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L’étrange veillée de Noël et Lola

– Dis, Noël , pour quelle raison tu ne t’es jamais marié? voilà ! Mademoiselle « Pourquoi » a démarré un nouveau cycle de questions ! Le vieux Léon fait mine de n’avoir rien entendu, mais la gamine revient à la charge, lui tire sur la manche pour appuyer sa requête.

Temps de lecture : 16 min

Tu ne veux pas me le dire ? C’est un secret ?

Quoi ? Quel secret, Lola ?

Personne n’a voulu de moi. Point final. Voilà, tu es contente ?

– Ce n’est pas vrai. Mamy m’a dit que tu préférais les blondes pétillantes dans un grand verre, servies bien fraîches aux bals des kermesses, selon ses mots. Tu t’en enfilais des dizaines et puis tu oubliais de faire danser les filles.

– Oh ! Ta Mamy t’a dit ça ? Quoi d’autre ?

– Que tu aimais mieux courir derrière un ballon de foot tous les dimanches, au lieu d’aller courtiser une fiancée.

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– Alors, puisque tu sais tout ça, pourquoi m’as-tu posé cette question ? Laisse-moi tranquille avec ça !

Léon a pris son air le plus bougon pour la rabrouer. S’il entre dans son jeu, elle finira par lui tirer les vers du nez et il faudra lui raconter cette histoire ancienne qu’il a enterrée depuis longtemps, et rouvrir une plaie mal cicatrisée. Dolorès croise les bras sur sa poitrine naissante et le fusille de son regard bleu foncé, couleur d’orage. Puis elle se ravise et lui offre un grand sourire. «  Oh la!  », se dit le vieux célibataire, elle va sûrement me demander autre chose  !

Pardon, Noël ! Je ne savais pas que cela te faisait encore souffrir… Car c’est bien ça, hein ? Tu as eu un grand chagrin d’amour, et…

– Stop ! Dis, Lola, tu n’aurais pas un autre sujet de conversation ? Je t’aime bien, mais parfois, tu chausses tes grosses bottes pour piétiner mon jardin secret !

– En fait, je suis venue pour t’inviter à la Veillée de Noël, qui se tient demain soir à l’église.

Mon grand-oncle Noël à la messe de Noël : ce sera chouette, non ?

– Il n’y a que toi qui m’appelles ainsi. Mon vrai prénom, c’est Léon !

– Je sais, mais lu à l’envers, il devient « Noël ». Tellement plus joli !

- Et toi, tu dis bien « Lola », au lieu de « Dolorès » !

– En même temps, s’appeler « Douleur » en espagnol, c’est pas un cadeau…

– Tout le monde par ici prononce « Lèyon ». « Le layon de Lèyon est souillé le long de l’eau. »

– Très drôle ! 

Tout un poème !

Lola est vraiment très spéciale ! Elle seule parvient à dérider le vieil ours : un véritable tour de force, tant il se complaît dans sa mauvaise humeur ! Personne n’ose l’approcher : ni sa sœur, grand-mère de Lola, ni ses frères, et encore moins ses nièces et ses neveux. Il a toujours refusé que ceux-ci l’appellent « tonton » ou « mon oncle » ; il est donc « Lèyon le grognon » pour tous ceux qui le connaissent, sauf pour Dolorès !

La gamine de 11 ans vit chez sa Mamy, seule avec elle depuis le décès de son Papy l’an dernier. Cette enfant, c’est tout un poème, se dit souvent le vieil homme. Un poème de l’Île d’Émeraude… Sa mère, une écervelée de 22 ans à l’époque, est revenue porteuse d’une petite Irlandaise installée sous son nombril, après un Erasmus dans la Verte Érin. Et Lola vint au monde ! Fan absolue des Cranberries, la jeune maman a choisi pour son bébé le prénom de la chanteuse mythique du groupe irlandais : Dolorès O’Riordan. À l’image de la pop star, Lola offre un contraste saisissant entre ses cheveux noir de jais et le teint pâle de son visage en forme de cœur, illuminé par deux grands yeux violets très écartés. Combinée à sa haute stature, son apparence physique serait typiquement gaélique, selon la mère de l’enfant. Les Irlandais ne sont pas tous roux, loin s’en faut !

