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Feuilles mortes au vent mauvais

Dans le Sillon Belge du 7 septembre dernier, il a été question de feuillages-fourrages destinés aux animaux en temps de disette. Une amie aux origines vietnamiennes m’a raconté une autre histoire de feuilles, beaucoup moins sympathique et vieille de cinquante ans, lorsque son pays s’est vu aspergé pendant dix ans par un défoliant célèbre, l’Agent Orange. Le grand frère malpropre du Roundup-glyphosate est revenu au-devant de l’actualité ces jours-ci et nous rappelle à quel point les pesticides peuvent constituer la face sombre et négative de notre profession d’agriculteurs.

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Rappelons-nous. La guerre du Vietnam a opposé durant vingt ans l’armée américaine (nos libérateurs de 1945) aux rebelles communistes du Vietcong, dans une sale guerre avec pour théâtre des opérations un pays de rizières, et de jungles propices à la guérilla. Nos amis Yankee, jamais à court d’idées, se sont dit qu’il suffisait de déshabiller les forêts vietnamiennes pour débusquer les snipers qui décimaient leurs boys. Ils ont donc commandé un super-herbicide à Monsanto. En 1940, les chercheurs avaient mis au point le 2, 4, 5-T, une saleté qui contient des dioxines, un défoliant très efficace d’une belle couleur orange. Les avions de l’US-Air Force en ont pulvérisé plus de 80 millions de litres, de 1962 à 1973, sur les zones de combat, de la même manière qu’ils pulvérisaient de pesticides leurs champs de coton en Alabama ou leur maïs en Iowa. Le résultat n’a pas été très concluant, puisque les rebelles se sont mis à creuser des tunnels sous terre et à installer des pièges de plus en plus diaboliques pour finalement contraindre les Américains à lâcher le morceau en 1975.

Seulement voilà, ce fameux Agent Orange, m’a raconté mon amie née d’un papa vietnamien, contenait des molécules très stables encore bien présentes aujourd’hui dans l’environnement où elles ont été épandues. Il a provoqué des cancers effroyables chez les vétérans américains, mais encore et surtout dans la population civile innocente. Maladies nerveuses, malformations génétiques et diverses pathologies affectent encore aujourd’hui les Vietnamiens en contact avec ces cochonneries innommables.

Bof, me direz-vous, en quoi cela nous concerne-t-il, nous autres agriculteurs wallons ? Le scandale des dioxines, nous l’avons connu aussi en 1999, et depuis lors, notre super-Afsca veille sur la propreté de nos productions. En vérité, cela nous concerne parce l’agriculture moderne conventionnelle utilise régulièrement toutes sortes de produits forts décriés aujourd’hui, à tort ou à raison, et dont la dangerosité nous échappe facilement. Ce terrible Agent Orange vient justement d’être mis au-devant de la scène internationale par une assignation en justice émise ce 6 septembre par l’État vietnamien à l’encontre de Monsanto-Bayer ! Cette plainte fait suite au procès gagné par ce jardinier californien en août dernier, et qui condamne la célèbre firme à un dédommagement de 289 millions de dollars pour avoir caché la dangerosité du glyphosate, lequel a provoqué chez lui un cancer mortel. Pour eux, ce sont des peanuts, comparés à leurs milliards de dollars de bénéfices engrangés chaque année. Mais gare à la jurisprudence !

Comme on dit chez nous, plus on remue de la (…), plus ça pue. Monsanto a toujours affirmé que son produit est inoffensif pour la santé humaine, comme l’Agent Orange l’était en son temps, disaient-ils. On voit aujourd’hui les résultats… L’affaire risque de faire d’énormes vagues. Un particulier qui réclame, ça passe, mais si tous les utilisateurs et victimes se mettent à réclamer dans le monde entier, voilà qui pourrait devenir fâcheux… Les firmes pharmaceutiques se défendent hypocritement en affirmant qu’ils ne sont responsables en rien d’un mésusage de leurs produits, ce qui n’est pas faux. Si l’Agent Orange est devenu une arme chimique de destruction massive, la responsabilité en incombe à l’armée US, point final ! Si le glyphosate est utilisé en agriculture, pulvérisé au Canadair sans précaution ni respect, ce n’est pas leur problème ! Il faut savoir lire entre les lignes sur leurs étiquettes, et de toute façon, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, c’est bien connu…

Leur discours donne froid dans le dos et sème le doute dans les meilleures bonnes volontés. Agriculteurs, sommes-nous quelque part, oui ou non, empoisonneurs ? L’image de marque de notre profession risque fort d’être parée des pires couleurs, une fois de plus, mirée à la lumière du scandale de l’Agent Orange, lequel nous renvoie à nos pires démons, avatars terrifiants parce que méconnus et manipulés par l’industrie phyto-pharmaceutique.

Les Vietnamiens ne méritaient pas l’Agent Orange. Son petit frère le glyphosate (entre autres produits) n’est-il pas pour nous un cadeau empoisonné, un vent mauvais qui nous emportera, deçà, delà, pareils aux feuilles mortes ?

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