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Le Carnaval, et puis quoi…?

Le dimanche gras, au Carnaval de Binche, les gilles déambulent en costume de fantaisie. Cette année, une cagnotte a choisi la vache Milka comme déguisement. Une cinquantaine de vaches ont dansé jusqu’à plus soif dans les rues de Binche. Une agricultrice me fait remarquer : « Au moins, celles-ci ne dépriment pas. Elles n’ont pas la honte du prix dérisoire qu’on donne aujourd’hui pour le lait. »

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On connait la musique : depuis que le prix mondial sert de prix de référence, ce sont les éleveurs du monde entier qui tirent la langue vers le bas. L’autre jour à la télé, France 2 expliquait à quel point les éleveurs de Nouvelle-Zélande s’endettaient pour produire ces excédents qui créent la déprime collective… avec, en sus, l’ombre du Mercosur sur nos têtes.

Les États Généraux de l’alimentation qui ont eu lieu en France vont-elles sortir de leur chapeau une solution réaliste ? Comment assurer un prix d’achat correct ? Peut-on réduire les inégalités dans les contraintes de production qui varient selon les pays ? Les crises, c’est un peu comme la fable de La Fontaine : « Ils n’en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés… »

Les historiens pourraient rappeler la grande dépression qui toucha le monde agricole durant 3 décennies à la fin du XIXe siècle. On toucha le fond, pour les petites exploitations, en 1895. En cause, les blés américains. Dans le Middle West, avec la mécanisation, la culture du blé s’était généralisée sur de larges étendues et, grâce au chemin de fer et à la navigation à vapeur, les fermiers américains ont pu exporter à des prix très concurrentiels. Le prix du froment passa de 29 francs le quintal en 1880 à 13,6 francs en 1895. Le beurre descendit de 3,22 francs/kg à 2,45 francs/kg, et la pomme de terre de 11,45 francs la tonne à 4,80 francs. L’Europe, qui importait 400.000 t de blé américain en 1880, en importa 3 millions en 1905. En cause, une évolution technologique. Il fallait s’adapter ou disparaître. Notre agriculture s’est adaptée en se tournant vers l’élevage. 250.000 hectares de froment sont allés aux cultures fourragères.

Dans les années trente, rebelote ! Suite à la bulle financière liée au krach d’octobre 1929 à Wall Street, par effet systémique, un château de cartes s’écroula. Les entreprises les plus fragiles faisaient faillite. Les ouvriers perdaient leur emploi et leur pouvoir d’achat. La consommation s’effondra alors que la production agricole était en plein développement. La chute du prix des céréales se répercuta sur l’élevage. Le dumping devint la règle sur les marchés mondiaux. Le beurre valait 30 francs/kg en 1929. Il descendit jusqu’à 18 francs en 1934 et 1935.

Ce fut alors comme aujourd’hui : l’offre était supérieure à la demande. Après la guerre, la PAC a fourni des solutions (prix d’intervention et quotas) qui ont tenu pendant plusieurs décennies. Tout fut ensuite remis en question au nom d’un nouveau (dés ?)ordre économique mondial.

Il n’y a pas que l’agriculture. Il y a peu, les médias ont déploré, pendant deux jours, des pertes d’emploi chez Carrefour et dans la grande Distribution. C’est triste mais on a un peu vite oublié les dizaines de milliers de petits indépendants qui ont disparu dans les années quatre-vingt quand les hypermarchés les ont avalés tout cru. Et comment pense-t-on corriger le tir ? Avec l’« e-commerce », apparemment ! Ce qui se traduira par des milliers de camionnettes en plus sur un réseau routier déjà saturé.

Mais du côté de l’agriculture, c’est près de 90 % des exploitations qui sont disparues en une cinquantaine d’années. Par contre, l’évolution est inversement proportionnelle du côté des politiques. Bien qu’ils nous expliquent toujours qu’ils peuvent tout faire… avant les élections, et pourquoi ils ne peuvent rien faire après, ils sont toujours plus nombreux à manger au râtelier. Un ami agriculteur faisait remarquer qu’ils étaient quatre à parader 4 jours plus tôt à la grand-messe syndicale. Carnaval avant l’heure ? Ou était-ce pour mieux faire passer la pilule ?

De plus en plus de ministres qui gesticulent autour de l’agriculture, ce sont surtout des réglementations qui s’accumulent… Aux Excellences, on sert des Majuscules. Aux éleveurs, des prix minuscules. Ce qu’ils attendent, c’est un pécule qui ne soit pas ridicule. Alors, Messieurs les ministres, puisse cette journée syndicale être autre chose qu’une virgule dans votre emploi du temps.

Quand les crises sont trop dévastatrices, les mots deviennent dérisoires. Il ne reste que dérision… et désolation.

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Voix de la terre Il n’aura fallu que cinq jours ! Lundi matin, l’énorme vieille ferme dressait encore ses murs orgueilleux au milieu du village, défiant le temps et les saisons depuis trois cents ans. Vendredi soir, elle n’était plus là, tout simplement ! Disparue, envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Un bulldozer, deux pelleteuses, ainsi qu’une noria de très gros tracteurs attelés de bennes, ont tout rasé et enlevé en quelques dizaines d’heures. Sur le terre-plein ainsi dégagé, sera bientôt construit un complexe de vingt appartements. L’un après l’autre, les derniers témoins de la vie agricole d’autrefois disparaissent des paysages intérieurs de nos localités.
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