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«Le «Prix Juste Producteur» permet de rendre sa vraie valeur à notre alimentation»

Les produits étiquetés « Prix Juste » sont de plus en plus nombreux dans les fermes et grandes surfaces, signe que l’initiative séduit les producteurs mais aussi les consommateurs. Cette croissance ne doit toutefois pas occulter les difficultés rencontrées tant par les agriculteurs que par le Collège des producteurs, garant du bon usage du label. Deux ans après sa création, dressons un premier bilan !

Temps de lecture : 8 min

Présenté voici deux ans par le Collège des producteurs, le label « Prix Juste Producteurs » permet aux consommateurs d’identifier rapidement et facilement les produits qui rémunèrent équitablement les agriculteurs et éleveurs. Son développement résulte d’un constat simple : un nombre croissant de consommateurs souhaite privilégier ce type de denrées lors de ses achats alimentaires.

« Pour donner du crédit au label, nous avons développé un cahier de charges permettant aux producteurs et groupements de producteurs de caractériser la qualité des relations commerciales qu’ils tissent avec leur(s) premier(s) acheteur(s). Le respect dudit cahier conditionne l’octroi du label, attestant ainsi que l’agriculteur bénéficie d’une juste rémunération », explique Emmanuel Grosjean, coordinateur du Collège des producteurs.

Pour les producteurs en vente directe, la labellisation est aussi accessible, si les coûts de production sont pris en compte dans le calcul des prix de vente. « Cela leur permet de mettre davantage leur production en valeur, même en circuit court. »

Un chiffre d’affaires annuel de 12,47 millions

Depuis la création du « Prix Juste Producteur », près de 100 dossiers de labellisation, représentant 1.240 producteurs, ont été déposés au Collège. 52 dossiers, pour un total de 420 producteurs, ont abouti à l’octroi du label à divers produits. 45 autres dossiers, soit 830 producteurs, sont en cours de traitement. Quelques demandes n’ont, quant à elles, pas donné lieu à la labellisation. 36,5 % des produits labellisés sont issus de l’agriculture bio.

« Le chiffre d’affaires annuel réalisé par les producteurs suite à la vente des produits « Prix Juste » est estimé à 12,47 millions d’euros. C’est bien au-delà de nos espérances, qui étaient de 500.000 €… » Ces résultats sont tirés à la hausse par deux grandes familles de denrées largement référencées en Wallonie et représentant un grand nombre d’éleveurs, à savoir les volailles Coq des prés et les viandes Porc Qualité Ardennes.

Le catalogue de produits labellisés est également en expansion. On y retrouve des fruits et légumes (une vingtaine de références), de la viande (21 références), du lait et des produits laitiers (11 références), des œufs (7 références), des bières (une dizaine de références)… « Nous travaillons sur plusieurs dossiers qui, s’ils aboutissent, permettront d’étendre le panel de produits disponibles avec des farines, des pommes de terre… »

En deux ans, le catalgoue de produits labellisés s’est étoffé
: viande porcine, volaille, œufs, bières, pâtes, fruits et légumes, produits laitiers...
En deux ans, le catalgoue de produits labellisés s’est étoffé : viande porcine, volaille, œufs, bières, pâtes, fruits et légumes, produits laitiers...

Environ la moitié des dossiers sont introduits par des groupements de producteurs ; l’autre moitié est effectuée à titre individuel. « Un nombre important de demandes émane de la filière viande qui vit actuellement une situation très compliquée. Les enjeux de prix, et surtout de prix justes, y revêtent un aspect extrêmement important », commente M. Grosjean.

Un point crucial des discussions

« Deux ans après le lancement du label, nous en tirons un premier bilan positif. Des changements ont été observés dans les négociations commerciales entre les producteurs et leurs acheteurs : la notion de prix juste y est de plus en plus présente. Cela ne se traduit pas toujours par une labellisation, mais nous constatons que c’est devenu un point crucial des discussions », poursuit-il.

