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Paul Liefooghe, pilote: «Le tractor pulling, c’est bien plus que déplacer une masse d’un point A à un point B»

Paul Liefooghe parcourt chaque année des milliers de kilomètres à travers l’Europe avec sa femme, Nadia, et leur fils, Arne, pour des raisons sportives. Tous trois participent en effet à divers championnats de tractor pulling, une discipline alliant ingéniosité mécanique et habilité à manier un engin hors-norme. Mais comment devient-on pilote international de tractor pulling ? Pour le savoir, nous avons rencontré Paul dans son atelier de Gijzegem, près d’Alost.

Temps de lecture : 10 min

Paul, Arne et Nadia forment l’équipe de tractor pulling « Mad Max ». Une équipe aux rôles bien définis : le père et le fils préparent et pilotent le tracteur tandis que Nadia gère les différents volets logistiques. À cet effet, elle peut d’ailleurs s’appuyer sur un bus Vanhool, sorti d’usine en 1981 mais entièrement transformé pour assurer le transport de l’équipe et du tracteur. « C’est à la fois un atelier sur roue et un véritable « hôtel » intégrant toutes les commodités nécessaires », explique Paul. « Nous participons à des championnats européens, de la Finlande à la Hongrie. Vu le temps passé sur la route et les kilomètres parcourus, il est important de disposer d’un minimum de confort. »

Question pilotage, Paul se concentre sur les compétitions nationales et l’Eurocup (un championnat opposant plusieurs pilotes européens) tandis qu’Arne participe aux démonstrations et compétitions belges. Leur engin est équipé d’un moteur Daf dont la puissance d’origine de 430 ch a été portée à 5.000 ch, soit plus de dix fois plus !

Le nom de l’équipe – « Mad Max » – n’est pas une référence au film éponyme, mais bien au cheval que Paul avait l’habitude de monter, Max. Toutefois, une autre équipe avait déjà opté pour ce nom, et « Mad Max » a finalement été choisi. La mention « Stage 5 » ne se rapporte, quant à elle, pas aux normes antipollution mais indique qu’il s’agit du cinquième engin fabriqué et piloté par l’équipe. Bien que cela ne soit plus tout à fait vrai, car Paul, Arne et Nadia en sont déjà, en réalité, à leur sixième châssis. Mais l’engin a conservé son apparence, reposant sur la couleur rouge carmin typique des tracteurs Porsche.

Le Sillon Belge : d’où vous vient cette passion pour le tractor pulling ?

Paul Liefooghe : je suis électricien de formation, mais j’ai toujours été passionné de mécanique. Je pratiquais aussi l’équitation mais je me suis gravement blessé en 1989 suite à un accident. Plus question pour moi de monter à cheval… C’est alors que j’ai vu une annonce pour le concours de tractor pulling de Kooigem en parcourant le Landbouwleven (l’équivalent néerlandophone du Sillon Belge). Ma copine, qui depuis est devenue ma femme, m’y a conduit. Et j’ai directement pris goût à ce sport !

En assistant aux concours, je me suis toujours dit : « Un jour, j’y participerai aussi ». Les dix premières années, nous n’avons été que spectateurs. Avec la naissance des enfants, la création de ma propre activité professionnelle et l’importance de l’investissement nécessaire pour débuter dans la discipline, il m’était difficile de devenir pilote.

L’équipe Mad Max se compose de Nadia et Paul Liefooghe et de leur fils, Arne (à droite).
L’équipe Mad Max se compose de Nadia et Paul Liefooghe et de leur fils, Arne (à droite). - Fam. Liefooghe

En 1999, j’ai enfin acheté mon premier châssis avec moteur. Bien qu’il s’est avéré par la suite que le moteur ne valait pas grand-chose… J’ai donc modifié l’ensemble, à ma manière et en concertation avec une connaissance néerlandaise. Le Mad Max 1 est né avec un moteur Daf 1160.

Depuis, d’autres Mad Max sont nés dans votre atelier…

Lorsque l’on s’attelle à ce type de travail pour la première fois, des améliorations peuvent toujours être apportées. Depuis, j’ai construit cinq engins pour mon usage et douze autres pour des clients.

Ces dernières années, je n’ai toutefois plus le temps de mener ce type de projet. Ce que nous faisons encore, chaque hiver, c’est préparer les moteurs et d’autres pièces pour certains pilotes, car c’est une de mes activités professionnelles.

Où avez-vous acquis cette expérience ?

En assistant aux différents concours et en discutant avec les gens. Ma passion pour la mécanique a aussi joué. De plus, je suis perfectionniste ; ce qui est commencé doit être terminé ! Mais conduire n’est pas un but en soi. Ce qui m’intéresse, c’est de faire quelque chose que n’importe qui ne peut pas faire.

Vous nous avez parlé d’un moteur Daf. N’est pas un choix quelque peu inhabituel ?

