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Les patatiers dans la tourmente: récolte désastreuse et contrats problématiques

À une semaine de l’ouverture de la 19e édition du Salon Interpom Primeurs 2018, auquel nous consacrons un large dossier au cœur du Sillon Belge du 16 novembre, voici un éclairage sur les résultats les plus récents et les premières conséquences d’une saison éprouvante.

Temps de lecture : 6 min

À travers toute l’Europe de l’Ouest, sécheresse prolongée et canicule extrême ont mené à des rendements bruts historiquement bas dans toutes les variétés et à une qualité défaillante en variétés sensibles au rejet/repousses en culture, dont Bintje.

Globalement, les quantités disponibles ne suffiront pas à honorer les volumes contractés en pré-saison. Les prix (très) élevés sur les marchés libres ne s’appliqueront donc qu’à des volumes minoritaires.

En Bintje, PSE trop bas, flottantes, faible calibre et/ou couleur irrégulière de cuisson viennent réduire fortement les rendements nets et/ou mettent en péril la conservation. Si la qualité est nettement plus fiable en autres variétés, des lots de conservation douteuse voire problématique sont toutefois signalés aussi en Fontane et en Challenger.

PDT (2)

La sécheresse continue en juin et juillet a laissé les hâtives en grave déficit de rendement avec en moyenne un manque de plus de 10 t/ha par rapport à la « normale ». La plupart des parcelles non irriguées ont à peine atteint 25 t/ha de rendement brut, tandis que les parcelles irriguées ont produit environ 10 t/ha de plus. Calibres et PSE sont restés en moyenne corrects. L’essentiel des surfaces de hâtives est situé en Flandre et est destiné aux industries de transformation pour assurer la liaison entre l’ancienne et la nouvelle récolte de variétés de conservation. Les principales variétés sont Amora, Première et Sinora.

Retour sur la Bintje…

La variété présente cet automne d’énormes problèmes de qualité en raison de sa sensibilité au rejet en culture provoqué par les températures trop élevées dans les buttes. Son rendement moyen brut a été estimé à 34 t/ha, soit en recul de30 % en comparaison avec la moyenne des 10 dernières années. Sa tubérisation correcte (21 tubercules par plante en moyenne) a limité le calibre à seulement 55 % de 50 mm+. Au défanage, les parcelles de référence montraient un PSE moyen de 351 g/5 kg (variant de 308 à 415 g/5 kg) et 7 % de flottantes (variant de 0 à 33 %).

Ces deux critères se sont fortement dégradés par la suite, principalement dans le nord et dans l’ouest du pays : le PSE a plongé régulièrement sous les 325 g/5 kg et le taux de flottantes (au bain de sel de 1.060 g/l) atteint fréquemment plusieurs dizaines de pourcents. De nombreux lots comprennent aussi des flottantes à 1.040 g/l : ces tubercules sont de véritables sacs d’eau qui compromettent la conservation. La plupart des lots de Bintje doivent passer au lavage / bain de sel, et des taux de tare de 20 à 30 % sont fréquents. Pour couronner le tout, les couleurs de cuisson sont anormalement irrégulières: bouts bruns et frites hétérogènes.

Dans le centre du pays et en Hesbaye, là où les pluies sont revenues un peu plus tard, les problèmes de qualité sont moindres mais les rendements de Bintje sont restés « calés » à moins de 30 t/ha avec très peu de calibre.

… et les Fontane,

Chalenger et Innovator

Tant en Fontane qu’en Challenger et Innovator, les rendements sont plus faibles que d’ordinaire. Les deux premières ont montré du rejet en culture, mais avec au final peu d’impact sur la qualité moyenne (PSE un peu faible et présence ponctuelle de flottantes) et peu d’inquiétudes sur l’aptitude à la conservation. Innovator montre quelques problèmes de difformes.

