sous bail emphythéotique. De mémoire, un parc comme celui-ci pourrait alimenter un village de 4.000 habitants. L’investissement est de l’ordre d’un million par hectare. »

Des rendements supérieurs aussi

Pour en savoir plus, le propriétaire Pierre Escudié nous rejoint et commence par évoquer la crise actuelle. « Le domaine est familial depuis plus de huit générations, soit depuis les années 1850 environ. Le vignoble fait 60 ha d’un seul tenant, mais seulement 35 en vignes. Chaque génération a mis son grain de sel dedans. Pendant longtemps, nous avons pas mal vécu des vins doux. Jusqu’à la fin des années 1970, où tout s’est écroulé. Aujourd’hui, il n’y a plus de cours. On vous propose d’acheter des vins, en IGP ou en Côtes du Roussillon, de 0,35 à 0,45 €/l. Ce qui est assez catastrophique. Les vins rouges, c’est fini. Vous pouvez avoir un très bon produit, ça n’intéresse personne… Et puis, la consommation du vin a chuté globalement, en France et en Europe », relate-t-il.

« Si vous êtes en plein soleil à 38 ou 40°C,  vous ne résistez pas… Les plantes, c’est pareil ! »,  insiste Pierre Escudié, pour qui les panneaux  photovoltaïques présentent un intérêt certain.
« Si vous êtes en plein soleil à 38 ou 40°C, vous ne résistez pas… Les plantes, c’est pareil ! », insiste Pierre Escudié, pour qui les panneaux photovoltaïques présentent un intérêt certain. - M.V.

« Grâce aux panneaux, on peut atteindre des rendements de 50 hl/ha, bien plus qu’en dehors de ceux-ci. À cause de la sécheresse, la moyenne annuelle des dix dernières années dans le Roussillon est de 18 hl/ha… Fin des années 1990, le département produisait 2 millions d’hectolitres sur 75.000 ha, 300 à 330.000 aujourd’hui sur 15.000 ha à peine. »

Pierre Escudié a commencé en 2007 à étudier la question des panneaux photovoltaïques (et la plantation des nouvelles parcelles s’est faite en 2018). « Au début, tout le monde me mettait des bâtons dans les roues, tout le monde était contre, y compris l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao). Et maintenant, tout le monde se les fait sien. J’ai eu de la chance d’avoir le support du maire, qui était vigneron à l’époque et qui avait compris tout de suite. Si vous êtes en plein soleil à 38 ou 40°C, vous ne résistez pas… Les plantes, c’est pareil ! Les coups de soleil détruisent toute une série d’oligo-éléments présents dans le raisin que l’on doit à présent ajouter à la vendange… »

Cela étant, le système a séduit des vignerons du monde entier qui sont venus visiter le domaine de Nidolères, du Chili à l’Argentine, en passant par l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. Le bilan est positif pour le couple Escudié, surtout agronomiquement. Le seul problème à l’heure actuelle, et ce n’est pas le moindre, c’est surtout d’obtenir de meilleures ventes de vins.

Marc Vanel

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