Ces moteurs sont faciles à obtenir et, au départ, n’étaient pas aussi coûteux que d’autres. Entre-temps, il ne reste plus beaucoup de pièce d’origine Daf dans le tracteur… J’ai fraisé le bloc pour l’alléger de 60 kg et ainsi rentrer dans la classe des tracteurs de 2,5 t. Les pistons, bielles, culasses, vilebrequins… sont de ma propre fabrication.

L’équipe a obtenu à deux reprises le prix de «
Puller of the year
», une récompense très convoitée remportée en 2007 et 2016.
L’équipe a obtenu à deux reprises le prix de « Puller of the year », une récompense très convoitée remportée en 2007 et 2016. - Jan Werners

Pourquoi roulez-vous dans la classe des 2,5 t Light Modified ?

En intégrant cette classe, nous avons le libre choix du moteur et de la configuration du tracteur. Une seule condition doit être respectée : l’engin doit peser 2.500 kg maximum.

En débutant avec un moteur diesel Daf, il n’a pas été facile de maintenir le poids de l’engin sous cette limite. Nous sommes d’ailleurs les premiers et les seuls en Europe à avoir combiné un moteur de camion Daf à des pneus Puller 2000 dans la catégorie 2,5 t Light Modified. Précisons que ces pneus sont spécialement développés pour le tractor pulling et porte la mention « competition only » (« compétition uniquement »).

Pour que l’ensemble soit aussi léger que possible, le châssis est fabriqué à partir de plaque de métal d’une épaisseur de seulement 3 mm. À côté de cela, nous utilisons l’aluminium, le kevlar et le carbone. Les garde-boue, par exemple, ne pèsent que 9 kg et ont été fabriqués par nos soins. Pour gagner du poids, les têtes des boulons ont été coupées et des trous ont été percés dans les boulons eux-mêmes.

C’est toute une histoire pour conserver sa place dans cette catégorie avec un moteur diesel !

Dites-nous en plus sur le moteur.

J’ai fabriqué les bielles en aluminium, tandis que les pistons sont en « aluminium forcé ». Pour ce faire, un bloc d’aluminium est chauffé à 200ºC puis comprimé sous une pression de 2.000 t. Le piston est plus lourd mais aussi plus stable. Il ne fond pas rapidement malgré les températures de combustion élevée. Certes, cela à un coût, mais la qualité est au rendez-vous.

Dans un moteur normal, le piston et la bielle sont maintenus ensemble avec des circlips (des petites pièces annulaires fendues). J’ai conçu cela autrement, sans circlips, grâce à un système « maison ». Il présente l’avantage d’abaisser la hauteur de compression et d’améliorer la stabilité du piston.

Et que pouvez-vous nous dire sur les turbos ?

Notre tracteur est équipé de trois turbos Holset, pour un moteur de 12,6 l. Ce sont des turbos de très haute qualité. Ils sont placés depuis 2014 et n’ont pas été retouchés depuis. À titre de comparaison, sur un camion « classique », le compresseur est d’un diamètre de 50 mm, contre 132 mm sur notre Mad Max Stage 5.

Les trois turbos sont installés sur deux étages. À l’étage supérieur, on en retrouve deux. Ils envoient l’air frais au troisième, placé à l’étage inférieur, qui, à son tour, transmet l’air sous pression (5 à 7 bars) au moteur. Les gaz d’échappement passent d’abord par le turbo inférieur, avant d’être distribués aux turbos supérieurs.

« Celui qui veut se faire un nom dans le tractor pulling doit toujours être en mesure d’améliorer son engin », estime Paul.
« Celui qui veut se faire un nom dans le tractor pulling doit toujours être en mesure d’améliorer son engin », estime Paul. - TD

Les deux turbos de l’étage supérieur permettent d’amener l’air à une température plus basse lors de la phase d’admission, tout en conservant ses propriétés, en vue d’avoir le bon mélange dans la chambre de combustion. En outre, de l’eau est injectée dans les turbos. L’air est ainsi davantage refroidi lors de l’admission, ce qui accroît les performances du moteur. En outre, celui-ci s’emballe moins vite.

Comment pouvez-vous évaluer votre travail ? Vous ne disposez ni d’une piste, ni d’une remorque à masse variable, typique du tractor pulling ?

Certaines équipes louent des remorques, mais ce n’est pas la même chose qu’en championnat… Il y a 20 ans, lorsque nous avons commencé, nous avons lié le tracteur à une grue excavatrice devant jouer le rôle de remorque… Avec quel résultat ? La grue a failli basculer sur le côté et une vitre a été brisée par une pierre qui se trouvait sur la piste et a été projetée par le tracteur.

À la maison, nous pouvons vérifier le fonctionnement du moteur et contrôler les différents éléments de l’engin, mais cela ne va pas plus loin. Cela rajoute un peu de piquant au sport.