Les négociations sont aussi plus faciles lorsqu’il existe déjà une relation commerciale certifiée entre les agriculteurs et leur acheteur. « Il est plus facile de créer, avec le même partenaire, de nouvelles relations commerciales du même type, conduisant à la mise sur le marché d’autres produits « Prix Juste ». La porte est, en quelque sorte, déjà ouverte. »

Le difficile calcul des coûts de production

Ces deux premières années ont également permis de mettre en exergue les freins rencontrés par les producteurs, individuels ou en groupements, dans leurs négociations et demandes de labellisation.

« Le calcul des coûts de production, en ce compris la rémunération équitable du producteur, constitue l’obstacle le plus souvent cité. Bon nombre d’agriculteurs sollicitent notre accompagnement pour affiner leurs calculs. » Cela ne se fait toutefois pas sans difficulté.

Premièrement, la démarche est plus aisée pour certaines productions que pour d’autres. « Dans le cas des œufs, des produits laitiers ou de la viande, la dynamique économique des exploitations est relativement stable d’une saison à l’autre. Les coûts de production peuvent être évalués assez facilement. » Il n’en va pas de même pour d’autres groupes de producteurs, comme les maraîchers… « La production de légumes est intimement corrélée aux saisons et au climat. Cette variabilité importante complique les calculs. »

« Le calcul des coûts de production, en ce compris la rémunération équitable du producteur, constitue l’obstacle le plus fréquemment rencontré », constate Emmanuel Grosjean.
« Le calcul des coûts de production, en ce compris la rémunération équitable du producteur, constitue l’obstacle le plus fréquemment rencontré », constate Emmanuel Grosjean.

Ensuite, lorsque des cultivateurs ou éleveurs se regroupent autour d’un projet commun, le calcul des coûts de production doit prendre en compte leur diversité. « Certains acteurs ont des coûts supérieurs, d’autres arrivent aux mêmes résultats à des coûts inférieurs. C’est inévitable, tant en bio qu’en conventionnel, et cela dépend de nombreux facteurs (taille du cheptel, surface cultivée, région agricole…). Trouver un « Prix Juste », qui convient à tous, n’est pas toujours aisé mais est indispensable pour conserver un bon équilibre dans le groupe. »

Enfin, certains producteurs ont tendance à se mettre à la place de leurs acheteurs. « Au lieu d’évaluer quels sont leurs besoins, ils se demandent combien les acheteurs seraient prêts à payer. Or, ils ne doivent pas avoir peur de mettre en valeur le vrai coût de leur travail », détaille M. Grosjean. Un travail de sensibilisation des agriculteurs est donc nécessaire. « Nous leur expliquons qu’ils doivent être clairs vis-à-vis de leurs partenaires, en leur présentant leurs coûts de production et en intégrant leur rémunération. Ainsi, ils sensibilisent à leur tour les acheteurs aux réalités du terrain. Les prix du marché ne doivent pas être leur seul guide ! »

Concurrence et abus : deux points d’attention

Les demandes de labellisation sont encore nombreuses, en témoignent les dossiers reçus par le Collège des producteurs. « Le label « Prix Juste » est en pleine croissance. Cela constituera un nouveau défi pour nous », poursuit Emmanuel Grosjean. D’une part, le bon suivi des dossiers devra être assuré. D’autre part, les éventuels détournements doivent être évités.

En la matière, le Collège doit, par exemple, être attentif au mode de communication des distributeurs. Ils peuvent annoncer qu’ils commercialisent des produits « Prix Juste » mais ne peuvent en aucun cas affirmer qu’ils sont eux-mêmes porteurs du label.

