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Indispensable pour garantir la production de pommes de terre de consommation: coup d’œil sur la lutte contre le virus Yen production de plants!

Transmis par des pucerons, le virus Y de la pomme de terre altère le rendement et la qualité des tubercules. Sa maîtrise requiert dès lors toute l’attention des producteurs de plants. Le Centre wallon de recherches agronomiques étudie cette problématique depuis de nombreuses années et propose des solutions aux multiplicateurs. Un éclairage a été apporté sur le sujet en décembre dernier par Jean-Louis Rolot, expert en la matière.

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Si le virus Y n’est pas un sujet de préoccupation majeur pour les producteurs de pommes de terre de consommation, il l’est pourtant pour les producteurs de plants qui doivent réglementairement soumettre leurs lots au contrôle pour la certification. À raison lorsque l’on sait qu’un lot de plants infectés par ce virus Y, s’il n’est pas contrôlé et donc écarté, peut occasionner des pertes de rendement considérables lorsqu’ils sont replantés.

« Le contrôle de qualité des plants de pommes de terre est si indispensable, qu’en son absence, on perdrait rapidement la maîtrise de ce virus et il ne serait plus possible de produire de la « consommation » dans notre pays, d’autant plus que les variétés majoritairement plantées dans notre pays y sont sensibles », rappela d’emblée Jean-Louis Rolot, spécialiste de la pomme de terre, au Cra-w, lors de la Journée technique organisée le 11 décembre dernier par la Fiwap dans le cadre du centre pilote.

Les virus : lilliputiens, mais costauds !

Les virus sont des unités infectieuses composées d’ARN (c’est le cas du virus Y) ou ADN enrobés d’une couche de protection formée de protéines, appelée capside. C’est d’ailleurs celle-ci qui permet l’identification du virus Y.

Les virus sont des parasites obligatoires : ils n’ont pas la capacité de vivre et de se reproduire seuls, ils ont besoin d’un hôte pour pouvoir se développer. Une fois introduits dans des cellules de leur hôte, en l’occurrence une plante, ils utilisent la machinerie et l’énergie de celles-ci pour se multiplier. Ce faisant, ils perturbent les processus physiologiques de développement des plantes qu’ils ont infectées et provoquent notamment des symptômes identifiables.

Les virus connaissent deux phases distinctes dans leur vie : une phase extra-cellulaire durant laquelle ils sont inertes – pour le virus Y, cela correspond à la période de présence sur les parois cellulaires des stylets des pucerons –, et une phase intracellulaire durant laquelle ils se multiplient au moyen des ressources trouvées dans les cellules de leur hôte.

Les virus sont des structures absolument minuscules, invisibles à l’œil nu ou au microscope ordinaire : de l’ordre de 10- 7 à 10-8 m. Le virus Y, par exemple, présente une longueur de l’ordre de 700 nanomètres, soit 700 milliardièmes de mètre, et une largeur d’une vingtaine de nanomètres.

Cycle de vie dans une plante

Le développement d’un virus dans une plante commence par l’infection, c’est-à-dire l’introduction des particules virales dans une cellule de celle-ci. Dans le cas des virus « végétaux », l’infection est généralement réalisée à l’aide de vecteurs pouvant être des pucerons, des thrips, des nématodes, des champignons, des graines, du pollen, et même le contact (passage d’une personne au champ qui frôle une plante infectée par un virus et le transmet par contact à une autre plante) ou des dommages mécaniques.

Dans le cas du virus Y de la pomme de terre (PVY ou Potato Virus Y), l’infection est essentiellement assurée par des pucerons !

Concrètement, après introduction dans une cellule de la plante hôte, le virus « se déshabille », c’est-à-dire qu’il ôte sa capside et commence à s’exprimer et à se multiplier dans cette cellule. Lorsqu’il se sera multiplié, il va se déplacer entre les cellules et être transporté de manière systémique via le phloème de la plante hôte jusqu’aux tubercules, qui après récolte et replantation, pourront promouvoir le développement d’une nouvelle infection.

