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Le numérique, un outil pour se démarquer et se réapproprier la valeur ajoutée

Informaticien, éleveur, community manager… Henri Louvigny a plusieurs casquettes. Son ouverture au numérique l’a récemment amené à repenser sa manière de produire mais aussi de se différencier. Henri veut commercialiser sa viande, comme un vigneron commercialise son vin. Cap sur la Ferme Louvigny.

Temps de lecture : 8 min

Quand Henri Louvigny nous accueille dans son exploitation, il se plaît à rappeler que l’élevage est une histoire de famille et ce depuis 7 générations. C’est fin des années ‘90 que l’exploitation, alors au main de son père, passe du conventionnel au bio. Une transition qui se marque par l’abandon du cheptel Blanc-bleu au profit d’abord de la Blonde d’Aquitaine, rapidement remplacée par la Limousine. Quant à Henri, s’il a toujours été baigné dans l’agriculture, il s’en éloignera de par ses études en informatique qu’il étudiera, à Liège d’abord, à Louvain-la-Neuve ensuite.

Une expérience en dehors de la ferme

« J’ai travaillé comme indépendant en informatique. J’ai réalisé différentes missions en tant que consultant pour plusieurs sociétés. »

Mais il n’oublie pas d’où il vient. Sur le côté, il développe la plateforme Agriweb qui fête ses 10 ans cette année. Une chose en amenant une autre, une entreprise de travaux agricoles (ETA) le contacte afin de créer un logiciel de gestion des ETA. C’est ainsi que Lea (Lea-agri.com) voit le jour en 2010. Sept ans plus tard, une entreprise lui achète le modèle. « D’ici quelques mois, Lea va s’arrêter pour moi. Je n’ai plus le temps ! La gestion va être déléguée. J’aimerais davantage me consacrer à l’activité de la ferme. » Une exploitation qu’il a reprise en 2015.

Développer la valeur ajoutée

Fort de ses différentes expériences, voilà donc 4 ans qu’Henri a recollé à la tradition familiale.

Il élève un cheptel de 200 animaux – une septantaine de vêlages par an –. Pour les nourrir, l’éleveur dispose de 75 ha, la première moitié pour les foins, la seconde pour les cultures. Tout est destiné à la consommation du bétail sur la ferme. « Nous essayons d’être autonomes mais nous ne le serons jamais totalement. » À Bougnimont, il n’est pas question d’agrandir l’exploitation. « Nous privilégions clairement l’augmentation de la valeur ajoutée de notre production ! », avoue Henri.

Le numérique, une question de culture

Et pour y parvenir, il compte sur un soutien de poids : le numérique. Il y a quelques années, ses connaissances en informatique et du monde agricole lui avait ouvert les portes de la Foire de Libramont avec qui il collabore étroitement pour la partie digitalisation et réseaux sociaux de l’événement.

Grâce à cette nouvelle casquette, il participe au premier Digital Boost camp orienté PME organisé il y a deux ans. L’expérience lui ouvre les yeux sur la révolution numérique. « Je n’en avais pas pris conscience. Le numérique n’est pas une histoire d’informatique, c’est une véritable culture », précise-t-il.

« L’apport du numérique a bouleversé la vision des gens sur leur consommation. À partir du moment où l’on peut tout trouver en ligne, la donne change, que ce soit pour les petits acteurs que pour les grandes enseignes. Pour nous, petites structures, c’est une opportunité de pouvoir entrer en concurrence, dans une certaine mesure bien entendu, avec les grands de la distribution. »

C’est à la fin de cette expérience que le jeune éleveur se décide à vendre des colis de viande mais avec la volonté de le faire différemment, de se différencier. Et c’est ce qui a fonctionné !

L’année suivante, il est invité en tant qu’extérieur par le Digital boost camp agriculture. Son rôle ? Faire le lien entre le digital et le secteur agricole.

La formation vise à ouvrir les participants aux initiatives numériques qui existent, aux différents modèles économiques et faire le lien pour leur rendre ces concepts concrets. Les participants doivent pouvoir retirer une ou plusieurs idées à développer à l’échelle de leur exploitation.« Pour que les mentalités changent, il faut pouvoir faire comprendre aux gens l’aspect économique qui se cache derrière les technologies du numérique. »

Etre à l’écoute du client

« En agriculture, on a toujours eu l’habitude de produire et d’ensuite chercher à écouler sa production. Or, l’expérience m’a très vite fait comprendre que le client a le pouvoir, d’où la nécessité de l’interroger exactement sur ses besoins afin de pouvoir y répondre. »

Par le biais d’une enquête, il interroge le consommateur sur les aspects qui l’importent quand il consomme de la viande. Quelque 500 réponses venues de part et d’autre de la Wallonie lui apprennent que les trois critères les plus recherchés sont le persillé de la viande, le local et le bio, et ce dans les 5 provinces.

Étant déjà en bio et voulant s’adresser à des consommateurs de sa région, c’est sur l’aspect « persillé » que l’éleveur doit travailler. C’est en lisant, en allant à la rencontre d’éleveurs français, d’ingénieurs agronomes, d’artisans qu’il peaufine ses pratiques d’engraissement.

