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«Les cultivateurs bio sont les précurseurs de l’agriculture de précision»

Le désherbage des cultures est un enjeu capital pour l’agriculture, qu’elle soit conventionnelle ou biologique. Celle de précision existe depuis de nombreuses années, d’abord avec le binage, puis l’apparition des GPS et maintenant grâce à l’intelligence artificielle. Le coût et l’efficacité de ces solutions restent encore à résoudre. Pierre Le Maire, agriculteur bio depuis 2000, en témoigne.

Temps de lecture : 7 min

À Borlez, la ferme Le Maire, convertie dès 2000 à l’agriculture biologique, cultive aujourd’hui 100 ha de légumes et fait donc partie de la poignée d’exploitations wallonnes cultivant en bio sur de très grandes surfaces.

Comment se sont déroulés vos premiers pas dans l’agriculture de précision ?

En agriculture biologique, il est essentiel de suivre les lignes pour la conduite des cultures et on peut considérer que les « bio » furent des précurseurs de l’agriculture de précision, notamment pour le binage ou le repiquage.

Mon parcours peut se décrire en plusieurs étapes… en commençant par la découverte du GPS, apparu au début des années 2000, et des barres de guidage. Il n’y en avait pas encore en Europe et je suis allé à San Francisco voir ce qu’on nous proposait. Je fus incrédule en voyant qu’un tracteur équipé d’un GPS et d’un guidage piloté pouvait reprendre la même trace à 2 cm près. En seulement vingt ans, quelle évolution de voir aujourd’hui la plupart des tracteurs vendus en grandes cultures équipés de cette assistance ! Ensuite arriva le guidage automatique des bineuses. Grâce au signal de correction RTK, on a réussi à atteindre une précision de 3 cm de chaque côté de la ligne. Par caméra, c’est encore plus précis, on parvient à 1,5 cm.

Pierre Le Maire, exploitant à Borlez, s’est converti dès 2000 à l’agriculture bio  et cultive aujourd’hui 100 ha de légumes.
Pierre Le Maire, exploitant à Borlez, s’est converti dès 2000 à l’agriculture bio et cultive aujourd’hui 100 ha de légumes.

Quels sont les enjeux actuels ?

Aujourd’hui, j’étudie de près une solution pour mécaniser le désherbage sur la ligne.

Dans nos cultures spécifiques telles que les carottes ou les oignons, il faut éliminer les adventices sur la ligne. À l’heure actuelle, aucun outil de désherbage mécanisé permet de réaliser ce travail. Il faut donc enlever les mauvaises herbes à la main, et dans nos cultures de légumes cela ne se fait pas à la rasette mais avec des planchers sur lesquels des ouvriers sont couchés et arrachent les mauvaises herbes manuellement souvent plusieurs fois pendant la saison.

Il s’agit d’un travail très pénible et dont le prix est devenu exorbitant au fil des années, alors que le nombre d’heures est resté le même pour réaliser un désherbage de qualité. Nous parlons de 200 à 400 heures de travail par saison et d’un coût de plusieurs milliers d’euros par hectare dans les cultures d’oignons ou de carottes, prix qui pourrait encore augmenter avec le changement climatique et son impact potentiel sur l’infestation de mauvaises herbes.

Dans un futur proche, l’intelligence artificielle (IA) nous aidera à distinguer la bonne de la mauvaise herbe et à éliminer la seconde grâce à l’agriculture de précision. Selon les développeurs de ces matériels, ces nouvelles machines recourant à l’IA pourraient remplacer le travail de plusieurs dizaines de personnes suivant la taille de l’engin.

Plusieurs principes de destruction arrivent sur le marché, tous basés sur l’intelligence artificielle.

Pourriez-vous nous donner des exemples ?

Carbon Robotics (fabriquant venant des États-Unis) commercialise une première machine baptisée LaserWeeder qui détruit la mauvaise herbe avec un rayon laser. Celui-ci brûle le cœur de l’adventice, encore au stade cotylédonaire, et est impressionnant par sa précision… mais aussi par son prix !

Le LaserWeeder a historiquement été conçu pour les plaines de Californie où un grand nombre de cultures sont désherbées et ce, quasi pendant toute l’année. Ce travail annuel permet de l’amortir rapidement et la rentabilise malgré son prix très élevé.

En France, deux producteurs de carottes dans les Landes utilisent déjà un LaserWeeder. Ils sèment de la carotte pendant six mois, désherbent pendant huit. Ils estiment que cette machine est rentable dans leurs conditions. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans notre Hesbaye où la « fenêtre de tir » est trop courte et où le marché existant concerne davantage des matériels de plus petite taille. C’est la raison pour laquelle Carbon Robotics tente de concevoir du matériel plus petit, dans l’espoir de le retrouver dans nos campagnes, adapté à nos conditions de travail.