Cela n’arrange guère la pauvre gamine, privée de parents dès sa naissance… Son idéaliste de mère visite tous les continents avec MSF Belgique, déterminée à soigner tous ceux qu’elle croise, mais peu encline à prendre sa propre fille en charge, élevée depuis sa naissance par sa grand-maman Germaine. Celle-ci habite à 100 m environ de son frère Léon ; ils n’entretiennent que des liens distants depuis le décès de leurs parents. Leur seul trait d’union n’est autre que Lola, la «  dompteuse du grizzly  », se tord de rire toute la famille.

Toujours collée à sa grand-mère, Dolorès accompagnait celle-ci quand elle rendait visite aux vieux parents, puis la petite s’est prise de fascination pour Léon, qu’elle a rebaptisé « Noël » dès qu’elle a appris à lire. En représailles, il lui a donné du « Lola », diminutif espagnol de Dolorès, et même du « Lolita » à la connotation équivoque, interdit aussitôt par Germaine. La gamine s’est mise à suivre partout le vieil homme sans rien dire, à l’aider à nourrir ses dernières vaches. Il avait beau la chasser, la reconduire manu militari chez elle, rien à faire ! Elle revenait sans cesse à la charge, et ils sont devenus peu à peu inséparables.

L’Arche de Noé-Noël

Pourquoi s’est-il pris d’affection pour Dolorès ? Noël n’a jamais compris le processus qu’elle a enclenché en lui. Son visage si particulier et le son mélodieux de sa voix lui coupent bras et jambes quand elle lui mendie un livre ou une babiole que sa Mamy lui refuse. Elle lui demande des animaux, surtout, qu’elle aime à la folie, « parce qu’ils ne me repoussent pas, eux ! ». Elle a commencé sa collection avec des petites bêtes : des lapins, puis des poules, ensuite des moutons Black-Face, deux petites vaches noires de race Kerry, qu’ils ont achetés ensemble et logés dans les vastes étables vides. Des animaux irlandais, s’entend ! Car Lola revendique sans concession ses racines celtiques !

Leur dernière acquisition n’est autre que Dinky, un Irish Cob, énorme poney à la robe pie, brun et blanc. Il a coûté 3.200 € à Lèyon, ce vieux grigou ! Mais il n’a pu résister aux implorations des grands yeux violets noyés de larmes, quand il lui a dit que c’était trop cher. Bien entendu, il a fallu lui trouver un copain : Twinky, un autre Cob Gypsy, noir et blanc. 3.100 € de plus, sans compter les aménagements dans l’étable, et les clôtures pour chevaux ! Tout le monde a ouvert des yeux comme des soucoupes à l’évocation de ces folles dépenses, car « ce Lèyon, y’a pas plus radin ! Y’a que la fumée qui sort de son toit ! ».

Mais Noël s’en fout, de ses sous. Plus il vieillit, plus il s’en fiche, de ces conneries. À 72 ans, il a d’autres choses à songer qu’à son argent : à sa vie gaspillée, à sa santé défaillante, à sa fin proche, au devenir de ses biens quand il sera mort. Lola lui apporte une légèreté qu’il n’a jamais connue, une insouciance et une spontanéité dont il ignorait la valeur, une amitié inespérée autant qu’imméritée… Alors oui, bien sûr, il va l’accompagner à sa veillée de Noël, quoiqu’il lui en coûte, de voir les gens du village le regarder comme une bête curieuse.

Messe de Noël

Donc, tu es d’accord ? Je viendrai te chercher vers 18 h ce soir. Il faut que tu viennes absolument, car cette année, je tiens le rôle de la Vierge Marie dans la crèche vivante !

– Alors là oui ! Je ne voudrais pas rater ça !

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L’enthousiasme de Noël n’est qu’apparent, pour ne pas vexer la gamine, car en son for intérieur, il se demande ce qui lui prend de faire ses quatre volontés, d’aller à l’église où il ne met plus les pieds que de loin en loin, pour suivre des enterrements. La grande fille s’éloigne avec force gestes d’au revoir, ravie et sans doute étonnée de l’avoir convaincu aussi facilement.

À 18 h précises, Dolorès frappe à sa porte, déguisée en Sainte Vierge plus vraie que nature ! Le vieil homme en a presque les larmes aux yeux, de la voir si élégante, et tellement jolie. Irrésistible !

– Il faut que je te dise, Noël. Mamy est grippée et ne peut nous accompagner. Tu dois veiller sur moi, a-t-elle dit, me protéger et ne pas me quitter des yeux. Ne pas boire des bières à la réception d’après-messe et me reconduire directement chez nous. Sinon, elle viendra te disputer !