« Les produits labellisés doivent être correctement répertoriés dans les rayons. Pour les denrées vendues en vrac, comme la viande ou les fruits et légumes, le logo « Prix Juste » doit être apposé sur l’étiquette prix. Celle-ci doit être modifiée si le produit vient à être remplacé par un autre, issu d’une relation non labellisée, pour combler une rupture de stock par exemple. »

Des contrôles sont donc effectués afin de vérifier le bon respect de ces règles. « Nous demandons également aux producteurs d’être attentifs, de veiller au bon respect du label par leurs partenaires. » En pratique, les erreurs sont rares et résultent davantage d’une méconnaissance que d’un abus intentionnel.

Toujours pour éviter les éventuels abus, les denrées transformées doivent être composées au minimum de 80 % de produits issus d’une relation commerciale équitable pour prétendre au label. « Nous évitons ainsi que certains produits profitent de la labellisation alors qu’une infime partie seulement de leurs matières premières est livrée par un agriculteur correctement rémunéré. » Quelques exceptions sont tolérées, comme la bière, composée essentiellement d’eau.

« Nous devons aussi être attentifs aux problèmes de concurrence. Deux groupes de producteurs peuvent être amenés à négocier avec le même acheteur… Cela ne doit pas conduire à une guerre des prix, aboutissant à leur révision à la baisse, au détriment des agriculteurs et éleveurs. Rappelons que l’objectif du label est bien d’octroyer une juste rémunération aux producteurs et cela ne doit pas être oublié dans les négociations. Le « Prix Juste » permet de rendre sa vraie valeur à notre alimentation ! ».

À ce titre, les équipes du Collège en charge de la labellisation ont développé des référentiels leur permettant de vérifier la bonne prise en compte des coûts de production dans les relations commerciales. Il leur est ainsi possible de s’assurer que celles-ci démarrent sur de bonnes bases. Si les écarts par rapport au référentiel sont trop importants, le label n’est pas octroyé.

Accompagner les consommateurs

« Avec l’extension de la gamme de produits labellisés, nous devons répondre aux interrogations que se pose une partie de nos concitoyens. » Certains s’inquiètent en effet de ne pas disposer d’un revenu suffisant pour accéder à ces produits.

« Le prix payé par le consommateur au distributeur est réparti entre plusieurs acteurs. Seule une partie est dédiée aux producteurs ; le reste revenant aux autres maillons. Il se peut donc que le prix de vente final, en magasin, ne varie pas suite à la labellisation. Soit parce que le distributeur réduit sa marge, soit parce qu’il répercute la hausse de ses coûts sur plusieurs produits afin de moins en faire ressentir les effets. »

La présence du label l’atteste :  les producteurs ont bénéficié  d’une juste rémunération !
La présence du label l’atteste : les producteurs ont bénéficié d’une juste rémunération !

En parallèle, il convient d’éduquer les consommateurs à la juste valeur de notre alimentation, pour pérenniser la production de denrées saines et durables en Wallonie. Si la croissance du label se poursuit tel qu’actuellement, cet enjeu de communication devra être développé et accompagné d’actions de promotion.

Une nouvelle version, début 2021

Enfin, une nouvelle version du cahier des charges devrait voir le jour début 2021. « Cette mise à jour intégrera certaines situations que nous n’avions pas anticipées alors que nous y sommes maintenant confrontés », commente M. Grosjean.

Cela permettra notamment d’étendre les possibilités de labellisation pour les producteurs opérant à titre individuel. « Pour l’instant, ils ne peuvent bénéficier du label que pour les produits qu’ils vendent directement aux consommateurs. Certains ont des relations de travail saines et équitables avec des transformateurs (glaciers, fromagers…) et souhaiteraient que les produits issus de cette collaboration soient étiquetés « Prix Juste ». Cela sera possible. »

De même, les agriculteurs et éleveurs travaillant en direct avec des gérants de magasins franchisés pourront demander la labellisation à titre individuel, une fois que le respect du cahier des charges « Prix Juste » aura été vérifié.

Propos recueillis par J. Vandegoor

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