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Le sucre de Tirlemont mise sur un redressement du marché

Ces dernières années, le secteur du sucre a connu un déclin important. Cependant, Erwin Boonen, directeur des matières premières et responsable du département agricole de la Raffinerie Tirlemontoise (RT), constate une amélioration des prix du sucre à court terme. La RT a donc pris des mesures drastiques.

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Lors d’une réunion de l’Association belge des journalistes agricoles (ABJA), le directeur a souligné les récents développements sur les marchés européens et mondiaux.

700 000 tonnes de sucre par an

La RT, qui fait partie du groupe allemand Südzucker compte actuellement 4.300 planteurs. Ceux-ci plantent chaque année entre 40.000 et 48.000 ha de betteraves sucrières pour une production annuelle de 3,5 à 4,5 millions de tonnes de betteraves et 500.000 à 700.000 tonnes de sucre.

Dès la mi-septembre la sucrerie se met en mouvement. « Durant 120 jours de campagne, plus de 13.000 tonnes de betteraves sont amenées chaque jour à Tirlemont. En ce moment, l’approvisionnement quotidien dépasse même les 14.000 tonnes. Dans les usines de Longchamps/Grand-Wanze, les livraisons dépassent en général 18.000 tonnes de betteraves par jour. L’approvisionnement est néanmoins actuellement plus faible suite aux problèmes techniques de 2018 dont les conséquences se font encore sentir ».

Dans une zone de rendement élevé

Au cours des 20 dernières années, le nombre de planteurs n’a cessé de diminuer. En particulier en 2007-2008, lors des premières réformes de l’organisation du marché pour le secteur sucrier européen. De nombreux petits producteurs ont alors pris la décision d’arrêter. En octobre 2017, les quotas sucre ont été totalement supprimés. Depuis lors, le marché européen du sucre est libéralisé.

En parallèle, le rendement de la culture de la betterave n’a cessé de croître. Le rendement moyen des betteraves (RT) pour 2019 est estimé à plus de 88 tonnes/ha, alors qu’il était de 75 tonnes il y a 10 ans. La teneur en sucre est également en constante augmentation. Cette année, on atteint environ 17,6 ºS. La production de sucre/ha est donc en forte hausse.

En comparant les rendements en sucre dans les régions de production de Südzucker, la RT obtient, en 2018, le score de 15,1 tonnes de sucre/ha malgré la saison sèche qui a joué un rôle majeur dans tous les pays. Les betteraves allemandes en ont particulièrement souffert et sont passées d’un rendement moyen du sucre de 16 tonnes/ha en 2017 à 12,9 tonnes/ha en 2018. Dans les zones de production orientales au climat continental, les rendements restent beaucoup plus faibles avec, par exemple, des moyennes de 6,7 tonnes en Roumanie.

Prix en chute libre

Comme mentionné ci-avant, en 2007-2009, le marché européen était encore entièrement protégé par des quotas de production. Durant cette période, les prix fluctuaient autour de 550-600 euros/tonne de sucre. Après la première réforme qui fut accompagnée d’une forte diminution de planteurs et de surfaces, l’Europe est passée d’exportateur net à un importateur net. Depuis, les prix sont devenus très volatils en Europe.

« En octobre 2017, toute la politique sucrière a pris fin. Pour survivre dans un marché volatil et pouvoir maintenir les usines existantes en activité aussi longtemps que possible, il faut être rentable. Ainsi, en 2017, la RT a demandé aux producteurs d’ensemencer davantage d’hectares. Cependant, cette année a été une année record avec des rendements très élevés dans le monde entier. Cela a finalement entraîné une chute complète des prix du sucre. Ils sont tombés bien en dessous de 350 euros/tonne », dit Erwin Boonen

La diversification est nécessaire

Le groupe Südzucker a clôturé l’exercice précédent (février 2019) avec un chiffre d’affaires de 6,7 milliards d’euros et un bénéfice de 27 millions d’euros. « Cependant, ces chiffres dissimulent la perte de près de 240 millions dans le département du sucre. La RT a également enregistré des chiffres déficitaires. Ce résultat global positif pour Südzucker est dû aux résultats favorables du groupe dans les autres segments. Actuellement, aucun producteur européen de sucre ne peut survivre sur ce marché avec des activités uniquement liées au sucre. Heureusement, la diversification du groupe nous aide à traverser cette situation de marché difficile ».

L’année 2019 a à nouveau été assez sèche. Les rendements provisoires du sucre en Belgique, mais aussi en Allemagne, indiquent de meilleurs résultats que l’année dernière. « Au sein la RT, nous avons atteint 15,6 tonnes de sucre/ha, comparativement à 15,1 tonnes l’an dernier. Le chiffre d’affaires en France, en Pologne, en République Tchèque, en Slovaquie et en Autriche est à nouveau inférieur à celui de 2018. La production européenne totale sera donc limitée, comme l’année dernière, également en raison de la diminution de la superficie consacrée à la betterave à sucre ».

Südzucker ferme 5 usines

Cependant, la situation du marché de 2017 a encore une influence. Südzucker a donc décidé d’intervenir de manière drastique dans ses propres structures afin de réduire la production.

« Au sein du groupe, 5 usines mènent leur dernière campagne. En 2020, 2 usines fermeront en France, 2 en Allemagne et 1 en Pologne. Nous espérons que cette réduction de la capacité de production totale aura un effet positif sur les prix. La réduction des capacités est la seule façon de trouver une solution structurelle pour le marché. Faire fonctionner toutes les usines pendant une période plus courte par campagne n’est pas une solution rentable car le coût par tonne de sucre serait alors trop élevé. Il est préférable de fermer un certain nombre d’usines et de laisser les autres fonctionner à pleine capacité pendant 120 jours », dit Erwin Boonen.

