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Retour à l’anormal

Voici quatre mois, le Covid-19 faisait sa joyeuse entrée dans notre quotidien, confineur confidentiel assignant à demeure une population déconcertée. Puis le virus s’en est allé papillonner sous d’autres cieux, contaminer des innocents, des insouciants, des imprudents, des imbéciles. Il a laissé chez nous en arrière-gardes quelques hordes bien armées, planquées en embuscade, histoire de nous embêter et nous obliger à rester sur nos gardes, quoiqu’il advienne. Il nous a interdit les gestes amicaux, les effusions d’amour et d’affection. Il est parvenu à gripper et mettre à l’arrêt pour un temps l’infernal mouvement perpétuel de notre flamboyante machinerie capitaliste. Il a ainsi rendu quelques bouffées d’oxygène à nos cieux pollués, éclairci nos esprits embrumés. Cette parenthèse inattendue aura duré quelques semaines, trois petits tours et puis s’en va, puis le déconfinement s’est attelé au retour jubilatoire « à la normale ». Ne devrait-on pas dire plutôt « à l’anormal », à « l’amoral », sous bien des aspects ?

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Voici quatre mois, le Covid-19 faisait sa joyeuse entrée dans notre quotidien, confineur confidentiel assignant à demeure une population déconcertée. Puis le virus s’en est allé papillonner sous d’autres cieux, contaminer des innocents, des insouciants, des imprudents, des imbéciles. Il a laissé chez nous en arrière-gardes quelques hordes bien armées, planquées en embuscade, histoire de nous embêter et nous obliger à rester sur nos gardes, quoiqu’il advienne. Il nous a interdit les gestes amicaux, les effusions d’amour et d’affection. Il est parvenu à gripper et mettre à l’arrêt pour un temps l’infernal mouvement perpétuel de notre flamboyante machinerie capitaliste. Il a ainsi rendu quelques bouffées d’oxygène à nos cieux pollués, éclairci nos esprits embrumés. Cette parenthèse inattendue aura duré quelques semaines, trois petits tours et puis s’en va, puis le déconfinement s’est attelé au retour jubilatoire « à la normale ». Ne devrait-on pas dire plutôt « à l’anormal », à « l’amoral », sous bien des aspects ?

Des exemples tristement drôles ne manquent pas ! Ainsi, dans les journaux du mois d’avril, à la télé ou à la radio, les circuits courts à la ferme étaient encensés, glorifiés, magnifiés, car ils répondaient en tous points aux nécessités de l’instant. Plus besoin de se rendre dans les supermarchés, bouillons de culture et lieux d’échanges infernaux de ce diable de virus ! Ces points de vente en direct, du producteur au consommateur, apportaient tous les apaisements, toutes les garanties de fraîcheur et de faible empreinte écologique. La crise du Covid-19 allait durablement changer les habitudes de consommation, psalmodiaient en chœur les médias, bouches en cœur et louches de beurre ! Finies les margarines et autres cochonneries industrielles ! Ce « miraculeux coronavirus »(sic) allait rendre justice aux producteurs de chez nous ; il leur promettait un avenir radieux, de bons débouchés et un respect retrouvé, comme en temps de guerre, lorsque tout le monde se rappelait subitement avoir un parent agriculteur, lointain ou proche. Hélas, le printemps du circuit court aura fleuri éphémère, l’espace d’une poignée de semaines…

Le Covid-19 a desserré son étau en mai, et libéré peu à peu le grand flux commercial. Soudainement, les nouveaux clients des points de vente à la ferme se sont enfuis comme une volée de moineaux, pour retrouver au plus vite leurs bonnes vieilles habitudes, supermarchés et hyper-consommation. On appelle ce phénomène le « retour à la normale » ! Les avions cloués au sol secouent à nouveau leurs ailes pour filer vers le ciel, kérosène à gogo, 40 € le trajet Genève-Bruxelles et même pas sur Ryanair. Ils nous amènent des masques de Chine, du matériel informatique asiatique, des produits pour fabriquer des médicaments ou des vaccins… Et tant pis pour les petites mains exploitées là-bas ! Et tant pis pour les producteurs de chez nous ! Et tant pis pour les naïfs qui croient en l’économie locale, qui ont misé sur un monde moral. La normalité est de retour ; l’amoralité du monde libéral a repris la main, plus fermement que jamais.

Le destin nous avait tendu une belle perche, mais personne ne voulait réellement la saisir. Notre mode de vie, dit « normal », est trop bien rodé, solidement axé sur l’économie, sur la circulation effrénée de l’argent, sur le vaste mouvement perpétuel des biens et des services. Les principes moraux, les grandes causes humanistes et humanitaires, l’urgence climatique et environnementale, ne constituent au final que des préoccupations de second ordre… Du parfum de bonne conscience, du greenwashing, du maquillage de pharisien… C’est l’économie qui gagne à tous les coups. Tout passe à la moulinette de l’argent : l’écologie, les soins de santé, l’alimentation, l’éducation, l’énergie, les transports, la solidarité sociale, les arts et la culture. L’argent est une drogue dure, et notre société ne peut briser son addiction.

C’est pourquoi les confinés en manque ont retrouvé avec soulagement ce qu’on appelle la « normalité ». Les convertis aux circuits courts alimentaires ont rapidement abandonné le chemin des fermes, pour courir se jeter à nouveau dans les bras du grand commerce. Comment les retenir ? Comment dénoncer l’amoralité de la « normalité » ? Faudra-t-il d’autres crises, d’autres virus, d’autres calamités, d’autres désastres ?

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Voix de la terre Il n’aura fallu que cinq jours ! Lundi matin, l’énorme vieille ferme dressait encore ses murs orgueilleux au milieu du village, défiant le temps et les saisons depuis trois cents ans. Vendredi soir, elle n’était plus là, tout simplement ! Disparue, envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Un bulldozer, deux pelleteuses, ainsi qu’une noria de très gros tracteurs attelés de bennes, ont tout rasé et enlevé en quelques dizaines d’heures. Sur le terre-plein ainsi dégagé, sera bientôt construit un complexe de vingt appartements. L’un après l’autre, les derniers témoins de la vie agricole d’autrefois disparaissent des paysages intérieurs de nos localités.
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