«Le contrôle de qualité des plants est si indispensable, qu’en son absence, on perdrait rapidement la maîtrise de ce virus et il ne serait plus possible de produire des pommes de terre de consommation dans notre pays», souligne Jean-Louis Rolot, spécialiste de cette problématique au Centre wallon de recherches agronomiques.
«Le contrôle de qualité des plants est si indispensable, qu’en son absence, on perdrait rapidement la maîtrise de ce virus et il ne serait plus possible de produire des pommes de terre de consommation dans notre pays», souligne Jean-Louis Rolot, spécialiste de cette problématique au Centre wallon de recherches agronomiques. - M. de N.

Le virus Y et ses caractéristiques épidémiologiques

Comme les autres virus majeurs de la pomme de terre, le virus Y peut se transmettre de deux manières distinctes :

– de génération en génération, via les tubercules fils infectés : on parle de transmission verticale ;

– via des intermédiaires tels que les pucerons : c’est la transmission horizontale.

« Cette transmission horizontale du virus Y est très problématique en production de plants, parce qu’elle se déroule sur le mode non persistant. Autrement dit, l’acquisition et la transmission du virus d’une plante à une autre plante sont très rapides, poursuit l’expert Jean-Louis Rolot. Concrètement, cette transmission sur le mode non persistant se déroule comme suit :

– l’acquisition du virus Y par une plante se fait par une simple piqûre d’essai lorsque le puceron en recherche de substrat nutritif goûte (préalablement à une éventuelle alimentation future) le suc végétal de la plante : en piquant les cellules épidermiques de la feuille, il aspire un peu de ce suc de même que les particules virales potentiellement présentes ; celles-ci vont se fixer sur les parois des stylets – composant le système buccal piqueur suceur – du puceron. Ce processus est très rapide, quelques secondes suffisent ;

– le plus souvent, la plante piquée n’est du goût du puceron. Il se déplace alors tout de suite vers une plante voisine et par une nouvelle piqûre d’essai éjecte dans celle-ci les particules virales fixées sur son stylet. Ce processus ne prend que quelques secondes.

Et c’est comme cela que le virus Y se propage de plante en plante assez facilement d’autant plus qu’il n’y a pas de temps de latence entre la piqûre d’acquisition et la piqûre de transmission. Pratiquement le puceron est apte à transmettre le virus aussitôt acquis par une piqûre précédente.

En outre, il n’y a pas ou peu de spécificité par rapport à l’espèce de puceron : même si seulement 5 à 6 espèces de pucerons sont friandes de la culture de pomme de terre, quelque 65 espèces ont été répertoriées comme étant capables par une piqûre d’essai lors d’une visite d’une parcelle, de transmettre l’infection… mais pas toutes avec la même efficacité.

« Ces modalités de transmission expliquent la difficulté à contrôler la dissémination du virus Y et donc la raison de sa présence importante dans les parcelles de pomme de terre. Et c’est une vraie difficulté pour les producteurs de plants qui tous sont soumis au contrôle officiel pour respecter les normes d’infection établies réglementairement. »

Nombre de variétés multipliées et cultivées dans nos régions sont malheureusement sensibles voire très sensibles au virus Y, d’où la nécessité absolue de prévenir et lutter rigoureusement contre sa dissémination.
Nombre de variétés multipliées et cultivées dans nos régions sont malheureusement sensibles voire très sensibles au virus Y, d’où la nécessité absolue de prévenir et lutter rigoureusement contre sa dissémination. - M.de N.

Les différentes souches…

Comme on l’a vu pour le mildiou (voir l’édition du Sillon Belge du 23 janvier dernier), il existe davantage qu’une unique souche de virus Y, poursuit l’orateur. Les différentes souches connues étaient classiquement classées en 3 catégories par rapport aux symptômes développés sur des plantes tests telles que le tabac : les souches ordinaires (PVYº), les souches nécrotiques (PVYn), les souches PVYc.

… et leur évolution

Toujours à l’instar du mildiou, les souches du virus Y disséminées dans nos cultures de pommes de terre ont évolué. Avant 1990, les souches ordinaires PVYº prédominaient, elles étaient assez faciles à contrôler en raison de leurs symptômes assez nets.

Durant les années 1990 et au début des années 2000, les souches nécrotiques (PVYN) deviennent dominantes. En outre, parmi celles-ci, une diversité importante est apparue du fait de la recombinaison possible entre les souches ordinaires PVYº et les souches nécrotiques PVYN.