– À vos ordres, mon général ! Je serai votre garde du corps, bien que, à mon avis, ce sera plutôt l’inverse. Regarde : tu es maintenant plus grande que moi !

Elle le prend d’autorité par le coude, et les voilà partis bras dessus bras dessous. L’église est illuminée de toutes ses lampes, de toutes ses bougies et ampoules colorées de Noël. Une vingtaine d’enfants déguisés s’agitent devant une crèche improvisée, surveillés par deux dames dans la force de l’âge : leurs catéchistes sans doute. Lola l’entraîne au premier banc, où il s’installe après avoir salué d’un geste de la main le groupe animé. Toute fière, Dolorès-Vierge-Marie s’avance auprès des deux rombières, mais celles-ci la regardent d’un air agacé et se lancent dans une longue explication.

Une enfant naturelle

Le vieux Noël voit la gamine se rembrunir, se croiser les bras sur sa poitrine, prendre son air buté, se mettre à gesticuler et crier jusqu’à ce que la plus grande des deux harpies la gifle sans ménagement. Le paysan se lève aussitôt, vient aux nouvelles. Lola est en larmes :

– Noël, ooooh Noël ! Elles ne veulent plus que je sois la Vierge ! Je dois être un ange, maintenant. C’était moi. Lors des répétitions, elles l’ont bien dit.

Le vieil homme se tourne vers les deux femmes leur demande des précisions :

– Dolorès devait tenir le rôle de Marie. Sa grand-mère lui a confectionné une belle tenue, et vous lui brisez le cœur en la refoulant en dernière minute ! Pourquoi ?

– Nous n’y sommes pour rien. Monsieur le curé en a décidé ainsi. Adresse-toi à lui !

– Bravo Mesdames ! Vous serez parfaites dans le rôle de Ponce Pilate lors de la prochaine Passion : vous vous en lavez les mains !

Et toi, Irma, pourquoi as-tu frappé une gamine innocente la veille de Noël : tu n’as pas honte ?

– Elle s’est montrée impertinente !

– Tu n’as pas changé, Irma. Faire souffrir les gens ne t’a jamais dérangé…

– Tais-toi seulement, vieux fou ! Et va voir le Curé, si tu l’oses !

– Je ne vais pas me gêner ! Viens, Lola…

La grande fille et le vieil homme se dirigent d’un air décidé vers la sacristie. Enfant de chœur durant son enfance, Léon connaît l’endroit comme sa poche. Le prêtre, un homme massif, lève sa grosse tête léonine, visiblement outré de les voir pénétrer dans son repaire sacré. Teint fleuri et bouche lippue, ses yeux lancent des éclairs. Noël attaque aussitôt :

– Bonsoir Monsieur l’Abbé. Excusez-nous de vous déranger, mais les dames du catéchisme ont retiré le rôle de la Vierge Marie à ma petite-nièce Dolorès, un rôle qu’on lui avait promis, et qu’elle se réjouissait de tenir. Voyez comme elle est belle !

– Enfin, Monsieur ! Vous êtes dans mon église ! Ce n’est pas une république, ici ! Irma et Gisèle m’ont fait remarquer qu’il ne serait guère opportun de donner le rôle de l’Immaculée Conception à une enfant naturelle, au risque de choquer les paroissiens. J’ai approuvé leur suggestion de confier ce rôle à la petite-fille d’Irma, une enfant de bonne famille, au-dessus de tout soupçon !

– C’était donc ça. Quelle mesquinerie ! Sachez, Père Abbé, que cette Irma « au-dessus de tout soupçon » s’est mariée voici 50 ans au petit matin sous les cloches, enceinte de 3 mois d’un homme qui n’était pas son fiancé. Que la mère de Gisèle est née du Saint-Esprit.

Et puis, entre nous, dites-moi ? Le Christ ? Je veux bien croire tout ce qu’on veut, l’Archange Gabriel et tout ça, mais Saint Joseph n’était pas son père biologique. Le petit Jésus aussi était un « enfant naturel », comme vous dites !

– Vous blasphémez, Monsieur ! Sortez de mon église. Vade retro, satanas !

Réveillon à l’étable

Dolorès en larmes et le vieux Léon redescendent d’un pas digne la grande allée de l’église, sous le regard médusé des villageois venus assister nombreux à la messe de la Nativité. L’oncle et sa petite-nièce retournent tristement chez eux, traumatisés par l’éviction de Lola. Les pleurs de celle-ci se tarissent peu à peu. Elle demande à Noël :

– Que va dire Mamy ?

