Accueil Bovins

En Wallonie, le pâturage a encore de beaux jours devant lui

Indissociables du paysage agricole wallon, les prairies jouent un rôle important dans la séquestration des gaz à effet de serre. Elles contribuent également au maintien du bien-être animal et, selon les éleveurs laitiers, à la réduction des coûts de production. Or, le pâturage serait en régression en Europe. Qu’en est-il chez nous ? L’ULg a enquêté !

Temps de lecture : 6 min

Dans le cadre du projet européen « Life DairyClim », l’Université de Liège (ULg) s’est intéressée à l’utilisation des zones pâturables dans les fermes laitières wallonnes. Plus de 3.150 éleveurs ont été interrogés par l’intermédiaire d’un questionnaire distribué en décembre 2015 par le Comité du lait. Environ un tiers d’entre eux y a répondu, permettant à l’ULg de dresser un panorama des pratiques actuelles. Isabelle Dufrasne et Françoise Lessire (Faculté de médecine vétérinaire – ULg) livraient les principaux enseignements de cette enquête lors de la journée d’étude « De neuf au pâturage », organisée le 16 mars à La Reid.

De véritables puits de carbone

Les prairies sont omniprésentes dans le paysage agricole wallon. Elles représentent près de 45 % de la surface agricole utile. Largement majoritaires (70 % de la surface prairiale), les prairies permanentes constituent un véritable puits de carbone : par la photosynthèse, elle fixe plus de CO2 qu’elles n’en produisent. « En outre, la quantité de carbone séquestrée compense plus ou moins, selon les pratiques, la quantité de carbone émise par les vaches pâturant sur la prairie », ajoute Isabelle Dufrasne. Ces dernières transforment aussi l’herbe en protéines de haute qualité.

A contrario, remplacer une prairie par une culture entraîne une libération du carbone séquestré dans le sol. Chiffres à l’appui : une prairie (ou une forêt) pourrait stocker 70 t de CO2 par ha contre seulement 43 t/ha pour une terre arable.

Bio ou conventionnel, quelles différences ?

Les premières questions de l’enquête portaient sur la taille des exploitations laitières et de leur troupeau. Il en ressort que les fermes bio – 9 % des répondants – occupent une superficie généralement inférieure aux élevages conventionnels. Plus de 40 % des exploitations bio couvrent entre 50 et 75 ha contre 20 % s’étendant sur 50 ha ou moins. Elles sont aussi nombreuses à occuper entre 75 et 100 ha.

Côté conventionnel, les résultats sont plus dispersés : près de 25 % des éleveurs exploitent 50 ha ou moins, ils sont 30 % à occuper une surface comprise entre 50 et 75 ha et un peu plus de 20 % d’entre eux gèrent un parcellaire entre 75 et 100 ha. Ils sont moins de 15 % à exploiter entre 125 et 150 ha. Près de 10 % des exploitations occupent entre 125 et 200 ha. Moins d’1 % des exploitations conventionnelles s’étend sur plus de 200 ha. Aucune des exploitations bio ne gère un tel parcellaire.

Le nombre de vaches par exploitation est également variable. Un peu plus de 50 % des éleveurs bio détiennent moins de 50 animaux, 40 % en détiennent entre 50 et 100 et moins de 10 % en ont entre 100 et 150. Quant aux éleveurs conventionnels, ils sont 50 % à détenir entre 50 et 100 vaches, près de 40 % à en avoir moins de 50 et moins de 10 % à en détenir entre 100 et 150. Seules quelques exploitations, parmi les réponses obtenues, ont un cheptel supérieur à 150 animaux.

Au niveau de la production laitière, deux tendances s’opposent. Environ 45 % des éleveurs conventionnels et bio observent une production moyenne annuelle comprise entre 6.000 et 8.000 l par vache. Cependant, 55 % des éleveurs bio produisent moins de 6.000 l par laitière. À l’opposé, 30 % des éleveurs conventionnels atteignent 8.000 à 10.000 l par animal.

En prairie… mais avec un complément

Sur les 1.016 exploitations ayant répondu à l’enquête, seules 35, soit 3,5 %, étaient non pâturantes.

« Dans les fermes où les pâtures sont accessibles, 96 % des vaches en lactation, 98 % des génisses et 90 % des vaches taries s’y nourrissent », détaille Françoise Lessire. Seuls les jeunes animaux pâturent moins. Ils sont 80 % à avoir accès aux prairies et 20 % à rester à l’étable.

Du côté des 35 exploitations non pâturantes, deux constatations peuvent être faites. Premièrement, plus le troupeau est important, moins il a accès aux prairies. Ainsi, moins de 3 % des cheptels pâturants comptent 150 animaux ou plus (figure 1). De même, plus l’exploitation est étendue, moins le pâturage est pratiqué (figure 2). « Moins de 5 % des fermes pâturantes s’étendent sur plus de 150 ha », précise-t-elle.

