Cession ordinaire et privilégiée : deux situations bien spécifiques
La cession ordinaire et la cession privilégiée représentent tous deux le passage d’un statut du cédant au repreneur. Malgré certaines analogies, il convient néanmoins de bien les différencier.

On rappellera la teneur de la précédente parution : distinction entre la cession de bail à l’égard de tiers (autorisation préalable et écrite du bailleur requise) et la cession en famille (sans autorisation préalable et écrite moyennant notification).
Il est ici question d’induire une distinction dans la distinction, soit d’exposer qu’en matière de cession familiale, il existe encore deux types de cession : la cession familiale simple / ordinaire et la cession de bail privilégiée. Examinons ce qui les rapproche et ce qui les distingue.
Les similitudes, d’abord
Il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, pour le cédant, de céder son bail à un repreneur en famille, le cessionnaire. Le statut de locataire passe de l’un à l’autre, ni plus ni moins.
La notification obligatoire, ensuite. En matière de cession familiale simple / ordinaire, le délai pour notifier au bailleur la cession est de 3 mois, ce à dater de la cession elle-même. En matière de cession privilégiée, le délai est toujours de 3 mois, mais à dater de l’entrée en jouissance du cessionnaire.
Y a-t-il une réelle différence entre la date de la cession et la date de l’entrée en jouissance ? Difficile à dire. Si la date de la cession est la date à laquelle le cessionnaire prend possession du bien loué, il n’y a alors pas de différence à voir. Si, par contre, la date de la cession correspond à la date de la signature d’une convention de reprise entre le cédant et le cessionnaire et que ladite convention renseigne une date de prise de possession autre que celle de la date de signature, il peut alors y avoir une différence. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la prudence est de mise.
En tout état de cause, la notification est toujours un fait postérieur à la date de la cession ou à la date de l’entrée en jouissance.
Au niveau du contenu de la notification, la loi n’est pas fort loquace : elle précise simplement, relativement à la cession privilégiée, que ladite cession doit renseigner le nom, prénom et domicile du cessionnaire, ni plus ni moins. On doit supposer que la loi n’en demandera pas plus en matière de cession ordinaire / simple. En troisième lieu, les parents éligibles à être cessionnaires sont les mêmes dans les deux types de cession en famille.
Ensuite, les distinctions
La cession familiale simple / ordinaire induit que le cessionnaire poursuite le bail du cédant là où il se trouvait à l’époque de la cession : si le bail est, par exemple, à sa 4e année de la première période d’occupation, le cessionnaire poursuivra le bail qui se trouvera toujours à sa 4e année de la première période d’occupation.
La situation est différente en matière de cession privilégiée. Depuis 2020, la loi définit, expressis verbis, la cession privilégiée comme « la cession d’un bail à ferme opéré dans le respect de l’article 35 et qui aboutit à un renouvellement du bail ».
L’important à retenir, outre que la base légale de la cession privilégiée est l’article 35 de la loi, est que la cession privilégiée conduit à un renouvellement du bail, c’est-à-dire, exactement, que le cessionnaire entame une première et nouvelle période d’occupation de 9 ans. Les compteurs sont remis à zéro, sans continuité du bail comme en matière de cession simple ou ordinaire. Il est important de relever que ladite première et nouvelle période d’occupation de 9 ans prendra cours « à la date anniversaire de l’entrée en jouissance du cédant qui suit la notification ». Il faut donc tenter, si faire se peut, de déterminer quand le cédant (et non le cessionnaire) est entré en jouissance, souvent il y a des dizaines d’années, et ainsi définir la date anniversaire de cette entrée en jouissance qui suit la notification.
Un exemple : A cède son bail à B, son fils. La notification de cession date du 15 novembre 2025. A est lui-même entré en jouissance le 31 octobre 1990. La première et nouvelle période d’occupation dont jouira B prendra cours le 31 octobre 2026 : d’une certaine manière, il gagne donc une année bonus…
D’autres particularités
En termes de différences, toujours, la loi indique, en matière de cession privilégiée, que « le cédant est déchargé de toutes obligations résultant du bail nées postérieurement à la notification ». Tel n’est pas le cas en matière de cession ordinaire.
Cela signifie, par exemple, que si le cessionnaire ne paie pas ses fermages et ne parvient pas à les payer malgré une condamnation, le cédant demeurera garant des obligations de paiement du cessionnaire et devra payer en ses lieu et place, pour ensuite, évidemment, pouvoir se retourner contre le cessionnaire s’il le souhaite.
Autre différence notable : la loi impose, en matière de cession privilégiée, que le cessionnaire puisse justifier de conditions d’aptitude. Elle définit même lesdites conditions qui sont alternatives et non cumulatives :
1/ le cessionnaire est porteur d’un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole ;
2/ le cessionnaire poursuit un cursus depuis un an au moins en vue d’obtenir un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole ;
3/ le cessionnaire est exploitant agricole ou l’a été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années.
Ces conditions d’aptitude ne sont légalement pas requises en matière de cession ordinaire même s’il va de soi que tout cessionnaire doit pouvoir démontrer, le cas échéant, qu’il est un locataire « qui connaît son métier ».
Suite au prochain numéro…
avocats au Barreau de Tournai





