D’un point de vue juridique : qu’en est-il de la reconversion des bâtiments de ferme en gîtes ruraux ?
Le retour aux valeurs fondamentales de l’existence humaine depuis une trentaine d’années a revalorisé le patrimoine rural et a entraîné une politique de promotion du tourisme rural. Les villages sont maintenant revisités au travers des sentiers, des chemins ruraux, lesquels permettent la découverte d’un patrimoine architectural unique constitué par les bâtiments de ferme, comme vous pouvez le découvrir dans votre supplément Rula, joint à la présente édition.

Que les bâtiments soient anciens, telles des fermes en quadrilatère avec tours, douves ou modernes, ces bâtiments de ferme suscitent l’enjouement indéniable des touristes.
Les promoteurs tant de vente immobilière que de tourisme ne s’y sont pas trompés et promeuvent actuellement le retour au tourisme rural et l’achat de biens ruraux.
Ceci exposé, il convient de vérifier l’impact juridique de la reconversion des bâtiments de ferme en gîte. Les réponses seront nuancées selon que les bâtiments de ferme appartiennent à l’exploitant ou sont donnés en location sous bail à ferme à l’exploitant.
Des bâtiments de ferme en propriété
La propriété des bâtiments agricoles dans le chef des cultivateurs ne fait pas disparaître l’essence même de l’exploitation agricole à savoir : l’exploitation de biens immeubles en vue de la production de produits agricoles destinés principalement à la vente.
L’agriculteur dispose en effet d’un numéro d’unité d’exploitation et d’un numéro de producteur actuellement réunis sous un seul vocable, numéro de partenaire. Cette identification est concédée par la Région wallonne, Spw Agriculture, Ressources naturelles et Environnement, à la personne qui démontre bien qu’elle produit des denrées agricoles principalement destinées à la vente, et qu’elle a un siège d’exploitation, du matériel et des parcelles de terres cultivées.
Il ne suffit donc pas d’être propriétaire de bâtiments d’exploitation et de terres et prairies pour obtenir un numéro de producteur. Ceci étant, la personne propriétaire de bâtiments ruraux peut transformer ces bâtiments en gîtes ruraux en respectant la législation sur l’urbanisme. Ainsi, tout d’abord, qu’en sera-t-il des actes et travaux, soit soumis à un permis d’urbanisme, soit exonérés du permis d’urbanisme ou ne requérant pas le concours obligatoire d’un architecte.
Il est certain que la modification de l’intérieur des pièces d’habitation d’une ferme ou la modification de la nature du bâtiment par la création de plusieurs logements ou de gîtes nécessitera le concours d’un architecte, avec demande de permis d’urbanisme auprès de la commune, avec enquête commodo et incommodo.
Après transformation, le propriétaire des bâtiments sera tenu d’informer l’administration fiscale de toutes les transformations opérées à l’intérieur de la ferme afin que le revenu cadastral puisse être réapprécié en fonction de la construction ou de la transformation de pièces de la ferme en un ou plusieurs gîtes.
L’appellation « gîte rural » est soumise également à une autorisation de la Région wallonne, qui après un contrôle pourra décider de reprendre le gîte rural dans son organigramme. La déclaration fiscale de l’agriculteur devra prendre en compte les revenus tirés de la location de ces gîtes ruraux. Enfin, l’agriculteur pourra aussi obtenir des subventions pour la réalisation des gîtes. D’autre part, l’agriculteur pourra également développer le concept des fermes pédagogiques mais toujours après autorisation par les services régionaux compétents.
Et lorsque l’exploitant est locataire sous bail à ferme de bâtiments agricoles ?
La situation du locataire d’un bâtiment agricole est tout autre car il doit non seulement exploiter en bon père de famille mais il doit respecter la destination du bien.
En effet, cette obligation doit s’apprécier par référence à l’article 1er qui définit le bail à ferme et ce qu’il faut entendre par exploitation agricole à savoir : l’exploitation de biens immeubles en vue de la production de produits agricoles destinés principalement à la vente.
Comme le souligne le Répertoire notarial, le preneur ne peut pas transformer la ferme en une installation industrielle et affectée à des fins commerciales, de même qu’il ne peut pas soustraire les terres à leur destination de terres agricoles ou leur donner une destination sociale ou récréative.
Ceci étant, le développement du tourisme rural peut pousser l’exploitant à aménager des gîtes en vue de l’hébergement touristique. Cet hébergement touristique peut en effet être considéré comme un moyen de diversification agricole et de réhabilitation du patrimoine.
Néanmoins, la finalité du bail à ferme doit être respectée. Il ne faudrait pas, par exemple, que l’aménagement de gîte à l’intérieur de la ferme soit élisif de toute affectation agricole, la ferme étant transformée en gîte et l’exploitant se construisant ou prenant location d’un immeuble à un autre endroit que la ferme. Bref, la finalité du bail à ferme doit primer.
