Vignes : gel, grêle, pluies, mildiou, pourriture, faibles quantités… 2024 laisse un goût amer
Le millésime 2024 marque une pause dans les années de changement climatique et fera date, on s’en souviendra longtemps. Bien sûr, une faible récolte ne fait plaisir à personne, surtout au niveau financier, même si dans le cas d’effervescents qui restent de longs mois sur lattes avant d’être dégorgés, l’impact ne se fera en réalité sentir que d’ici deux ou trois ans.

Si l’on compare les récoltes des dernières années, 2024 s’apparente surtout à 2021 qui avait été catastrophique deux ou trois ans après les beaux millésimes 2018 et 2019 qui avaient permis de dépasser à l’époque la barre du million de bouteilles, tant au nord qu’au sud du pays.
Cette croissance remarquable et une qualité de raisins avaient incité des néo-viticulteurs à planter des hectares et des hectares, de pieds de vigne. Tant et si bien qu’aujourd’hui, alors que l’on récolte le fruit des vignes plantées à cette époque pas si lointaine, certains commencent à se demander comme écouler leur production, actuelle ou future, le marché intérieur se repliant quelque peu et l’international connaissant un mouvement général de déconsommation du vin.
En 2023, avec le retour des pluies pendant l’été, la récolte fut relativement tardive afin d’essayer de profiter jusqu’au bout du soleil timide pour augmenter le taux de sucre. Les viticulteurs purent, malgré tout, réaliser une récolte correcte et obtenir un bon rendement final.
Puis vint 2024… le millésime s’est rapidement annoncé comme complexe en raison des conditions climatiques difficiles. Ces aléas météorologiques ont reculé la date de vendange de début à fin septembre pour les effervescents (qui peuvent se permettre une maturité non optimale), voire à mi- ou fin octobre pour les blancs, puis les rouges.
La totalité de la récolte perdue…
En cause, cette fois, une floraison difficile entrecoupée d’averses abondantes qui empêchèrent la fécondation de la fleur, et entraîna une coulure importante. Ceux qui se réjouissaient de n’avoir perdu que 20 ou 30 % de raisins suite aux gelées de mai, durent déchanter.
D’autres, par contre, aux quatre coins de la Wallonie, ont perdu la totalité de leur récolte. Pas de vendange au Domaine du Ry d’Argent, ni au Domaine de Maredsous. Même chose pour le Thier de Blier, le Domaine Holliguette, le Bois des Dames…
La liste est malheureusement longue, c’est la première fois qu’il y a autant de pertes. Certaines adaptations seront nécessaires, des enseignements seront à tirer sur le choix des parcelles, des variétés, des traitements, etc.
« Je sais qu’on ne fera pas une grosse journée, mais seulement une belle matinée », commente d’ailleurs Olivier Devuyst pour le Domaine du Champ des Vignes à Lasne, lors du premier jour des vendanges. Heureusement, ce bas rendement est sans conséquence, car les raisins récoltés cette année vont surtout servir à réaliser des tests de vinification. « Nous ne ferons que des effervescents, la récolte sera plus conséquente en 2025. L’un dans l’autre, je dirais que ce n’est pas si mal qu’il y ait eu ces problèmes, cela permet d’y aller crescendo ».
La qualité tout de même au rendez-vous
Ainsi, durant ces dernières semaines, nous avons ponctuellement visité plusieurs vignobles, dans plusieurs provinces, afin de recueillir quelques témoignages de début de vendanges.
Tout d’abord, au Domaine du Chant d’Eole (54 ha dont 40 en production), où les dégâts ont été relativement confinés. Pour Hubert Ewbank, 2024 a été une année similaire à 2017 et 2021. « En quantité, on a beaucoup moins de raisins, dû à la coulure et au millerandage, alors que nous n’avions été que très partiellement touchés par le gel, surtout dans les jeunes plantations ».
Il ajoute : « Nous avons eu beaucoup d’eau fin mai et en juin, avec pour conséquence des grappes moins belles que d’habitude. Nous avons également dû traiter plus que les autres années. En tout cas, davantage qu’en 2022. Toutefois, il n’y a heureusement pas eu de véritable perte. Si la quantité est inférieure aux belles années de 30 % environ, la qualité est bien présente ».
Une baisse de régime frustrante, car ils possèdent des dizaines de milliers de bouteilles en attente. « Nous avons de plus en plus d’événements, nous recevons environ 150.000 visiteurs privés, des entreprises, beaucoup de soirées et de passage, sans parler d’une demande internationale croissante : je comptais sur cette vendange, néanmoins soyons patients. C’est un projet extraordinaire, on prend ce que la Nature nous donne ».
