Courrier des lecteurs : «fast-foodisation»
« Que mange-t-on, ce soir ? ». Cette grave question existentielle revient chaque jour dans tous les foyers. Elle prend diverses formulations, se prononce de mille et une manières, mais le challenge reste le même : de quoi sera constitué le repas principal ?

Autrefois apanage ou corvée réservée à la « maîtresse » de maison, le choix de la nourriture est aujourd’hui assumé en principe par tous les membres de la famille : Papa, Maman, les fifilles ou les fifis quand elles et ils sont en âge de cuisiner. Un constat s’impose : de plus en plus souvent, personne ne veut encore s’y coller, surtout en semaine. Alors Monsieur (ou Madame) s’arrête en revenant du turbin, passe prendre un « truc » comestible à se mettre sous la dent : frites, hamburgers, kebabs, pizzas, cornets de pâtes et autres poulets rôtis achetés dans une de ces nombreuses officines qui jalonnent les routes, même dans les régions rurales. Ou on commande en ligne sur le site Internet de la brasserie du coin : fastoche ! Il suffit d’aller récupérer la nourriture toute préparée, et payer…
La presse locale parle de « fast-foodisation » de la Province du Luxembourg, surtout sur sa façade Est, le long du Grand-Duché, petit pays de cocagne où bon nombre de jeunes et moins jeunes se sont trouvé un « bon » métier, certes rémunérateur mais éloigné de chez eux. Ils passent beaucoup de temps sur des routes difficiles, en plus de leur boulot, et rentrent le soir complètement crevés. « HS », hors service, me disait une dame pas plus tard qu’hier. Alors, se remettre aux fourneaux est rarement une option envisageable. Passer une heure ou deux à cuisiner, avec des jambes en compote et la tête comme un seau après une journée harassante, pour confectionner un plat qui sera ratiboisé en 5’ chrono par son glouton copain-coloc-bouillotte, très peu pour elle ! Comme on la comprend !
Le « fast-food », ou nourriture rapide, est également dénommé « street-food », nourriture de rue. D’autres diront « malbouffe » ou « junk-food » (nourriture de poubelle). Ce n’est pas gentil, je trouve, de dénigrer ces aliments, lesquels ont tout de même le mérite de nourrir de pauvres âmes solitaires affamées, et de sauver bien des ménages d’un naufrage. Si les friteries, pizzerias et autres sandwicheries se multiplient comme des petits lapins, il y a tout de même une raison ! La demande existe, et l’offre suit allègrement. C’est ainsi : cuisiner et manger chez soi sont devenus des activités très peu passionnantes. Les gens prennent de plus en plus souvent leurs repas principaux à l’extérieur…
Le vendredi soir ou pendant le week-end, on va au resto, m’a dit cette même dame anti-cuisine, parce qu’on a bien mérité ce petit plaisir. Quelle facilité, n’est-ce pas, d’être servis à table, de ne pas avoir à dresser celle-ci, ni à la ranger une fois la nourriture avalée ! Pas de vaisselle non plus ! C’est chouette ! On n’a qu’à sortir la carte de crédit, composer son code bancaire quand la note dépasse les 50 euros. Sauf que oui, zut, l’addition dépasse à chaque fois cette somme quand on est à deux. Parfois le double. Souvent le double. Il était pourtant inscrit sur la carte : « entrée + plat principal : 18 € » ! Mince, l’apéro-maison à 8 € n’était pas compté, ni la carafe de vin (12 €), ni la dame blanche en dessert (12 €). Un bête verre d’eau coûte déjà 2 € ! Oufti oui, le resto est trop cher ! La qualité et le service, ça se paye ! On a beau bien gagner sa vie au Grand-Duduche, on n’a tout de même pas des salaires de ministre, déplore la jeune femme ! Impossible de tenir la distance ! Alors, il faut bien se rabattre sur un kebab+coca à 12 €, ou sur une bonne maxi-frite à 6 €, ou encore une mitraillette-pita à 8,50 €. Rien n’est plus romantique ni addictif qu’un cornet de nouilles+poulet nappé de sauce soja, dévoré sur le pouce avec son mec, sur un coin de table en rentrant ! Ça lui rappelle ses années d’études à Liège et les galipettes d’après frites+andalouse+bières, dans le kot de son petit ami de l’époque. Nostalgie, quand tu nous tiens…
Il faut toutefois redescendre un jour sur terre, car la malbouffe finit toujours par vous rattraper, se conscientise la jeune dame et son compagnon actuel. Elle vous descend dans les fesses et les hanches, et vous enrobe la taille d’affriolantes poignées d’amour ; elle vous plombe le sang de sel, de sucre, de cholestérol, d’exhausteurs de goût, de colorants, d’huiles minérales et vernis provenant des emballages et des boîtes de conserve. Les perturbateurs endocriniens déboussolent vos hormones : bonjour le diabète, les maladies cardio-vasculaires, et toutes sortes de cancers… Ces molécules vous rendent surtout stérile, a ponctué cette jeune dame !
Son horloge biologique tourne de plus en plus vite, tic-tac tic-tac, et elle vient enfin de se dégoter un papa motivé pour les enfants qu’elle désire. Le premier conseil de sa gynéco a ciblé la manière dont elle se nourrit. Elle doit rééquilibrer son régime, consommer des aliments les moins transformés possible, et surtout pas du fast-food, ou de ces barquettes toutes préparées que l’on trouve dans les supermarchés, les distributeurs au coin des routes, à côté des églises dans les petits villages : nouvelle religion ? La jeune dame ne tient pas à enfanter un bébé mou et spongieux comme un pain de hamburger, maladif et désarticulé comme une volaille de poulailler-usine, pâle et sans caractère comme une frite issue d’un champ de pommes de terre industrielles.
Mince alors ! C’était si bon, le fast-food, et si pratique, et si peu chronophage ! Mais tellement culpabilisant, aujourd’hui qu’elle désire un bébé… L’effort à fournir pour manger correctement lui semble insurmontable !