Avec comme conséquences épidémiologiques qu’il y existe aujourd’hui des souches plus virulentes de virus Y, qui auraient éventuellement une capacité à contourner certains gènes de résistance et qui exprimeraient plus discrètement leurs symptômes…

Jean-Louis Rolot se dit plutôt sceptique sur l’hypothèse que ces souches plus virulentes expliqueraient la plus grande présence de virus Y dans les cultures, ces dernières années. L’expert demeure persuadé que le problème du virus Y est lié plus simplement à l’activité des pucerons ailés en saison.

Symptomatologie

Les symptômes principaux observables sur les plantes infectées par le virus Y de la pomme de terre en culture sont le rabougrissement sévère (dit frisolée) ; les mosaïques ; les nécroses tuberculaires ; les nécroses nerviaires ; le dépérissement.

La plante, au centre de la photo, présente un rabougrissement significatif, l’un des symptômes les plus visibles d’une infection par le virus Y.
La plante, au centre de la photo, présente un rabougrissement significatif, l’un des symptômes les plus visibles d’une infection par le virus Y. - M. de N.

Entre le virus et la lantes, trois grandes interactions possible!

Sur le plan agronomique, la situation idéale est celle de l’incapacité du virus à se multiplier dans les cellules de la plante hôte: on dit alors que celle-ci est immune. C’est le cas de certaines variétés de pommes de terre vis-à-vis du virus Y. C’est une immunité en général dirigée par des gènes majeurs. L’identification de ces gènes serait d’une grande utilité pour la création de variétés résistantes.

Une autre situation est celle par laquelle le virus a la capacité de se multiplier dans une cellule (dès lors infectée) mais pas se déplacer entre les cellules, de sorte que l’infection se limite aux cellules infectées: on appelle cela l’hypersensibilité. Cette interaction présente un intérêt puisqu’elle empêche le virus d’atteindre les tubercules. Elle est également généralement dirigée par des gènes majeurs, mais moins stables que ceux précédemment évoqués.

Enfin, l’interaction la plus problématique est celle par laquelle le virus peut se multiplier dans la cellule, puis circuler entre les cellules, être transportée de manière systémique via le phloèmejusqu’aux tubercules. Deux réactions sont alors possibles:

– chez une plante sensible, l’infection se généralise et cause de gros désordres physiologiques et de gros dégâts (symptômes visibles et évidents);

– chez une plante tolérante par contre, l’infection est présente mais elle n’en souffre pas beaucoup (symptômes peu ou pas visibles).

«Dans le cadre de la production de semences (plants), il est préférable de travailler avec des plantes sensibles, et donc marquant bien la présence du virus et donc aisées à épurer, que des plantes tolérantes n’extériorisant pas nettement les virus et qui dès lors risquent d’échapper au couperet de l’épuration, mais seront déclarées plus tardivement positives au test officiel pour la certification.

Les variétés multipliées et leur sensibilité

Le problème posé par ce virus Y et la nécessité de lutter activement contre sa dissémination dans les parcelles de nos régions est renforcé par le fait que l’on cultive essentiellement des variétés sensibles. Le tableau ci-dessous présente les 15 variétés les plus multipliées en Belgique et dans l’Europe de l’Ouest. On observe que les variétés sensibles et très sensibles à ce virus sont très largement majoritaires.

VIRUS Y

La production belge de plants et le virus Y

La participation au programme officiel de contrôle et certification des plants de pommes de terre, notamment en procédant aux analyses de laboratoire de l’ensemble des plants produits en Belgique, permet au Centre wallon de recherches agronomiques d’avoir une vue globale de la situation. L’examen de l’occurrence des 4 virus principaux – enroulement, Y, S et X – montre qu’en considérant la période 1991-2018, selon l’année, 30 à 80 % des lots de plants présentés au contrôle sont infectés par le virus Y, ce dernier étant responsable de 95 à 98 % des déclassements ou refus des lots après analyse.

« Celui-ci représente donc bien un véritable problème en pomme de terre et on peut dire, dans ces conditions, qu’il serait pratiquement impossible de produire de la pomme de terre de consommation sans l’organisation de ce programme de contrôle qui maintient les effets du virus à un niveau acceptable. »

La protection des cultures de plants : différentes stratégies sous la loupe…

Depuis une vingtaine d’années, le Cra-w mène des essais sur des minitubercules (0 % d’infection) de la variété sensible Bintje, à Libramont, afin d’évaluer l’efficacité de diverses stratégies de lutte contre la dissémination du virus Y en culture de plants. Celles-ci comprennent des mesures culturales ou l’application de diverses substances actives chimiques ou non, connues et moins connues.