Définir la liberté de culture
La liberté d’exploitation du preneur est en effet consacrée par les articles 24 et 25 de la loi sur le bail à ferme qui répute inexistante toute clause conventionnelle restreignant la liberté du preneur quant aux modes de cultures des terres louées ou quant à la disposition des produits de la ferme.
On aperçoit immédiatement que la construction ou l’aménagement d’un gîte à l’intérieur d’un bâtiment agricole pris en location ne peut être considérée comme une culture à moins que le vocable culture n’englobe toutes les activités principales et accessoires de l’exploitation agricole.
En second lieu, il faut prendre en considération l’article 25 de la loi sur le bail à ferme qui porte que le preneur a le droit, sauf en cas de congé valable, de construire tous les bâtiments quitte à lui de les entretenir et d’en supporter les charges, de faire tous les travaux et ouvrages y compris les travaux et ouvrages nouveaux, les travaux et ouvrages d’amélioration, de réparations et de reconstructions qui sont utiles à l’habitabilité du bien loué ou utile à l’exploitation du bien et conformes à sa destination.
À titre d’exemple, le preneur peut construire une stabulation libre, un silo destiné à recevoir la nourriture pour bétail, fumières, des bâtiments, hangars, des installations électriques, des installations d’eau courante, placement de clôture, placement d’éolienne, bref tous les travaux utiles à l’habitabilité du bien loué ou de l’exploitation du bien et conforme à sa destination.
Et l’aménagement de gîtes ?
Mais, peut-on considérer que la construction de gîte est conforme à la destination agricole du bien loué. Cette question pose problème dans la mesure où effectivement, l’hébergement touristique peut être considéré comme un moyen de diversification agricole et d’une certaine manière conforme à la destination agricole. Par contre, si tel est le cas, le preneur aurait le droit d’aménager un ou plusieurs gîte(s) ruraux à l’intérieur des bâtiments agricoles sans devoir nécessairement demander l’autorisation du bailleur.
Si une clause inscrite dans le bail interdisait l’aménagement de gîtes, pourrait-elle être considérée comme clause restreignant la liberté culturale. En effet, ne sont pas considérées comme clauses restreignant la liberté culturale, celles qui concernent l’état général du bien au moment de sa restitution en fin de bail et celles qui concernent bien sur la protection de l’environnement.
Lorsqu’un bâtiment agricole est donné en exploitation à un locataire, une clause interdisant l’aménagement de gîtes pourrait être considérée comme légale puisqu’elle concerne l’état général du bien au moment de sa restitution en fin de bail.
Les répercussions sur le bailleur
Se pose également la question de prendre en considération les conséquences pour le bailleur de l’aménagement de gîtes ruraux autorisés ou non, préalablement à la construction.
En effet, conformément à l’article 26 de la loi sur le bail à ferme, à la fin de l’occupation, le preneur qui a supporté les frais de constructions, travaux et ouvrages a droit à une indemnité égale à la plus-value que le bien acquis de ce fait.
Lorsque ces constructions, travaux et ouvrages ont été faits avec le consentement écrit du bailleur ou avec l’autorisation du juge de paix, le montant de cette indemnité ne pourra être inférieur aux frais que le preneur a supportés dans la mesure où ils n’ont pas été amortis, cet amortissement étant fixé forfaitairement à 4 %.
Si le bailleur autorise la construction de l’aménagement de gîtes à l’intérieur du bâtiment rural, il devra payer une indemnité au preneur qui les a supportées, tenant compte également de la plus-value. Et s’il n’y a pas eu consentement, le montant de l’indemnité ne pourra dépasser la somme des fermages payés par le preneur au cours des 3 dernières années pour la totalité des biens loués par lui ou un bailleur.
Les conséquences de la construction de gîtes ruraux dans des bâtiments agricoles pris en location peuvent être financièrement difficiles à supporter pour le bailleur. L’introduction d’une clause dans un bail écrit de l’interdiction d’aménagement d’un ou de plusieurs gîtes serait une sage précaution pour le bailleur.
Enfin, la dégradation du caractère architectural du bâtiment par la construction de gîtes doit pouvoir être prise en considération pour viser une telle interdiction.
Pour conclure
À condition de respecter les différentes législations en matière d’urbanisme, fiscalité et autre, le propriétaire d’un bâtiment rural peut aménager effectivement des gîtes ruraux.
Par contre, lorsque l’exploitant est locataire du bâtiment agricole, le problème est beaucoup plus aigu et peut entraîner des conséquences très éprouvantes pour le bailleur en cas de construction de gîtes à l’intérieur de bâtiments agricoles pris en location, nonobstant le désir bien légitime de promotion du tourisme rural et d’exigence de diversification agricole dans un secteur agricole très éprouvé financièrement actuellement.
avocats au Barreau de Tournai