Même son de cuve chez Laurent Etienne, maître de chai du même Domaine, interviewé dans la foulée. « À ce jour, on n’a pas encore de maturité suffisante, mais pas de pourriture non plus. Même si cela fait un peu fouillis, on laisse pousser l’herbe pour protéger la vigne. La véraison a démarré il y a plus d’une semaine. Les grappes sont relativement petites, elles vont à présent concentrer leurs arômes. La qualité va être là, on a le nombre de grappes, on n’est pas sans rien, on ne va pas se plaindre ». Lors de notre rencontre, il comptait récolter vers le 20 septembre. Et ce fut effectivement le cas.
Une baisse de 50 %
Plus au nord, dans le Brabant wallon, au Domaine du Chapitre qui exploite les deux variétés de cépages, classiques et résistantes, Bertrand Hautier résume le millésime en ces mots : « Les cépages qui ont souffert sont les plus hâtifs, ils ont fleuri trop tôt, à un moment où il pleuvait beaucoup. Pour les plus tardifs, comme le chardonnay ou le pinot noir (le plus beau), la récolte en cours est bonne ». Ils enregistrent toutefois 50 % de baisse générale, et quasi-tout sur le solaris qui donne à peine 750 kg/ha au lieu des 5 ou 6 t habituelles.
À Saintes, le Domaine W est le seul certifié en biodynamie. Ses propriétaires, Sophie et Dimitri Vander Heyden-Wautier, relativisent le faible millésime, tout comme Vincent Dienst, maître de chai : « Les pertes sont estimées à 50 % d’un millésime courant. C’est clair que cela ne fait pas plaisir… À côté de cela, on a quand même réussi à tenir face au mildiou. Cela aurait pu être pire : certains ne vont même pas récolter. On se rapproche de 2021, la fin de la saison avait alors été belle ». Ces derniers ont d’abord terminé de récolter le pinot meunier, avant d’attaquer le chardonnay. « L’état sanitaire commence à se dégrader dans les pinots noirs, nous n’allons plus attendre afin de ne pas avoir de botrytis ».
Du côté des résistants
Si Eole est le plus grand producteur en cépages classiques (chardonnay et deux pinots), la coopérative Vin de Liège a, quant à elle, choisi de miser sur les cépages qui résistent aux maladies cryptogamiques de la vigne. Pour Alec Bol, administrateur-délégué, interrogé le 26 septembre au deuxième jour de cueillette, « le bilan de l’année est très mauvais. On a subi des gelées qui nous ont fortement impactés. On avait réussi à sauver du gel 7 ha sur 18, mais malheureusement, la floraison en juin s’est déroulée pendant une semaine vraiment très froide (un maximum de 13 à 15° la journée), la fécondation ne s’est donc pas bien faite. Cela donne beaucoup de coulure, qui fut pire que la gelée. Cette année, tout dépend par rapport à quoi on compare – un rendement moyen de 50hl/ha, ou par rapport à 2023 qui avait été très généreux sur les volumes – mais on perd 80 % des récoltes ». Toutefois, selon lui, les 20 % restants ne sont pas mauvais du tout… La pourriture n’est pas rentrée dans les grains et ils vont pouvoir continuer la production.
Mais les résistants ont-ils bien résisté ? Ils ont rencontré de petits problèmes sur chaque variété, tout comme d’autres viticulteurs en retrouvent sur le chardonnay. Cependant, le muscaris, traité seulement trois fois durant l’année, a bien résisté aux maladies. Pour le johanniter, par contre, c’est une catastrophe… « Il est finalement aussi sensible qu’un cépage classique. Nous l’avions vu dès la première année de plantation. Il est résistant à l’oïdium, pas au mildiou ». Dès lors pourquoi avoir décidé de le planter ? « Il permet d’obtenir des vins incroyables. Par ailleurs, il ne nécessite que quelques traitements sur l’année, et a bien gardé ses feuilles. Il faut se rendre compte que c’est une tolérance plus importante au mildiou, et non une résistance totale. Cela signifie qu’en cas de forte pression, il faut traiter. Pour le nombre de traitements, c’est un peu au feeling… ».
Si le muscaris s’en sort bien, c’est le même constat pour le souvignier gris qui, bien qu’un peu plus sensible, s’adapte correctement. « En termes de vins rouges, nous cherchons encore le cépage idéal », poursuit Alec Bol. Pour pallier la faible production, la coopérative Vin de Liège possède encore des réserves de l’année passée. Les ventes seront, dès lors, étalées sur deux ans. « Toutefois, au niveau commercial, on sent une difficulté générale chez nos distributeurs notamment. Il y a de plus en plus de vignobles, il va falloir que les gens boivent plus belge ! ».