Deuxième année à perte

La RT demande donc plus de betteraves car les usines doivent fonctionner à pleine capacité. « Mais au prix actuel, bien sûr, les planteurs ne seront pas contents. Vu nos pertes de 240 millions, les agriculteurs n’ont pas non plus eu une bonne année. Nous savons déjà que cette année (2019-2020), nous enregistrerons à nouveau une perte de 200 à 300 millions d’euros. Une partie des ventes de sucre de l’an dernier se fait encore au cours de cet exercice ».

L’analyste de marché Platts-Kingsman indique, qu’en Europe, les nouveaux contrats sont tous supérieurs à 400 euros, mais cela ne se reflétera que partiellement dans l’exercice de la RT. « Le prix du sucre produit pendant la campagne 2019 ne compte que pendant 5 mois pour la RT. L’exercice financier s’étend du 1er mars à la fin du mois de février. Du 1er mars au 30 septembre, soit 7 mois, nous traînons toujours le prix plus bas de l’année précédente. Ainsi, nous aurons une deuxième année avec de lourdes pertes. Seul le prix de vente des 5 premiers mois de la nouvelle campagne sera pris en compte pour le prix de la betterave de 2019 mais il devrait être moins morose. D’autre part, tous les signaux du marché indiquent que les prix pour la campagne 2020 seraient bien meilleurs, tant pour la betterave que pour la RT ».

Malgré la situation difficile pour l’ensemble du marché du sucre, les autres acteurs du marché du sucre ne réagissent pas de la même manière. « Nous nous remettons en question et si nous enregistrons une telle perte deux années de suite, nous estimons qu’il faut intervenir. Aucun (ou presque) autre acteur ne réagit comme cela ».

Erwin Boonen critique également la nouvelle sucrerie coopérative de Seneffe qui pourrait être opérationnelle dans quelques années : « Tout le monde est libre de rêver. Mais l’augmentation de la capacité de production aura un impact négatif sur le prix du sucre ».

Meilleurs prix en vue

Selon l’Organisation internationale du sucre ISO, il manquera 6 millions de tonnes de sucre sur le marché mondial pour la saison 2019-2020. Les stocks vont donc diminuer. Un déficit de 3,5 millions de tonnes est prévu pour la saison 2020-2021. « Cela signifie que les stocks accumulés dans le monde en 2017 vont progressivement diminuer. Les prix se normaliseront progressivement. Selon la Commission européenne, en 2017-2018, nous avons eu un rendement record de 21 millions de tonnes de sucre dans l’UE. Au cours des dernières saisons, ce rendement est tombé à 17,5 millions de tonnes. La consommation est restée plus ou moins la même au fil des ans, soit 17,4 millions de tonnes. Ainsi, c’est surtout en 2017 qu’est apparu un fort déséquilibre entre la production et la consommation en Europe. Avec les fermetures de 2020 et la diminution des surfaces dans les autres groupes sucriers, on s’attend à une baisse de la production en 2020 et donc à un meilleur prix. Nous constatons déjà que les prix se redressent sur les marchés internationaux. Les acteurs du marché commencent enfin à intégrer la baisse de production dans leurs prévisions de prix et leurs positions spéculatives. Nous sortons lentement de la chute des prix. »

Contrats 2020

Pour les contrats 2020, la RT veut réduire le risque du prix de la betterave par rapport au prix volatil du sucre. Elle vise une stabilisation des quantités et des prix. « C’est pourquoi nous continuons à travailler avec un contrat d’un an. Cependant, nous incluons un prix minimum dans nos contrats de betteraves afin de réduire la volatilité pour les producteurs de betteraves. Nous appliquerons donc non seulement un prix de la betterave plus élevé à un prix du sucre plus élevé, mais aussi à des prix du sucre plus bas pour les planteurs qui maintiennent leur contrat avec la RT. Nous utiliserons également une nouvelle échelle de prix avec une référence à 18 ºS, comme nous l’avons fait pour nos collègues allemands. 18 ºS correspond à la richesse moyenne des dernières années. La moyenne au cours des 5 dernières années a été de 18,02 ºS et de 17,98 ºS au cours des 10 dernières années. Cette année, la campagne a débuté avec une richesse de 18,5 ºS, mais, à cause de la pluie, le niveau a baissé à 17,4 ºS. »

La décision de porter notre référence à 18 ºS a soulevé de nombreuses questions chez les planteurs. Ils s’inquiètent de pouvoir livrer qu’à 17 ºS ou moins. « C’est pourquoi nous avons analysé les livraisons réelles de la campagne 2018. La plante la plus riche durant cette campagne a atteint 20,49 ºS, la plante la moins riche 15,61 ºS. Si nous comptons ce que ces planteurs recevraient en 2020, nous constatons que +0,85 euro/tonne pour le premier producteur et +0,02 euro/tonne pour le deuxième producteur. Le deuxième producteur ne perdra donc rien par rapport au système de paiement précédent. Dans les nouvelles conditions, le premier producteur recevra un joli prix supplémentaire par tonne. En moyenne, le supplément serait d’environ 55 cents par tonne. »

Dans ce nouveau contrat, les planteurs n’ont plus à contribuer aux frais de transport. Pour les planteurs qui livrent eux-mêmes, le transport reste payé, comme auparavant.

D’après Anne Vandenbosch

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