On notera globalement une sensibilité assez marquée aux coups, alors que les arrachages ont eu lieu en conditions (trop) sèches : il y aura donc de mauvaises surprises de ce côté-là ! Les germinations s’annoncent aussi plus précoces et plus vigoureuses, tandis que des flétrissements de tubercules sont déjà signalés.

Globalement donc, le bilan est loin d’être réjouissant, même si les situations varient énormément entre (sous)-régions, variétés et parcelles.

La production en Belgique…

La Fiwap avec le Carah, le Pca et Inagro estiment à ce jour la production brute belge de pommes de terre de conservation (hâtives comprises) est à quelque 3,61 millions de tonnes. C’est 30 % de moins qu’en 2017, alors que les surfaces étaient quasi identiques. La Belgique disposerait ainsi d’1,5 million de tonnes de pommes de terre en moins. Ces chiffres concernent les rendements bruts : l’impact des flottantes / vitreuses en Bintje vient diminuer encore davantage le disponible (qui pourrait ainsi être inférieur à 3,5 millions de tonnes).

… et chez nos voisins

Partout en Europe de l’Ouest les productions sont historiquement basses. Le groupe des pays producteurs du nord-ouest de l’europe estime ainsi le total des 5 Etats concernés à moins de 24 Mt de production brute, contre près de 30 Mt l’an dernier. Cette estimation devrait être revue à la baisse dès que les chiffres anglais seront affinés. La production nette sera réduite par la tare pomme de terre dont la moyenne sera plus élevée que la « normale ».

La France a « limité la casse » pas son irrigation intense et par des pluies un peu plus fréquentes dans certaines régions, mais même sur parcelles irriguées il manque 10 t/ha. Aux Pays-Bas, le Centraal Bureau Statistieken annonce une récolte de 3,1 millions de tonnes en baisse de 22,5 % par rapport à l’an dernier. Et en Allemagne, la production 2018 est évaluée par Destatis (Deutschland Statistik) à seulement 8,7 Mt, soit 26 % de moins que l’an dernier. Plus largement, la récolte de l’UE-28 est provisoirement estimée à 54,4 Mt, contre 62,6 Mt en 2017.

Demande industrielle

et problèmes de livraisons de contrats

L’an dernier, les usines belges ont utilisé près de 4,6 millions de tonnes de pommes de terre et ont investi à nouveau plus de 300 millions d’euros. La faible production européenne 2018 ne permettra pas aux nouvelles lignes de transformation de tourner comme prévu, ce qui engendre des pertes en raison des coûts fixes. Il faut s’attendre d’une part à une baisse des volumes de frites (et autres produits) exportés, mais d’autre part à une hausse conséquente du prix moyen de vente des produits finis.

Du côté des producteurs, l’année s’annonce en moyenne financièrement (très) mauvaise, même si les situations seront très contrastées selon la proportion de la production contractée. Les prix sous contrat sont (re)devenus antiéconomiques, cette saison, avec des moyennes mensuelles allant de 8,45 €/q sortie champ à 12,90 €/q en mai en Bintje, et de 8,60 à 13,90 €/q en Fontane, note la Fiwap.

Même en parvenant à honorer une contractualisation prudente de 30 t/ha de Bintje et 35 t/ha de Fontane, la recette brute atteint respectivement 3.200 € (Bintje) et 4.000 €/ha (Fontane) pour une livraison étalée sur toute la saison. C’est évidemment insuffisant! Ce sont donc les volumes libres qui étaient censés apporter le bénéfice, or ils sont quasi inexistants. De plus, la faible qualité de Bintje entraîne des coûts importants de lavage et de bains de sel, et des tares importantes. Pour toutes les variétés, les critères de calibre et parfois de PSE sont difficiles à atteindre, et des réfactions sont parfois appliquées.

Pour le négoce intermédiaire, la saison s’annonce aussi très compliquée, entre usines qui réclament volumes et qualité, et producteurs qui n’ont qu’une faible récolte à proposer.

(à suivre : quelles perspectives pour la production belge ?)

Pierre Lebrun

, coordinateur Fiwap

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