Lors d’une course, qui joue le rôle le plus important ? Le pilote ou l’engin ?

Une mécanique parfaitement réglée fait la force de votre engin. Mais le pilote revêt un rôle crucial. Un bon conducteur peut même piloter un engin moins bien préparé. Vous devez être capable d’actionner correctement la pédale d’embrayage pour démarrer au quart de tour. C’est un peu comme remonter une pente avec une brouette chargée : il ne suffit pas d’être fort pour y arriver ; il faut réfléchir et prendre son élan au bon moment. Si la puissance vient trop tard, c’est un échec.

Lors de ma dernière participation à la course de Zwolle, aux Pays-Bas, les trois équipes me précédant n’ont pas réussi à faire bouger la remorque de sa position initiale. J’ai été le premier à y arriver… et à dépasser les 80 m. Deux autres équipes qui me suivaient n’y sont pas parvenues non plus. C’est une question de feeling !

Votre carrière est ponctuée de faits marquants et de revers, n’est-ce pas ?

Un de ces revers est visible dans mon jardin : quatre moteurs cassés qui servent maintenant d’éléments décoratifs. Je me souviens aussi d’un championnat au cours duquel nous avons connu plusieurs contretemps… Le lundi soir, nous étions bloqués suite à une panne du moteur. Et le jeudi soir, alors que toutes les réparations étaient effectuées, nous avons appris que la course était annulée pour cause de pluie.

Du côté des faits marquants, je citerai notre victoire, l’année dernière, dans la série nationale des Light Modified ainsi que notre troisième place, en 2016, à l’Euro Cup. Et ce, alors que nous faisions face à 24 autres concurrents et que nous avions le plus petit moteur. Le respect entre équipe est aussi grandement appréciable.

Nous avons obtenu à deux reprises, en 2007 et 2016, le prix de « Puller of the year ». Cette reconnaissance, convoitée par beaucoup, est octroyée par tous ceux qui gravitent autour du tractor pulling. L’avoir remporté compte énormément pour nous.

L’apparence, ici du cockpit et du train arrière, constitue 
un point d’attention important pour l’équipe.
L’apparence, ici du cockpit et du train arrière, constitue un point d’attention important pour l’équipe. - TD

Vous avez déjà affirmé que le monde du tractor pulling était plus efficace que celui de la Formule 1. Pourquoi ?

Notre discipline est beaucoup plus forte, surtout si l’on considère l’équilibre entre la puissance et le poids. Notre Mad Max Stage V pèse 2.500 kg et développe 5.000 ch, soit 2 ch par kg. Ce n’est pas en Formule 1 que l’on voit cela.

En outre, nous n’avons pas les budgets dont disposent les écuries de Formule 1. Chaque euro doit être investi à bon escient, pour en retirer quelque chose sur la piste.

Pour participer aux démonstrations, nous recevons un défraiement et les gains de courses nous servent à financer nos déplacements. Nous pouvons nous distinguer en faisant connaître notre nom. Cela nous permet ensuite de fournir d’autres équipes en pièces détachées, comme des boîtes de vitesses, des pièces d’essieux arrière ou des pièces de moteur. Le commerce s’étend même jusqu’au Canada et en Australie.

Ce qui n’était à la base qu’une passion est également devenu une profession.

Oui et non. Mes activités professionnelles sont l’ingénierie, la construction métallique, la révision de moteurs, la vente et la réparation de machines horticoles, les travaux de tournage et de fraisage et la restauration de tracteurs anciens. Je dispose ainsi d’un véritable arsenal de machines et d’outils qui me servent également pour le tractor pulling. Je n’ai pratiquement pas besoin de faire appel à des aides extérieures. Si cela arrive, ce n’est généralement que par manque de temps.

Le tractor pulling, c’est également une manière d’approfondir vos connaissances ?

Le public pense souvent que notre discipline ne consiste qu’à déplacer une masse d’un point A à un point B aussi rapidement que possible. Mais c’est bien plus que cela. Vous devez être multitâches. Souder, tourner, fraiser, bricoler, peindre ou encore placer des autocollants sur votre véhicule… Savoir faire cela est nécessaire si vous voulez obtenir des résultats. Il faut aussi connaître les huiles et lubrifiants, savoir plier des tôles, fabriquer des pistons… Vous n’avez jamais fini d’apprendre lorsque vous pratiquez le tractor pulling.

Il faut aussi savoir faire face à l’imprévu car il y a toute une série de paramètres que vous ne pouvez maîtriser, comme les conditions météorologiques, la température extérieure, les conditions de piste… Il peut également y avoir des différences au niveau de la remorque.

Au final, les gens me prennent pour un fou quand je dis que je parcours plus de 1.000 km pour une course d’une douzaine de secondes au maximum… Mais c’est une discipline à part entière !

D’après Tim Decoster

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