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Comprendre et gérer au mieux l’érosion des sols agricoles

L’érosion peut être source de nombreux soucis, tant pour les agriculteurs que pour les riverains de parcelles cultivées. Comprendre ce phénomène est essentiel, afin d’adopter les pratiques culturales ou de mettre en place les mesures permettant d’atténuer les effets de l’eau sur les sols agricoles.

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Pour la troisième fois, tous les acteurs de la filière betteravière (Institut royal belge pour l’amélioration de la betterave, Confédération des betteraviers belges, Iscal et Raffinerie Tirlemontoise) se sont rassemblés autour du projet « Plan Betteraves ». L’objectif : proposer aux planteurs une série de journées techniques autour des grands enjeux agronomiques d’aujourd’hui et de demain.

Si la thématique de la fertilisation azotée a été choisie en Flandre, en Wallonie c’est la lutte contre l’érosion qui a réuni les planteurs. Un choix évident vu, notamment, les craintes et débats que suscite l’entrée en vigueur, d’ici quelques mois, de la BCAE 5 « Gestion du travail du sol en vue de réduire le risque de dégradation et d’érosion des sols, en tenant compte de la déclivité ». Pour l’occasion, Hélène Cordonnier, responsable de la cellule Giser (Spw Agriculture, Ressources naturelles et Environnement ; lire encadré) est venue rappeler les bonnes pratiques à mettre en œuvre sur le terrain ainsi que les objectifs de cette mesure.

Les agriculteurs, les premières victimes…

L’érosion hydrique, rencontrée sur les parcelles agricoles, peut se présenter sous deux formes : diffuse ou concentrée. « Dans tous les cas, il s’agit d’un processus par lequel les particules de sol sont détachées et transportées par l’impact des gouttes de pluie sur le sol et du ruissellement », détaille Hélène Carbonnier.

L’érosion diffuse se matérialise par les zones de dépôt de terre qui peuvent être observées en bas de pente. L’érosion concentrée est, quant à elle, marquée par la présence de rigoles, voire de ravines, résultant de la vitesse élevée du ruissellement. Ruissellement qui se produit lorsque l’intensité d’une pluie dépasse la capacité d’infiltration du sol. « Ce qui arrive lorsque le sol est saturé en eau ainsi qu’en cas d’averse orageuse », alerte-t-elle.

Les agriculteurs constituent les premières victimes de ces phénomènes érosifs. « La meilleure couche de sol disparaît, ce qui entraîne une baisse de productivité à court et long terme. S’y ajoutent des dégâts aux cultures et des opérations culturales rendues plus compliquées en raison de la présence de ravines… »

L’érosion déplace les particules de terre   au sein de la parcelle, mais aussi au-delà.  Avec les dégâts potentiels que l’on connaît.
L’érosion déplace les particules de terre au sein de la parcelle, mais aussi au-delà. Avec les dégâts potentiels que l’on connaît. - J.V.

Au-delà des dégâts aux parcelles agricoles, l’érosion n’est pas sans impact sur l’environnement. La qualité de l’eau est touchée (apport de terre, contamination par certains produits phytosanitaires…). Les habitations et voiries peuvent être frappées par les coulées de boue, avec un impact psychologique certain sur les victimes. « Ces dégâts sont parmi les plus visibles… L’image de l’agriculture en souffre grandement ! »

Agir pour contrer l’érosion des sols

L’érosion d’un sol agricole trouve son origine dans plusieurs facteurs, qu’il s’agisse de la pluie, du sol lui-même, de la topographie, de la couverture végétale…

  Érosivité de la pluie

« L’érosivité des pluies dépend de l’intensité de l’épisode pluvieux, c’est-à-dire de la force avec laquelle les gouttes touchent la parcelle, bien davantage que de la quantité tombée au sol. Cela explique pourquoi on cible particulièrement les orages, notamment au printemps, période critique où les sols sont travaillés et les semis à peine effectués », détaille Mme Carbonnier. Les longues pluies d’hiver constituent une seconde période critique, en raison de l’engorgement des sols en eau.

