Sortir de la loi du plus fort

Dans une Europe sous tension, où les crises se succèdent plus vite que les réponses politiques, l’accord trouvé entre le conseil et le parlement sur les pratiques commerciales déloyales (lire les détails en p. 12) pourrait sembler n’être qu’un texte de plus dans l’arsenal bruxellois. Ce serait une erreur. Car ce compromis marque une inflexion stratégique dans un rapport de force qui, depuis trop longtemps, se joue au détriment des agriculteurs. Mais il n’est qu’un début, et l’UE commettrait une faute politique en s’imaginant qu’il suffira à rééquilibrer une chaîne de valeur profondément distordue. Depuis des années, les producteurs européens subissent une réalité que personne n’ignore plus : contrats imposés, prix compressés, délais de paiement étirés, pressions silencieuses. Face à eux, des acheteurs toujours plus concentrés, capables de peser sur les négociations bien au-delà des frontières nationales. La directive sur les pratiques commerciales déloyales avait amorcé une prise de conscience. Le nouvel accord renforce les moyens d’action, notamment en permettant aux autorités nationales d’enquêter ensemble, d’intervenir d’office et de traiter enfin les dossiers transfrontaliers de manière coordonnée. Le rapporteur du Parlement, Stefano Bonaccini, salue une avancée qui « met fin aux diktats des grands acheteurs ». La présidence danoise insiste sur la promesse d’une coopération plus fluide entre États membres. Mais, derrière les formules, une réalité demeure : ce texte comble des retards plus qu’il ne trace un horizon. En d’autres termes, il répare, mais il ne transforme pas.
Les défis structurels, eux, restent entiers. Rien, dans l’état actuel du cadre européen, ne protège réellement les producteurs contre la captation des marges en aval. Rien n’empêche les alliances de distributeurs de peser sur des filières entières, ou certains groupes de se relocaliser hors UE pour échapper aux règles. Rien, enfin, ne garantit une formation des prix qui reflète les coûts de production, alors même que ces coûts atteignent des niveaux inédits, sous l’effet du climat, de l’énergie et des intrants. C’est pourquoi le travail doit pas s’arrêter là. La révision de la directive en 2026 devra aller beaucoup plus loin. Car si l’Europe veut maintenir sa souveraineté alimentaire, elle ne peut pas se contenter de réduire quelques abus : elle doit s’atteler aux causes profondes de la faiblesse du revenu agricole et réexaminer, sans tabou, la manière dont la valeur est répartie dans la chaîne agroalimentaire. Le compromis adopté est utile, nécessaire, attendu. Mais il n’est qu’une étape intermédiaire. La vraie épreuve, la seule qui comptera vraiment pour les agriculteurs, sera la capacité de l’UE à affronter le cœur du problème : un marché qui, aujourd’hui encore, fonctionne trop souvent contre ceux qui le rendent possible.





