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Le temps des cerises

Ce 1er mars, le site du LEC à Libramont avait sa tête des mauvais jours. Peut-être en pleine de gueule de bois du Mardi Gras ? Il arborait les couleurs d’un Mercredi des Cendres, avec un ciel si gris pleurant d’humidité, et des nuages si bas qu’un champ de Foire s’est perdu…

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Les agriculteurs aussi avaient leur tête des mauvais jours, pour assister à l’après-midi d’information consacré à la dématérialisation des passeports bovins. La fatigue des vêlages, jointe à la morosité des marchés de la viande, expliquaient fort probablement leur humeur maussade, sans compter le médiatique carême anti-viande et cette météo exécrable à ne pas mettre un fermier dehors. Fallait-il être motivé, de la part de l’ARSIA, pour affronter la tempête du dehors, et les tumultes du dedans ! Mais le Dr Lomba et l’Ir Dubois n’ont pas faibli : ils ont ramé sans s’énerver contre vents et marées, contre récriminations et critiques virulentes, pour amener à quai leurs exposés informatifs et didactiques.

Ah, il est bien loin le temps des cerises, quand les belles ont le cœur en fête, et les amoureux, le soleil au cœur… Si la réunion avait eu lieu par exemple en octobre, par beau temps, à un moment de l’année où le travail ne presse pas trop dans les fermes d’élevage, dans un contexte économique favorable, la nombreuse assistance aurait été davantage encline à écouter avec bienveillance et compréhension les nouveautés proposées par l’ARSIA. Ce Mercredi des Cendres, on a plutôt assisté à l’affrontement entre deux mondes, administration et agriculture. Leurs polarités s’opposent : il est normal qu’étincelles s’en suivent…

En effet, l’agriculteur vit son métier au-dehors, en contact physique direct avec les animaux ; l’employé de l’ARSIA vit à l’intérieur, dans ses labos et ses bureaux, dans un univers confiné et éclairé artificiellement, en contact virtuel avec les animaux via les écrans d’ordinateur. Pour l’un, une vache est un être vivant, de chair et de sang ; pour l’autre, elle est un numéro d’identification, une série de chiffres qui mentionnent son âge, sa robe, son type racial, etc. L’un et l’autre ne sont pas tous le jours à la fête, et ils se doivent un respect mutuel, car ils sont condamnés à collaborer pour respecter les directives légales imposées par la Région, le Fédéral belge, et surtout par la PAC.

Lors de la première partie, le Dr Lomba a détaillé les activités de l’ARSIA, les plans de lutte contre l’IBR et le BVD, les autres demandes d’analyses faites à leur service. Diverses questions ont fusé, particulièrement au sujet du coût de l’identification. Les gens de la bonne FWA ont joué la carte de la mauvaise foi, pour pousser l’orateur dans ses derniers retranchements. Le sujet qui fâche concernait ce supplément de 1 euro par document papier, demandé à partir du 1er avril (ce n’est pas un poisson), aux éleveurs qui n’utilisent pas le logiciel informatique « Cerise ». Leitmotiv de l’agence : réduire ses coûts de fonctionnement ! « En Flandres, 95 % des notifications (naissances, entrées, sorties) sont réalisées de manière électronique. En Wallonie, 60 % des naissances et moins de 50 % des sorties le sont de cette manière. Mais de l’autre côté de la frontière linguistique, on demande 5 € de supplément par document papier ! » Aïe, aïe ! Cette « cerise de la discorde » à 1 € la feuille, a provoqué beaucoup de discussions ! Puisqu’on est dans les pourcentages, rappelons que 90 % des agriculteurs des plateaux de Bastogne, Libramont et Saint-Hubert, ont plus de cinquante ans, et ne sont pas natifs de l’informatique. Pour la plupart d’entre eux, l’ordinateur est un animal étrange, très malaisé à domestiquer et à utiliser.

Soyons objectifs, Cerise est un logiciel assez simple, convivial et sympa, avec des applications intéressantes. PAC-on-Web est davantage compliqué, moins tout de même que les sites « myminfin.fgov » du ministère des finances, quand vous voulez renvoyer votre listing TVA, par exemple. Et pour utiliser tous ces outils, il existe une vraie fracture numérique en agriculture ! On a beau parler de smart-farming, de tracteurs 2.0 et de mille autres utilisations de l’informatique, beaucoup d’agriculteurs ne se sont pas du tout familiarisés avec le numérique, et préfèrent de loin les « bons vieux » formulaires papiers ! Souvent, c’est madame (ou Maman) qui s’y colle, et s’acquitte des tâches administratives agricoles. C’est elle qui suit des formations en informatique. Leur homme n’a pas le temps, sans cesse poursuivi par la masse de travail à accomplir, trop fatigué le soir pour pouvoir se concentrer sur un écran d’ordinateur, guère motivé par une tâche ingrate et peu valorisante. Et pourtant, il est bien venu, le temps de Cerise ! Il faudra monter à l’échelle et cueillir le fruit, de gré ou de force…

En effet, comme l’a expliqué ensuite l’Ir Dubois dans son exposé, l’identification animale se dirige tout droit vers une dématérialisation des passeports bovins. Cerise sur le gâteau, en quelque sorte ! D’ici quelques années, les données seront stockées sur sa plate-forme, sans supports papiers. Cela permettra à ces passeports virtuels de renseigner en temps réel tous les paramètres sanitaires de l’animal : statuts maladies, etc. Plus fort, lors de la vente d’animaux, il « suffira » de sélectionner sur l’ordinateur les bovins vendus, les nom et qualité de l’acheteur, la date de départ, et un QR Code sera affiché. Vous voyez, ce carré avec des dessins bizarres en noir et blanc ! Le transporteur qui viendra charger les animaux le photographiera sur son smartphone, et pourra ainsi transmettre les données aux maillons suivants de la chaîne commerciale, jusqu’à l’identification finale des transactions par l’ARSIA. Le gain de temps sera énorme, surtout pour les marchands, a démontré l’Ir Dubois.

Ah la la ! C’est bien beau le progrès, mais le mieux n’est pas toujours l’ami du bien. Les éleveurs étaient dubitatifs et ils l’ont fait savoir dans un concert d’apostrophes plus ou moins bien inspirées. Quand tous chanteront le temps de Cerise, et gais rossignols, et merles moqueurs, seront tous en fête… Peut-être ?

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