– Je ne sais pas trop… J’imagine qu’elle sera très fâchée sur le curé et ses deux grenouilles de bénitier, mais en même temps, je vais en prendre pour mon grade si quelqu’un lui raconte notre expédition punitive dans la sacristie.

– Trop bien ! Tu l’as mouché grave, ce curé. Tu as gâché son réveillon, j’ai l’impression !

Je le déteste, lui et sa manie de passer sa main dans mes cheveux, de me parler dans le cou avec son haleine de chat !

Hier après-midi, il a voulu me confesser seule à la sacristie, m’expliquer mon rôle de la mère de Jésus. « Dieu aimerait te prendre dans ses bras, », m’a-t-il dit, « comme ça ! », et il m’a prise contre lui. Je me suis sauvée, car il me serrait très fort, promenait ses mains partout sur moi !

– C’est vrai ?

Lola hoche vigoureusement la tête. Elle dit la vérité, c’est évident ! Pauvre gamine… Elle est la sincérité même, et n’a personne pour la défendre…

– Sache que personne n’a le droit de te toucher, sauf ta Mamy et ta Maman !

– Même pas toi ?

– Même pas moi.

Je comprends tout, maintenant, pourquoi il t’a virée du rôle de Marie !

Ne t’approche plus de lui. J’en parlerai demain à ta Mamy, et au bourgmestre, aussi.

– Il n’y a pas de danger que j’y retourne ! Me voilà chassée du catéchisme. Irma et Gisèle ne m’accepteront plus.

– Tu iras faire ta communion ailleurs, ne te tracasse pas. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Tu veux rentrer tout de suite ?

– Non. Si on allait voir les animaux ?

Le vieil homme et la grande enfant remontent le village vers la ferme de Léon. Twinky et Dinky hennissent joyeusement à leur arrivée dans l’étable. Les moutons et les mini-vaches joignent bêlements et mugissements à ce concert improvisé. Lola applaudit des deux mains et s’empressent de leur donner des brassées de foin odorant, dans sa tenue bleu ciel de Sainte-Vierge qui se couvre de fétus. Ses cheveux noirs se libèrent de sa coiffe et ses yeux étincellent. Tous deux s’installent sur un ballot de paille.

– Tu vois, Noël, on l’aura tout de même eu, notre crèche vivante !

– Oui ! Bien plus chouette que celle de l’église !

– Je peux mettre de la musique ? Je vais te faire écouter ma chanson  ! « Zombie  ». Je suis un zombie, vois-tu, aux yeux des gens.

Zombie !

Elle sort son iPhone, autre cadeau de Lèyon-Noël- des tréfonds des multiples tissus de son costume, pianote sur l’écran, et la voix déchirante de Dolorès O’Riordan s’élève sous les charpentes de l’ancienne étable. Zombie… Lola traduit les paroles, au fur et à mesure :

– Une autre tête pend tristement ; l’enfant est emporté lentement, et la violence cause le silence. Mais tu vois, ce n’est pas moi ; ce n’est pas ma famille.

Dans ta tête, dans ta tête, ils combattent avec leurs tanks et leurs bombes, et leurs bombes et leurs armes.

Dans ta tête, dans ta tête, ils pleurent.

Dans ta tête, dans ta tête, zombie, zombie, zombie ? Hé hé ? Qu’y a-t-il dans ta tête ?

Dans ta tête ?

Léon ne peut retenir quelques larmes, lui aussi. La chanson résonne en lui, raisonne en lui… Qu’y a-t-il dans sa tête à lui ? Lola a glissé sa main dans la sienne. Elle lui demande :

– Toi aussi, tu as été trahi ? Tu es un peu zombie, pas vrai ?

– Oui ! Une fille m’a promis un jour le mariage, puis elle m’a laissé tomber pour un autre. Depuis lors, je n’ai plus jamais fait confiance à quiconque…

– C’était Irma la gifleuse ?

– Oui… Tu as bien deviné.

– Et bien, tu l’as échappé belle ! Ce n’est qu’une vieille bique frustrée de la vie, une bigote de compétition… Tu méritais beaucoup mieux !

Mais à moi, Noël, tu fais confiance ?

– Oh oui ! Sûrement ! Tu es bien la seule…

Écoute, j’ai une question qui me brûle les lèvres depuis longtemps : dis-moi, Lola, tu aimerais faire quoi, quand tu seras grande ?

