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Coronavirus - Pour prévenir de futures épidémies, il faut absolument sécuriser les pratiques dans les marchés et élevages d’Asie du Sud-Est!

Chercheur en microbiologie moléculaire au centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad), Roger Frutos s’intéresse au lien entre la présence de coronavirus chez les chauves-souris et la structure de leur environnement. «Au-delà des mesures d’urgence sanitaire, la lutte contre de futures épidémies passera par de meilleures pratiques dans les marchés et élevages d’Asie du Sud-Est».

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Si les chercheurs s’intéressent autant aux chauves-souris, c’est parce qu’elles constituent des réservoirs importants de maladies virales; elles sont en effet capables d’héberger des virus pendant longtemps sans être affectées. Plus précisément, la classification des coronavirus suit de très près la classification des chauves-souris. Le virus responsable de l’actuelle épidémie, le SARS-Cov-2, est ainsi associé à la famille des Rhinolophes.

Transmission directe?

Pour les coronavirus, il n’y a aucun indicateur de transmission directe des chauves-souris à l’homme, contrairement à des cas comme la rage, l’Australian Bat Lyssavirus (virus de la chauve-souris australienne provoquant une paralysie respiratoire) ou le Duvenhage virus (provoque une maladie apparentée à la rage). Dans le cas du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère qui a causé la mort de plusieurs milliers de personnes en 2002-2003), un autre coronavirus très proche de SARS-CoV-2, le transfert s’est fait par les civettes, des petits mammifères. Et pour le MERS-CoV, un coronavirus pour lequel on observe des taux de mortalité de 34%, et que l’on rencontre au Moyen-Orient, c’est le dromadaire qui a joué ce rôle d’intermédiaire.

Attention, prévient Roger Frutos: les transferts peuvent avoir lieu longtemps avant l’émergence de la maladie chez l’homme. Et c’est ensuite l’homme, en concentrant les animaux dans les élevages ou les marchés, qui favorise l’épidémie.

Le marché de Wuhan, où les premiers cas ont été détectés, est situé dans une zone urbanisée, très loin de la forêt tropicale. Comment expliquer l’origine de l’épidémie actuelle? «Il est certain aujourd’hui que les premiers cas ne viennent pas du marché de Wuhan. L’origine réelle de la maladie a été couverte par les autorités locales. Mais Wuhan est une ville très dense qui a permis à l’événement de s’enclencher.»

Et la déforestation?

En vérité, il n’y a pas de responsable intentionnel à cette maladie Covid-19: son émergence est un processus accidentel. Mais en supprimant la forêt, l’homme crée des mosaïques rurales, avec des vergers et des canaux, qui fournissent l’alimentation aux chauves-souris. Et par la déforestation, les chauves-souris, loin de se réfugier dans la forêt, se rapprochent des hommes. Elles vont alors parfois s’abriter dans les bâtiments d’élevage, et entrent en contact avec le bétail.

Le secteur de l’élevage, particulièrement à risque?

Des études ont montré que 80% des maladies émergentes sont passées directement de l’animal sauvage à l’homme. La plupart des infections ne sont donc pas directement liées à l’élevage mais plutôt à la vente d’animaux chassés, au braconnage, ou même au tourisme, par les randonnées et autres treks. L’élevage, en regroupant les bêtes, augmente cependant leur densité, et donc la probabilité de propagation, tout en favorisant la présence de moustiques, qui peuvent être eux aussi des vecteurs de maladies.

L’agriculture, et l’élevage, liés à d’autres épidémies?

Plus que l’agriculture, c’est le commerce, le transport et la mobilité qui sont responsables de la plupart des dernières crises. Ebola a été identifiée dès 1976, mais ce n’est qu’en 2014 que ce virus a atteint le stade d’épidémie majeure, en se propageant par des routes et des moyens de communication jusque-là inexistants. Le cas de la dengue est lui aussi emblématique. L’ouverture du canal de Suez au milieu de XIXe siècle a permis à une population de moustiques du bassin méditerranéen de rejoindre l’Asie du Sud-Est où elle s’est révélée être un vecteur très efficace d’un virus local.

Une région propice?

L’Asie du Sud-Est fait partie des centres mondiaux de biodiversité, comme l’Amazonie ou l’Afrique centrale. Mais cette région, contrairement aux deux autres, est densément peuplée, avec une dynamique économique très forte, qui entraîne des pressions sur l’environnement. Avec cette activité, des échanges importants, et une forte biodiversité, vous augmentez donc les chances d’échanges potentiels entre les virus et leurs hôtes.

Ne pas reproduire l’échec du SRAS!

Demain, après la crise, il faudra réglementer les marchés d’animaux vivants, avec des infrastructures adaptées, des systèmes d’isolement et une traçabilité, mais il faudra aussi réglementer la consommation d’animaux sauvages, et interdire certaines médecines traditionnelles. ll n’est cependant pas possible de changer les traditions brutalement, avertit encore l’expert français. «Pour toutes ces réformes, nous aurons donc besoin d’économistes, et de sociologues, qui pourront donner à ces changements des formes acceptables pour la population. Au risque, dans le cas contraire, de reproduire l’échec du SRAS, qui n’a conduit à aucun changement politique majeur.»

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