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En matière de bail à ferme : «Le peuplier que je plante aujourd’hui, sera-t-il encore à moi dans 20 ans?»

Dans le reportage consacré à la populiculture, Tanguy Duphénieux pointe les nombreux obstacles à cette forme d’exploitation. Parmi eux, il évoque notamment le flou juridique entourant le bail à ferme, qui ne précise pas clairement à qui appartiennent les arbres plantés sur un terrain loué. Louise et Henry Van Malleghem, avocats au Barreau de Tournai, apportent leur éclairage sur la question.

Temps de lecture : 8 min

Le concept d’une activité agricole sous l’angle de la culture des peupliers par Tanguy Duphénieux, héritier d’une longue lignée de populiculteurs, mais avec un hommage à son oncle Louis Dubois, dont on peut dire de ce dernier qu’il fut véritablement le concepteur de ce modèle économique, est excessivement intéressant et passionnant. Monsieur Tanguy Duphénieux se pose néanmoins quelques questions utiles en ce qui concerne le régime juridique des plantations d’arbres.

Concernant les règlements d’urbanisme

Les plantations d’arbres et le déboisement sont permis dans les zones boisées déterminées par le Code d’urbanisme mais après permis.

Ces règlements s’imposent lorsqu’il s’agit de plantations sur une certaine superficie (1 hectare), mais d’une manière générale, il est prudent de s’adresser préalablement aux services communaux avant d’entreprendre toutes plantations ou toutes destructions d’arbres tel que les arbres remarquables.

Par ailleurs, la plantation d’arbres ornementaux, en zone privée est permise mais non pas à grande échelle.

Veiller aux distances de plantation

En zone agricole, la distance à respecter pour les plantations d’arbres de hautes tiges est de six mètres.

Hoirs de ces zones agricoles, la distance est de deux mètres.

Ceci étant, un arbre peut être source de nuisances telles que perte de vue, perte d’ensoleillement, chute des feuilles, bruit et dans ce cas, les personnes préjudiciées par la présence des arbres, peuvent s’adresser au juge de paix pour demander l’enlèvement de l’arbre ou l’enlèvement de branches, causant un trouble excédant les inconvénients ordinaires de voisinage (article 544 de l’ancien Code civil).

Compte tenu de la loi sur le bail à ferme

Hormis le respect des règles urbanistiques et de distances, le propriétaire d’un bien immobilier dont il a l’entière jouissance ou dont il est propriétaire exploitant, n’a aucune contrainte.

Par contre, le propriétaire d’une terre donnée en location à un agriculteur ou un agriculteur tenant en location une terre appartenant à un propriétaire, est lié par les règles du bail à ferme (loi du 7 novembre 1988 et décret du 2 mai 2019).

Rappelons tout d’abord que la loi sur le bail à ferme est applicable et relative aux baux de biens immeubles affectés principalement à l’exploitation agricole, à l’exclusion de la sylviculture.

Par exploitation agricole, on entend l’exploitation de biens immeubles en vue de la production de produits agricoles destinés principalement à la vente (article 1 de la loi sur le bail à ferme).

L’article 10 de la loi sur le bail à ferme contient que ne constitue pas une exploitation personnelle, la plantation sur le bien loué de conifères, d’essences feuillues ou de taillis, sauf s’il s’agit d’horticulture ou de plantations nécessaires à la conservation du bien.

Le cas particulier des arbres fruitiers

L’article 28 de la loi sur le bail à ferme contient qu’aucune plantation d’arbres ne peut être faite par le bailleur, exception faite du remplacement d’arbres fruitiers à hautes ou basses tiges et du remplacement d’arbres forestiers sur les prairies et les plantations nécessaires à la conservation du bien.

Le preneur, de son côté, ne peut faire de nouvelles plantations qu’avec le consentement écrit du bailleur, sauf si ces plantations sont nécessaires à la conservation du bien et sauf les plantations de remplacement d’arbres morts ou abattus, et celles d’arbres fruitiers à basses tiges.

En ce qui concerne les arbres fruitiers à basses tiges, leur plantation n’est toutefois autorisée que si elle a une étendue d’au moins cinquante ares, si elle est attenante à une plantation existante ou un chemin d’accès permanent et pour autant qu’elle soit courante dans la région et conforme aux données d’une exploitation rationnelle, mais après avis favorable des services de la Région wallonne.

Une indemnité pour la plus-value ou la moins-value

Si une plantation autorisée par écrit par le bailleur ou effectuée régulièrement a causé une plus-value au bien loué, et si le bail prend fin à l’initiative du bailleur avant que la plantation ait dix-huit ans, le preneur a droit à une indemnité qui sera égale à cette plus-value.

Si le bail prend fin à l’initiative du preneur, cette indemnité ne peut pas dépasser le montant des fermages payés au cours des cinq dernières années par le preneur pour la totalité des biens loués par lui, au même propriétaire.