– Je ne sais pas trop. M’occuper d’animaux, c’est sûr. Fermière, ou vétérinaire, par exemple. Tu penses que Mamy me laissera sa ferme ? Avec des champs ?

– Peut-être. Il faut voir avec ta mère, tes oncles et tantes, tes cousins et cousines…

– Alors, je n’aurai rien du tout. Ils ne m’aiment pas. Tout le monde me hait. Je suis une enfant naturelle, a dit le curé. Les autres, à l’école, disent que je suis une fille de coucou, une rien-du-tout sans le sou.

Une fille zombie. Une morte-vivante aux yeux de tout le monde. Personne ne me respecte…

– Crois-moi, Lola, tout finira par s’arranger pour toi ! Ne t’en fais pas.

Tu auras une belle vie, mais promets-moi de ne jamais te refermer sur toi-même, comme je l’ai fait !

– Je te le promets sur la tête de Twinky et Tinky !

– Ta vie sera comme un long Noël, je t’en fais la promesse solennelle !

Nuit blanche, nuit magique de Noël…

Lola et Noël écoutent à nouveau la chanson poignante des Cranberries, puis les deux réveillonneurs se lèvent, éteignent les lumières de l’étable, et le vieil homme reconduit la gamine chez sa grand-mère. De retour chez lui, il tisonne le foyer de son poêle à bois et s’installe à la table de sa cuisine. Deux enveloppes l’y attendent depuis plusieurs jours. Il ouvre un tiroir, se saisit d’un couteau éplucheur et libère en premier la lettre de la clinique :

– Veuillez compléter le questionnaire ci-joint pour l’anesthésie et vous présenter le 3 janvier en hôpital de jour pour votre biopsie du xxxxx.

– Merde ! C’est foutu. J’irai pas.

«  Six à huit mois. Deux ans dans le meilleur des cas, si vous acceptez de suivre un traitement . », a dit l’oncologue. Et puis bye bye  !

Léon parle tout seul, comme il en a l’habitude depuis des dizaines d’années.

Et bien tant pis. Zut au cancer ! Je déclare forfait. 5 buts à 0…

Il s’empare ensuite de la lourde missive du notaire, en sort plusieurs feuilles imprimées.

Veuillez signer les documents et me les faire parvenir par retour de courrier dans l’enveloppe ci-jointe.

L’un après l’autre, scrupuleusement, il lit et relit les termes des donations. 3 % de frais, a dit le notaire, s’il a bien compris… Sinon, elle payera du 50 %. La ferme et tous les étables, OK ! Les xx hectares, OK ! Les fonds en banque, environ xxxx000  €, OK ! Personne ne lui dira plus jamais qu’elle est sans le sou. Son pire cauchemar ne se réalisera pas, celui de voir ses neveux et nièces se réjouir de sa mort, venir piller sa maison, vendre les poneys de Lola et se partager le magot comme des vautours. Sans rien laisser à sa protégée !

Il signe et contresigne, passe une nuit blanche à tout relire, à ajouter quelques commentaires, des conseils, des suggestions, des mises en garde. Il écrit au juge de paix, lui détaille la situation de long en large. Il était indécis jusqu’à aujourd’hui, mais la mésaventure de la crèche vivante et le comportement du curé ont balayé ses dernières hésitations. Il ne sait pas si cette donation fonctionnera, mais il se dit qu’il vaut mieux agir discrètement, sinon Germaine et les autres vont tenter de le dissuader, le menaceront à coup sûr, lui mettront la pression.

Vers 6 h du matin, il referme soigneusement les enveloppes, s’habille chaudement et repart vers l’église, ou plus précisément vers l’unique boîte aux lettres du village, qui sera relevée à 9 h. Tout est silencieux autour de lui : il peut même percevoir le bruit mat des missives quand elles touchent le fond du caisson rouge.

D’un coup, il se sent soulagé, libéré de ce lest qui l’a maintenu plaqué au sol durant toute sa vie d’adulte, délivré de tout cet argent qui l’a réduit en esclavage, de ses terres et sa ferme pour lesquelles il a tout sacrifié, mais qui ne valaient rien, rien du tout ! Rien qui vaille le sourire d’une enfant…

Et Lola cessera d’être un « zombie » aux yeux de tous, et le vieil homme restera à jamais «  Noël  », son « père » Noël…

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