Les changements climatiques risquent d’influencer fortement ce paramètre, bien que des inconnues subsistent. Ce sera le cas si les pluies gagnent en intensité, si les orages deviennent plus fréquents ou encore si les longues périodes de pluie se multiplient. « Malheureusement, il n’est pas possible d’agir sur ce facteur… », enchaîne-t-elle.

  Érodibilité du sol

Il s’agit de sa sensibilité à l’action de la pluie (ou du ruissellement). L’érodibilité représente encore la facilité avec laquelle les particules de sol peuvent se détacher suite à l’impact d’une goutte de pluie.

Plusieurs paramètres du sol l’influencent : sa texture (et sa charge caillouteuse), sa teneur en matière organique et sa structure. « Les sols limoneux sont les plus sensibles à l’érosion alors que la présence d’argile confère aux parcelles une meilleure résistance. Une teneur élevée en matière organique permet également au sol de mieux se tenir. » Le pH, de même que le travail du sol, sont également des éléments à prendre en compte.

Alors que les agriculteurs ne peuvent avoir aucune influence sur la pluie, il en va tout autrement en ce qui concerne l’érodibilité du sol.

Plusieurs mesures sont évoquées : l’apport régulier de matière organique (par les intercultures, l’épandage de fumier…), l’incorporation d’amendements calcaires, la réduction du travail du sol (et, surtout, un moindre recours aux outils animés rendant les sols plus sensibles à l’érosion) et une réduction de la compaction (requérant de porter une attention particulière aux conditions de récolte).

Le « slake test », aussi appelé test de stabilité structurale, permet d’évaluer la stabilité d’un sol en présence d’eau  et, indirectement, sa sensibilité à l’érosion. Dans le cas présent, le vase de gauche montre une motte  se désagrégeant rapidement, issue d’une parcelle plus sensible que les deux autres.
Le « slake test », aussi appelé test de stabilité structurale, permet d’évaluer la stabilité d’un sol en présence d’eau et, indirectement, sa sensibilité à l’érosion. Dans le cas présent, le vase de gauche montre une motte se désagrégeant rapidement, issue d’une parcelle plus sensible que les deux autres. - J.V.

  Topographie

Troisième facteur à l’origine de l’érosion des terres agricoles, la topographie se présente sous deux composantes : l’inclinaison et la longueur de la pente. « L’inclinaison affecte la vitesse de l’eau de ruissellement et, par conséquent, sa force érosive et sa capacité d’arrachement. La longueur de la pente conditionne la vitesse mais aussi le volume d’eau en mesure d’emporter les sédiments. »

Ici aussi, il est possible d’agir, non pas sur l’inclinaison, mais bien sûr la longueur de la pente. Il est ainsi recommandé de réduire la taille des parcelles, d’alterner les cultures de printemps et d’hiver sur un même versant ou encore d’installer une bande enherbée en milieu de pente ou une trame hydraulique (haie ou fascine, par exemple).

  Couverture du sol

« Le feuillage protège le sol et absorbe l’énergie cinétique des gouttes de pluie, diminuant leur impact sur le sol. La culture ralentit aussi l’écoulement de l’eau et réduit l’érosion », explique Hélène Cordonnier. Les cultures d’hiver sont ainsi plus protectrices que les emblavements de printemps. Les prairies, elles, peuvent être victimes de ruissellement mais rarement d’érosion. « On estime qu’un taux de 30 % de couverture effective du sol permet une diminution d’environ 50 % de l’érosion. »

Agir sur ce quatrième facteur est à la portée des agriculteurs, en augmentant, d’une part, le taux de couverture du sol et, d’autre part, la période de couverture du sol au cours de l’année et, principalement, aux périodes dites critiques.

Pour ce faire, il faut penser aux intercultures longues, aux cultures sous couvert (par sous-semis, semis direct ou encore strip-till), aux cultures considérées comme couvrantes (céréales d’hiver, prairies temporaires…), au double semis (semis très dense) dans les zones d’érosion concentrée ou encore au maintien des résidus de culture.

  Pratiques et mesures de conservation du sol

Cinquième et dernier facteur à jouer un rôle en matière d’érosion, les pratiques de conservation renforcent la structure du sol, améliorent l’infiltration et réduisent les vitesses de ruissellement.

