Courrier des lecteurs : dans la peau de…
Dans le nord du pays, et ce n’est pas une blague, la ferme « Ons Dagelijks Groen » (Notre Vert Quotidien) organise régulièrement des événements de team building destinés à des groupements plus ou moins proches de l’agriculture. Les participants ne se contentent pas d’y bâiller à se décrocher la mâchoire lors d’une visite guidée, impatients de prendre l’apéro et de faire bombance à midi. Non ! Ils mettent carrément les mains dans la terre et participent aux multiples tâches de l’exploitation agricole. Les visiteurs d’un jour ont ainsi l’opportunité de se glisser dans la peau d’un fermier, pour mieux comprendre les peines et les joies de son métier, ses ressentis et ses réels besoins, ses frustrations et ses aspirations. Existe-t-il semblable initiative en Wallonie ? Ne serait-ce point une bonne idée ?

Le « team building » (construction d’équipe) connaît un certain succès dans les entreprises. Dans le monde du travail, il est devenu un concept très à la mode, lequel consiste à organiser des rassemblements où des collègues d’une même boîte se retrouvent en dehors de celle-ci pour participer à des activités collectives, afin de renforcer l’esprit d’équipe et la cohésion du groupe. Les tâches proposées sont le plus souvent distrayantes, amusantes, et stimulent la collaboration entre les membres. Ceux-ci apprennent à mieux se connaître les uns les autres, afin d’interagir de manière efficace une fois de retour au boulot, dans le cadre d’une optimisation des ressources humaines.
« Ons Dagelijks Groen » va plus loin encore, puisque cette ferme accueille carrément du personnel de services publics agricoles, afin de les confronter aux réalités du terrain. Imaginez par exemple que les membres du cabinet ministériel de l’Emploi soient plongés dans le quotidien d’un chômeur ou d’un malade de longue durée, en proie aux affres de la prochaine suppression de leurs indemnités sociales. Dans le domaine de l’Enseignement, comment réagiraient la ministre et son staff, s’ils vivaient une ou deux semaines en immersion dans une école à discrimination positive ? Les cadres du ministère de la Santé seraient bien inspirés de partager, durant plusieurs jours et nuits, les activités des soignants dans un hôpital, afin de vivre dans leur chair les difficultés d’un secteur constamment sur le fil du rasoir.
Les membres d’un certain parti politique seraient-ils attendris, s’ils partageaient pour de vrai, pendant un mois par exemple, les difficultés d’une famille nombreuse à faibles revenus ? Envisageraient-ils encore à sabrer dans les allocations familiales ? Se glisser dans la peau des pauvres gens pourrait (qui sait ?) être salutaire pour les uns et les autres ! Peut-être prendraient-ils conscience du décalage vertigineux entre leur vision de la société et la réalité subie par ceux qu’ils méprisent et poursuivent. Rien n’interdit de rêver à un monde meilleur…
De même, on pourrait imaginer un team building dans une exploitation agricole, organisé pour accueillir l’Arsia, l’Afsca, les syndicats, les cabinets et les Services Extérieurs du ministère de l’Agriculture, etc., etc. Je verrais bien leurs équipes venir à tour de rôle trier des pommes de terre à toute vitesse sur une ligne de calibrage, empiler des ballots du foin ou de paille dans des hangars, dérouler une bâche sur un silo de maïs et la couvrir de vieux pneus tout dégueulasses, vider des produits phyto dans un pulvérisateur ou rincer celui-ci, nettoyer une étable à la haute pression, brosser une cour de ferme, réparer un abreuvoir, faire une vidange de tracteur, changer ses filtres à mazout ou à huile, graisser une machine, remplacer un roulement grippé… Ce serait gai, n’est-ce pas ? Ils en apprendraient, des trucs et astuces ! Ils se forgeraient des muscles de paysan, des mains calleuses de travailleurs de la terre.
Un éleveur de moutons pourrait les inviter un jour de tonte, pour raser les culottes avant les toisons, tailler les sabots, donner des biberons aux agneaux orphelins, médailler ceux-ci et les vermifuger, échographier les brebis ou carrément aider l’une d’entre elles à agneler en mettant la main dans les glaires et le sang, vacciner le troupeau et remplir le fatras de formalités, curer la bergerie de son fumier et nettoyer soigneusement les crèches. Quelle joie ce serait pour eux, de venir s’acoquiner avec le menu peuple des campagnes !
Ils pourraient passer une semaine ou deux dans une ferme laitière, y traire les vaches deux fois par jour, les affourager, soigner les mammites et les métrites, abreuver les veaux, soigner ceux-ci en cas de diarrhée… Dans un élevage de bovins viandeux, ils seraient parfaits pour surveiller les vêlages, prendre les températures, assurer des tours de garde pour permettre à l’agriculteur de se reposer ; ils ne seraient pas de trop pour donner un coup de main lors de la rentrée hivernale à l’étable, pour trier les veaux, tondre petits et grands animaux, les vacciner, aider à réaliser les prises de sang pour l’IBR et d’autres maladies. Un grand poulailler serait également un lieu d’accueil des plus fascinants et instructifs ! Les participants pourraient trier les œufs, ramasser les poules mortes, traiter contre les poux rouges, nettoyer le bâtiment lors du vide sanitaire, etc., etc.
Toutes ces activités seraient chouettes, amusantes, passionnantes ! Tant qu’à faire, pourquoi n’imposerait-on pas des team building à la ferme aux eurocrates qui gèrent notre politique agricole commune ? Mettre la Pac en sac, la jeter sur son épaule, et la déverser au milieu d’une cour de ferme ! Tous ces beaux messieurs et ces belles dames s’éparpilleraient pour accomplir les mille tâches d’une exploitation agricole, les pieds dans la m(…) et les mains dans le cambouis ! Ô joie sublimissime pour eux, d’enfin comprendre les agriculteurs, de ressentir leurs émotions, leurs motivations et leurs frustrations, pour partager leur « vert quotidien » !
Se glisser tout simplement dans notre peau : serait-ce trop demander à tous ces gens de Wallonie ou d’Europe, à ces technocrates de tous poils qui se sont approprié le droit de tenir notre destin entre leurs mains ? À l’inverse, je ne serais pas contre d’aller visiter leurs bureaux, de voir ce que leurs ordinateurs ont dans le ventre, de découvrir quels sont leurs sentiments à notre égard et qui fait quoi chez eux, comment ils gèrent notre agriculture depuis leur tour d’ivoire…