Ce sont ces dernières qui ne cessent d’évoluer pour améliorer la qualité de la viande. Il y a toujours des nouvelles pistes à explorer. La difficulté ? Ne voir le résultat qu’à la découpe de la carcasse. « Je suis arrivé à un niveau très correct mais je crois pouvoir faire mieux. Je continue à explorer différentes pistes. »

Vendre une viande comme on vend un grand cru

Mais ce travail ne peut payer sans une meilleure valorisation, sans une meilleure visibilité. Il explique sa démarche : « Les agriculteurs ne cessent d’être critiqués, leur viande est vendue en grandes surfaces comme un produit blanc, sans différenciation. Contrairement au vin, qui est hypermarketé, chaque vignoble a sa propre étiquette, son appellation… La différenciation y est très forte. »

Un constat qui le désole : « Je trouve que chaque agriculteur devrait être davantage mis en avant, tout comme les spécificités de sa production… comme on le fait pour le vin. C’est en tout cas le modèle que je veux défendre car il amène une certaine valeur ajoutée. »

Le nom et l’identité visuelle de sa ferme ont été retravaillés dans ce sens. « Ferme Louvigny, c’est mon étiquette », sourit-il.

La ferme au format numérique

Pour communiquer auprès de sa clientèle, Henri crée un site internet pour présenter dans les grandes lignes sa ferme, son activité. On y retrouve également une plateforme de vente qui reprend les informations sur la bête mise en vente, son « parcours » et le descriptif de ses colis.

La page d’un réseau social qu’il anime est davantage vouée à partager la vie de la ferme, à réagir aux attaques sur l’élevage et prévenir le consommateur des futures ventes de colis. C’est donc un outil d’information mais également marketing. « Grâce à ce média, il atteint facilement son public cible qui pourrait potentiellement lui acheter ses colis. »

Deux façons de travailler

C’est en avril 2018 qu’il se lance dans la vente de colis. « On a voulu proposer de la viande de femelles âgées entre 3 et 5 ans. Elles sont nourries différemment, avec une période de finition plus longue… Ce temps est indispensable pour permettre la formation de gras intramusculaire qui donne le goût à la viande.

« Ce n’est pas du tout la même façon de travailler qu’avec la grande distribution, qui demande que l’on respecte un cahier de charges bien défini pour lui fournir des animaux « standardisés ». À l’inverse du circuit court, nous ne maîtrisons plus rien une fois la bête sortie de l’exploitation. »

Plutôt que d’agrandir son exploitation, Henri Louvigny surfe sur la vague du numérique  pour se réapproprier la valeur ajoutée de sa production.
Plutôt que d’agrandir son exploitation, Henri Louvigny surfe sur la vague du numérique pour se réapproprier la valeur ajoutée de sa production. - P-Y L.

Henri ne dénigre évidemment pas la partie industrielle. Elle représente 90 % de son chiffre d’affaires et le fait vivre. Mais la production artisanale lui permet de retrouver la valeur de son travail, le contact avec le client et d’avoir un retour sur les colis qu’il vend. « Quand le client vient chercher son colis, je lui montre la ferme, je lui explique comment je travaille. Une relation se crée et c’est aussi cela qui fait la valeur du métier. C’est une certaine fierté de voir le client satisfait de son achat. »

Les colis prennent de l’ampleur

Sur l’année 2018, 7 bêtes sont vendues dans cette filière. Et cette année, ce nombre a déjà été atteint.

« La tendance s’est quelque peu accélérée, mais ce n’est pas non plus exponentiel. » Les raisons ? « Je n’ai pas toujours un animal prêt à être vendu. En outre, la vente directe est marquée par une saisonnalité assez forte ! Lors des fêtes ou durant juillet-août, je vends moins de viande. » Des périodes durant lesquelles bon nombre de consommateurs allouent vraisemblablement leurs dépenses à d’autres postes (cadeaux, vacances…). A contrario, en automne, la vente de colis reprend de plus belle. »

Toujours dans une volonté de répondre au mieux aux demandes de ses clients, Henri leur fait parvenir un questionnaire après chaque achat de viande afin de connaître leur degré de satisfaction. « Nous essayons de nous adapter aux commentaires, même si ce n’est pas toujours facile. » C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il compte proposer deux gammes de colis. « Certains préfèrent des préparations de viande aux morceaux nobles. L’approche change un peu mais l’informatique peut aider à la gestion des stocks », sourit-il.

Rentrer davantage dans les villes

Résolument optimiste, Henri voit le consommateur revenir au local. « Cette évolution permettra aux petites fermes de se lancer dans le circuit court, pour autant que leur taille soit adaptée au modèle. Un vrai changement dans la société semble s’opérer. »

L’éleveur aimerait à l’avenir développer davantage cette filière et pouvoir faire entrer sa viande dans les grandes villes comme Bruxelles, Luxembourg… « Lait, viande, fruits, légumes… il faut pouvoir associer nos colis entre producteurs et les faire entrer dans les villes de manière groupée. C’est clairement un challenge… et la clé de voûte pour progresser dans la vente de colis. »

P-Y L.

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