La société Escarda Technologies (Allemagne) arrive aussi sur le marché avec un équipement fonctionnant avec un laser qui pourrait mieux correspondre à notre contexte.

Aux Pays-Bas, Andela développe une machine qui détruit les adventices avec un arc électrique sur un bras articulé. Cette nouveauté possède un bon rendement de chantier et serait vendue à la moitié du prix des systèmes laser. Pour l’instant, ils ont développé les algorithmes de reconnaissance des adventices pour cinq cultures, mais peuvent en programmer d’autres si des utilisateurs s’y intéressent.

Ecorobotix utilise la même technologie avec l’intelligence artificielle pour reconnaître les mauvaises herbes. Néanmoins, il les détruit par pulvérisation ce qui est interdit en bio même s’il s’agit de produits de biocontrôle. Peut-être à l’avenir ?

Que pensez-vous des robots de désherbage ?

Les robots ne m’ont jamais botté… Je n’ai personnellement pas assez de confiance pour déléguer à un automate des cultures de légumes à haute valeur ajoutée. À ce jour, aucun d’entre eux ne nettoie dans la ligne avec précision. De plus, l’agriculteur doit toujours être disponible au cas où un problème est détecté par une alarme sur son smartphone. Dans ce cas, j’estime qu’il vaut mieux piloter le tracteur directement et contrôler le travail.

Puis, le rendement de chantier des robots ne permet pas d’intervenir assez rapidement : quand la fenêtre d’intervention est là, il faut y aller et finir tout en deux à trois jours, ce que je pense n’est pas possible avec type d’outil.

Pourriez-vous tirer un petit bilan ?

Nous avons quand même bien progressé en vingt ans en partant du binage manuel, en arrivant aujourd’hui au guidage automatique par RTK et caméra. Ces progrès ont permis à l’agriculture bio de se développer en grandes cultures. Sans cela nous en serions toujours au binage à la main et à la reconnaissance à l’œil. Nous arrivons aujourd’hui à biner même nos céréales semées à 18 cm entre rangs avec une bineuse spécifique équipée de caméras avec un rendement de chantier d’un hectare à l’heure.

Lors du binage, avec le guidage piloté par le signal  de correction RTK, une précision de 3 cm de chaque côté de la ligne est obtenue. Par caméra, c’est  encore plus précis pour atteindre 1,5 cm.
Lors du binage, avec le guidage piloté par le signal de correction RTK, une précision de 3 cm de chaque côté de la ligne est obtenue. Par caméra, c’est encore plus précis pour atteindre 1,5 cm.

La destruction mécanisée des adventices sur la ligne reste un sujet que je suis de près dans le Ceta Bio dont j’ai été l’initiateur. Notre souci est de ne pas se tromper de solution, vu les budgets en jeu. Comme on dit en agriculture, il ne faut pas se tromper de cheval. Je suis convaincu que tôt ou tard ce type d’équipement arrivera chez nous, quand l’évolution technologique et une demande suffisante permettront de faire baisser les prix et de rentabiliser ces solutions de désherbage « high tech » dans nos conditions.

Pour amortir cette technique, il faut soit une exploitation qui ait une taille critique, soit mutualiser nos investissements de matériel et/ou se faire aider par des aides à l’investissement proposées par la Région wallonne, pour autant que ces matériels répondent aux critères d’éligibilité qui évoluent en fonction des attentes de l’agriculture d’aujourd’hui et de la politique. Les bineuses pilotées par caméra sont reprises dans la liste des matériels subsidiables, mais pas encore les bineuses sur la ligne au laser. Espérons que cette nouvelle technique puisse être admise et soutenue ce qui permettra de réduire l’utilisation considérable de main-d’œuvre et peut-être à l’avenir des produits phytosanitaires dont on parle tous les jours.

Votre conclusion ?

La technologie évolue rapidement, on arrivera un jour à une solution de désherbage sur la ligne avec du matériel fiable dont le prix de revient est accessible, et avec un constructeur qui tient la route.

Il faut un marché avec un nombre suffisant d’acheteurs pour que le prix du matériel baisse. Dans notre région les « bio » ne sont pas assez nombreux pour faire un marché, il faudra donc que ces matériels intéressent aussi les producteurs en grandes cultures.

J’espère voir très prochainement quelques bineuses au laser au travail en Wallonie. Et qui sait, avec la problématique des produits phytosanitaires, on pourrait imaginer de désherber dans 10 ans en grandes cultures sans pulvérisateur mais avec une bineuse pilotée par l’intelligence artificielle… »

Maurice Malpas

WalDigiFarm

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