Ces études – impossibles à détailler ici – révèlent que « les insecticides ne sont en réalité pas très utiles pour limiter la dissémination du virus Y dans les parcelles de multiplication, contrairement à l’utilisation des huiles minérales paraffiniques qui demeurent à ce jour la base de la lutte ! Celles-ci constituent une sorte de barrière à l’acquisition du virus par les plantes  : lors de leurs piqûres, les pucerons absorbent du suc cellulaire mais aussi un peu de cette huile qui empêche dès lors la fixation des particules virales le long des parois des stylets de leurs pièces buccales », relève l’orateur.

D’autres produits ont été testés sans succès ou avec une efficacité plus faible : les huiles végétales et les macérats de plantes (ortie, consoude et prêle, décrites comme répulsives pour les pucerons) notamment. Certaines pratiques agronomiques ont été validées, telles que le défanage le plus hâtif possible des cultures de multiplication ou encore l’application de paille sur le sol destinée à perturber l’orientation des pucerons dans la recherche de leur substrat végétal. »

Enfin, l’utilisation de ressources génétiques adaptées dans les programmes d’amélioration, c’est-à-dire celles issues de variétés possédant des gènes de résistance constitue une solution efficace. Par exemple, l’utilisation de la variété Gasore possédant un gène de résistance au virus Y (Rysto) a permis l’obtention d’une variété, Louisa, totalement résistante au virus.

Sans un plant de qualité, il est impossible d’assurer une production de qualité!
Sans un plant de qualité, il est impossible d’assurer une production de qualité! - M. de N.

… dont on retiendra ceci en pratique

En matière de lutte chimique, Jean-Louis Rolot les huiles minérales paraffiniques doivent constituer la base de la stratégie :

– une dose hebdomadaire de 7 l/ha semble suffire ;

– éventuellement accompagner le développement foliaire en début de végétation par 2 pulvérisations hebdomadaires de 3,5 l/ha pour protéger au maximum les nouvelles feuilles.

Les huiles végétales (Telmion, huile d’ester de colza) sont également capables de protéger les plantes, mais de manière moins efficace que l’huile minérale. Elles ne causent pas de phytotoxicité.

Les insecticides sont généralement peu ou pas du tout efficaces :

– les pyrethrinoïdes (contact) semblent inefficaces et sont sujets au développement de phénomènes de résistance dans les populations de pucerons :

– les insecticides systémiques semblent peu efficaces mais, au moins dans un essai, ils ont eu un réel impact positif (au cours de la saison 2015 à très forte activité des pucerons ailés) ;

– moduler l’emploi des insecticides à l’intensité de l’activité des populations de pucerons ailés ;

– aucune résistance des pucerons aux insecticides systémiques n’a pu être démontrée pour le moment dans les essais : les parcelles traitées sont restées « propres » ;

– toutefois, la gamme d’insecticides systémiques se réduit de manière importante à la suite aux dispositions prises pour la protection des abeilles (néonicotinoïdes). Que reste-t-il ? Flonicamid, (pymetrozine), spirotetramat ;

– attention à la résurgence du virus de l’enroulement (PLRV), qui était très répandu avant les années 1990, en cas de réduction importante des insecticides. Celui-ci en effet requiert l’application d’insecticides en raison de son mode de transmission différent de celui du virus Y.

En matière de pratiques culturales, Jean-Louis Rolot recommande ce qui suit :

– choisir un bon environnement pour l’implantation de la culture ;

– le lot à planter doit être quasiment sain : 1 lot à 0,5 % = 300 sources d’infections dans 1 ha ! ;

– procéder à des épurations précoces ;

– ne pas allonger inutilement la période de végétation ;

– l’application de paille améliore le niveau de protection mais cette technique peut-elle se pratiquer sur de grandes surfaces ?

– la généralisation ou l’utilisation plus fréquente de variétés résistantes dépend de la volonté des sélectionneurs obtenteurs (Rysto et Ryand sont des gènes de résistance majeurs pour lesquels aucune résistance n’a pu être démontrée à ce jour).

M. de N.

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