Celles-ci doivent être choisies selon les cultures implantées, le mode de travail de l’exploitation, la configuration des lieux… Il s’agit d’opter pour le non-labour, de travail selon les courbes de niveau, de réfléchir l’assolement à l’échelle d’un bassin-versant (et donc, si possible, en concertation avec les agriculteurs voisins), de cloisonner les inter-buttes en pommes de terre, d’utiliser un rouleau anti-érosion en maïs ou encore d’insérer des éléments de maillage hydraulique dans le parcellaire (chenal enherbé, bandes enherbées, haies, fascines…).

L’érosion dans le plan stratégique wallon

Afin de lutter contre ces phénomènes, la BCAE 5 « Gestion du travail du sol en vue de réduire le risque de dégradation et d’érosion des sols, en tenant compte de la déclivité », déjà plusieurs fois amendée et reportée, a vu le jour dans le cadre du plan stratégique wallon pour la politique agricole commune 2023-2027.

Le volet « érosion » dudit plan se décompose en trois parties. En premier lieu, figurent les aides à l’investissement pour du matériel anti-érosion ainsi que pour des aménagements non productifs. Il peut s’agir, pour ces dernier, de fascines, de fossés (à redents ou non), de noues, de mares tampons ou encore de bassins de rétention. Déplacer l’entrée d’un champ, pour la placer en amont plutôt qu’en aval, entre aussi en considération.

Les fascines sont relativement simples à mettre en place et permettent de filtrer l’eau en retenant  la boue.
Les fascines sont relativement simples à mettre en place et permettent de filtrer l’eau en retenant la boue. - J.V.

La seconde partie intègre les mesures volontaires que sont l’éco-régime « couverture longue des sols » ou diverses mesures agro-environnementales et climatiques (tournière enherbée, parcelle aménagée…). La troisième et dernière partie comprend la BCAE 5 mais aussi la BCAE 6 « Couverture des sols minimale en vue d’éviter les sols nus dans les périodes les plus sensibles ».

« La BCAE 5 a pour objectif la protection des sols contre l’érosion. Avec, comme bénéfice induit, de réduire les risques de coulées boueuses et de dégâts en aval vu que la terre est maintenue sur la parcelle agricole », détaille Hélène Carbonnier.

L’objectif de la mesure est de cibler les terres les plus sensibles. Pour rappel, pour ce faire, l’administration se base sur un référentiel mesurant la sensibilité à l’érosion des parcelles (en conditions de sol nu), définie comme étant très faible, faible, moyenne, élevée, très élevée ou extrême. Ce renseignement sera, a terme, disponible dans la Déclaration de superficie, sur Pac-on-Web.

« Les trois dernières classes de sensibilités sont concernées par la BCAE 5. Une fois ladite classe connue, on s’intéresse à la culture envisagée et à son risque potentiel. Sur cette base, les mesures correctrices, laissées aux choix des agriculteurs, doivent être mises en œuvre. »

Plusieurs moyens d’agir existent, dans le cadre de la BCAE 5. Il sera, premièrement, possible de se faire accompagner par un conseiller « protection des sols » en vue de mettre sur pied une solution complète à l’échelle de la ferme. Deuxièmement, on pourra réduire la classe de sensibilité à l’érosion de la parcelle, par diverses mesures (amélioration du taux de carbone jusqu’à atteindre une valeur seuil, division de la parcelle en plusieurs morceaux, ajout d’une ou de plusieurs bandes enherbées dans la parcelle…). Enfin, des techniques et pratiques culturales pourront être mises en place. Pour ce faire, une « boîte à outils des pratiques » verra le jour dans le but d’accompagner au mieux les agriculteurs en leur suggérant des mesures réalisables et soutenables financièrement et adaptées à la culture en place.

Sur demande de la ministre wallonne de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq, auprès de la Commission européenne, la nouvelle BCAE 5 devrait entrer en vigueur le 1er  juillet 2026 pour être opérationnelle dès le 1er  janvier 2027.

Jérémy Vandegoor

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