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Potagers pluriels et jardins singuliers

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Autrefois bien présents et installés en évidence auprès des habitations, ils avaient pratiquement disparu des paysages intérieurs de nos villages, avalés par les pelouses gourmandes et les allées des garages empierrées. Relégués au rayon « souvenirs » par la trépidation du monde moderne et ses nouveaux impératifs, les potagers semblent pourtant retrouver des couleurs, ces dernières années. Ici et là, timidement certes, on voit poindre à nouveau leurs feuilles de choux et leurs oreilles de laitue, leurs poils verts de carottes et leurs poireaux chevelus, coupés à la brosse. Les bons vieux courtils chers aux cœurs de nos grands-parents, semblent amorcer aujourd’hui un mouvement de retour, mais ses adeptes le vivent chacun à leur façon. Ici timides et décoratifs, là-bas exubérants et sauvages, ailleurs technologiques et sophistiqués, ils sont à l’image de leurs propriétaires : dis-moi comment tu jardines, et je te dirai qui tu es !

« Dans le temps », les potagers de nos villages avaient tous un peu le même air de famille. Ils étaient entourés d’un solide treillis soigneusement entretenu ; leurs plates-bandes de légumes se succédaient harmonieusement, séparés par des petits sentiers tirés au cordeau. Carottes, laitues, petits pois, haricots, oignons, échalotes, cresson, épinards… déroulaient chacun leur bout de tapis vert. Une planche en attente était réservée aux plantes à repiquer : choux, poireaux, céleri ; une autre plus petite était réservée aux fraisiers. La traditionnelle et ventrue touffe de rhubarbe trônait dans son coin, non loin des groseilliers placés en sentinelles le long de la clôture, laquelle était fleurie toute l’année par des narcisses, soucis, tagètes, pois de senteur, dahlias, glaïeuls et autres lupins. Les potagers d’autrefois exhalaient un parfum d’opulence et de gaieté ; ils coloraient nos villages et faisaient la fierté de leurs propriétaires. Encore et surtout, ils nourrissaient toute une population de la plus saine des manières. Génération après génération, les jardiniers de nos campagnes bêchaient en enfouissant du vieux fumier, sarclaient, semaient, arrosaient, ne laissant nulle adventice indésirable pointer le bout de son nez : il y allait de l’honneur de la famille ! Les savoirs empiriques se transmettaient de pères en fils, de mères en filles, sans prise de tête aucune. Du travail assidu, tel était le secret de la réussite !

Mais aujourd’hui, le jardinage s’est « intellectualisé », avec la publication d’ouvrages plutôt intéressants (Le potager du paresseux, Jardiner sur sol vivant, etc.) et la diffusion sur Internet de clips vidéo, de blogs, de forums. Tout un commerce, assorti de conseils divers, se développe autour de la pratique du jardinage : outils pour ne pas trop se fatiguer, semences, caisses en bois pour surélever les plates-bandes, fûts pour le compostage des déchets ménagers, serres à tomates… De « nouveaux » concepts sont mis au goût du jour, le plus souvent inspirés de pratiques paysannes ancestrales. Les plus connus sont appelés « micro ou nano-fermes », « potagers partagés, ou communautaires » (excellente idée !) et bien entendu la célèbre permaculture ! Celle-ci est devenue une sorte de religion, de philosophie, de manière de vivre, et nombre de ses sympathisants ne jurent que par elle, sans vraiment comprendre ce qu’elle implique en termes de frugalité, d’anticonformisme vis-à-vis de notre société de consommation, et surtout de travail manuel laborieux.

La culture d’un potager, en effet, demande beaucoup d’huile de bras, de soins attentifs et astreignants. Elle exige une vraie passion. Dans les temps anciens, le jardinage se vivait comme une nécessité, une exigence alimentaire qui s’inscrivait en toute logique dans les pratiques paysannes. Chaque foyer soignait son potager avec une sorte d’affection, comme un être vivant. L’arrivée de légumes et de fruits en abondance dans les supermarchés est venue changer la donne, ainsi que l’abandon du modèle agricole familial traditionnel. Les « vieux » irréductibles dans mon genre ont gardé les vieilles pratiques, bien que celles-ci soient remises en cause par les jardiniers « modernes » qui croient avoir réinventé la roue.

Nos anciens courtils ont retrouvé quelques lettres de leur noblesse d’antan. Ils sont de plus en plus « tendance », auprès de défenseurs de l’environnement qui en parlent abondamment sans pour autant toujours franchir le pas eux-mêmes. Dame, se pencher à quatre pattes dans les plates-bandes et s’abîmer les ongles à grattouiller la terre, c’est déjà beaucoup moins drôle que de bavarder et donner des leçons…

Mais à vrai dire, celui qui cultive son jardin, cultive son bonheur !

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