Si une telle plantation a causé une moins-value au bien loué, le bailleur a droit, de la part du preneur, à une indemnité qui sera égale à cette moins-value.

Qu’en est-il de la « culture du bois » ?

Rappelons que la loi sur le bail à ferme inclut dans son champ d’application, outre les modes traditionnels de culture et d’élevage, la culture maraîchère, la floriculture, l’arboriculture fruitière et autres activités de nature analogue qui peuvent se pratiquer sur une surface de peu d’étendue.

Ainsi, un horticulteur ou un pépiniériste, par la nature de leur activité ou la destination de leurs produits, sont protégés par la loi sur le bail à ferme.

L’article 1 de la loi sur le bail à ferme se borne uniquement en fait à écarter la sylviculture, mais qu’en est-il de la ligniculture ou « culture du bois » ?

La doctrine nous enseigne que la ligniculture ou « culture du bois » tend à la production de fibres de bois pour l’industrie ou le chauffage domestique, à la différence de la sylviculture ou « culture des arbres forestiers » qui produit en outre du bois d’œuvre pour la construction et du bois de sciage et de déroulage pour la fabrication du mobilier.

La ligniculture se pratique en taillis à courtes rotations, destinés à produire le plus possible de matière dans un temps réduit ; la croissance est très rapide, de l’ordre à vingt temps, donc à court terme.

On a qualifié la culture du bois de « spéculation agro-forestière » ou « sylvo-agricole ».

… et de la populiculture ?

Concernant la populiculture, la doctrine nous enseigne également que la culture de peupliers, notamment sous cette forme de rotations rapides, même si on l’a considérée d’un point de vue technique et économique comme une « symbiose » entre la production agricole et la production de bois, n’en reste pas moins, par sa nature de l’ordre de la sylviculture à laquelle elle doit être rattachée, quelle que soit sa destination.

En comparant la culture de peupliers avec les sapins de noël, on parle d’un « type d’agrosylviculture », mais il reste alors à se demander si un preneur n’enfreint pas l’article 28 de la loi sur le bail à ferme rappelé ci-avant en se faisant « cultivateur de peupliers » bénéficiant ainsi que primes et diversifiant ainsi ses productions.

En effet, si le preneur nonobstant toute clause contraire, a la liberté d’exploiter le bien en décidant à son gré des modes de culture des terres louées (article 24 de la loi sur le bail à ferme), il n’en résulte pas moins qu’il ne puisse faire des plantations à sa guise.

À notre sens, il n’a ce droit que si le bailleur lui donne son consentement écrit, à moins qu’il ne s’agisse de plantations nécessaires à la conservation du bien ou de plantations d’arbres morts ou abattus, ou d’arbres fruitiers.

Le consentement du bailleur doit nécessairement être écrit.

En corollaire, s’il est interdit au bailleur de faire de nouvelles plantations sans l’accord du preneur, aucun accord n’est requis si le bailleur veut procéder au remplacement d’arbres fruitiers ou à hautes tiges ou d’arbres forestiers existants dans le bien.

Reste malgré tout que la loi sur le bail à ferme autorise cependant le preneur à enlever les plantations qui porteraient atteinte au libre exercice de son droit d’exploiter, mais le preneur ne peut agir d’initiative, devant obtenir préalablement le consentement écrit du bailleur ou du juge de paix et à la condition que l’enlèvement n’entraîne pas une modification de la destination du bien loué et, le cas échéant, que le preneur paie une indemnité égale au préjudice subi par le propriétaire.

En résumé

La réponse à la question posée par Monsieur Duphénieux en ce qui concerne le fait pour lui de retrouver ses plantations de peupliers à la fin du bail est ainsi plus ou moins résolue.

Les plantions existant avant le bail restent appartenir au bailleur et doivent être restituées en l’état, sauf bien entendu autorisation d’enlèvement.

Les plantations faites en cours de bail avec l’autorisation obligatoire du preneur restent la propriété du bailleur et devront être également restituées en l’état en fin de bail.

Les plantations faites par le preneur avec le consentement écrit du bailleur lui appartiennent, mais en fin de bail, il devra restituer le bien dans l’état dans lequel ce bien lui a été donné en location.

L’obligation imposée actuellement par le Décret du 2 mai 2019 de rédiger des baux écrits avant et pendant le bail à ferme du preneur prend ici toute son importance car à défaut d’un bail écrit avec état des lieux d’entrée, il sera toujours très difficile d’apporter la preuve de l’existence ou non d’arbres de hautes tiges tel que le peuplier.

Concluons enfin cette brève synthèse juridique par une réflexion :

L’arbre est un être vivant qu’il faut protéger et développer parce qu’il contribue au bien-être des habitants de la planète, mais en respectant les droits du bailleur et du preneur.

Louise & Henry Van Malleghem,

avocats au Barreau de Tournai

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