Figure 1
: nombre de vaches en lactation dans les fermes pâturantes et non pâturantes.
Figure 1 : nombre de vaches en lactation dans les fermes pâturantes et non pâturantes.

«Plus le troupeau et l’exploitation sont grands, moins les animaux pâturent.»

Figure 2
: surface des fermes pratiquant, ou non, le pâturage.
Figure 2 : surface des fermes pratiquant, ou non, le pâturage.

Chez 96 % des adeptes du pâturage, le troupeau est en prairie 4 mois et plus, et le plus fréquemment jour et nuit (74 % des cas). L’ULg note également qu’une très large majorité des vaches (98 %) reçoivent un complément durant la saison de pâturage alors que la valeur nutritive de l’herbe est importante. « Peut-être les agriculteurs ont-ils peur de ne pas nourrir suffisamment leurs troupeaux, de réduire la production laitière ou de la gestion des prairies ? », s’interroge-t-elle. Dans les élevages conventionnels, l’ensilage de maïs est le complément le plus souvent distribué, suivi par les concentrés et l’ensilage d’herbe. Ce dernier est privilégié dans les élevages bio.

Françoise Lessire : « À cause de la distribution systématique de compléments, la part d’herbe pâturée dans la ration d’été atteint rarement plus de 75 % ». En bio, plus de 50 % des répondants déclarent que l’herbe pâturée constitue 50 à 75 % de la ration. Près de 30 % estiment qu’elle constitue plus de 75 % de la ration. En conventionnel, ils sont moins de 40 % à évaluer la part d’herbe à 50 à 75 % de la ration. « Cependant, nombreux sont les éleveurs (8 % en bio, près de 15 % en conventionnel) à ne pas savoir évaluer la part d’herbe pâturée dans la ration de leurs vaches », note-t-elle.

En hiver, l’herbe est toujours présente sous forme d’apport fourrager (foin ou ensilage). Néanmoins, la différence entre élevages bio et conventionnel est encore plus marquée. Chez 70 % des répondants bio, la ration se compose à plus de 75 % d’herbe. En conventionnel, elle constitue entre 50 et 75 % de la ration dans 30 % des cas et entre 25 et 50 % de la ration dans 40 % des cas. Seuls 15 % des éleveurs conventionnels, environ, distribuent une ration hivernale composée à plus de 75 % d’herbe.

Qu’en pensent les éleveurs ?

Selon les agriculteurs répondants, le pâturage présente quatre avantages essentiels. Ainsi, ils sont 90 % à considérer qu’il améliore le bien-être des animaux. Environ 80 % estiment qu’il contribue au maintien des paysages et à la diminution des coûts de production. Enfin, 75 % y voient des bénéfices pour l’environnement.

Cependant, les raisons pour lesquelles ils pratiquent le pâturage s’éloignent parfois de la perception qu’ils en ont. Si le bien-être animal (90 %) et le coût (75 %) sont les deux principales raisons évoquées, la préservation des paysages n’est mentionnée que par 45 % d’entre eux. Le pâturage n’est que très peu pratiqué par obligation ou exigence de la laiterie (figure 3).

Figure 3
: raisons de pâturer évoquées par les agriculteurs répondants.
Figure 3 : raisons de pâturer évoquées par les agriculteurs répondants.

Les éleveurs ne conduisant pas leur troupeau en prairie ont également leurs raisons. Ils sont ainsi plus de 55 % à considérer que le pâturage réduit la production laitière. Deux autres tendances ressortent : 50 % des répondants jugent trop difficile le management des prairies et 40 % ne disposent tout simplement pas de suffisamment de pâtures. 40 % estiment encore que la balance économique est meilleure en l’absence de pâturage. L’éloignement des prairies est aussi évoqué comme justification (35 %).

Malgré cela, le pâturage a encore de l’avenir en Wallonie. Plus de 80 % des répondants estiment que la part d’agriculteur le pratiquant va rester stable ou augmenter. Ils sont moins de 15 % à penser qu’ils seront de moins en moins nombreux à s’y intéresser. Pour 5 % des répondants seulement, le pâturage n’a plus d’avenir.

« L’augmentation de la taille des exploitations et l’installation de robot de traite sont des freins au pâturage. Cependant, au vu des réponses données par les agriculteurs eux-mêmes, les vaches laitières devraient encore paître longtemps dans les prairies wallonnes. »

J.V.

A lire aussi en Bovins

Viande bovine : opportunités et difficultés pour ce début d’année

Bovins Pour débuter 2024, l’industrie de la viande bovine en Europe et aux portes de notre continent est marquée par plusieurs défis. Période du Ramadan, conditions climatiques, diminution du pouvoir d’achat, sont autant d’éléments qui influencent le marché, et l’élevage chez nos voisins.
Voir plus d'articles