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Evolution de l’agriculture en Hainaut et de la fertilité des terres sur 30 ans: la gestion «en bon père de famille» reste d’actualité!

Après 35 ans de carrière à la direction des services agricoles provinciaux et du Carah, Michel Van Koninckxloo livre les éléments clés du bilan qui vient d’être publié sur 30 ans d’évolution de l’agriculture en province de Hainaut. « Celle-ci a su s’adapter et saisit aujourd’hui des opportunités pour se développer de manière raisonnée et même, dans certains cas, se tourne vers une agriculture plus familiale et biologique. »

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«  L’agriculture fait l’objet de critiques parfois un peu faciles. Le problème de l’alimentation, de la malbouffe est associé systématiquement à l’agriculture, de manière globale, toutes activités confondues. Et les critiques portent sur les modes de production, sans aucune nuance, sans faire la moindre distinction entre l’agriculture telle qu’elle se pratique en Amérique du Nord, du Sud, en Indonésie, en Chine… et dans notre pays, en Wallonie et plus spécifiquement et localement en Hainaut », observe en préambule l’orateur du jour.

«Ce bilan sur trente ans tranche radicalement avec une vision souvent très négative et erronée de l’agriculture, secteur essentiel au bien-être quotidien de la société», remarque Michel Van Koninckxloo.
«Ce bilan sur trente ans tranche radicalement avec une vision souvent très négative et erronée de l’agriculture, secteur essentiel au bien-être quotidien de la société», remarque Michel Van Koninckxloo. - M. de N.

La réalisation de ce rapport sur 30 ans d’évolution de l’agriculture en Hainaut et de la fertilité des sols agricoles « vise à montrer qu’il faut s’extraire des idées simples et faire des constats objectifs sur la réalité de la situation à l’échelle locale ». Pour objectiver les faits, le document s’appuie sur l’analyse de 1,8 million de données recueillies notamment par le Centre pour l’agronomie et l’agro-industrie de la province du Hainaut (Carah) dans le cadre de ses missions auprès des agriculteurs.

Pourquoi décrire une situation sur la base de 30 années d’observation ? Parce que c’est le temps nécessaire pour établir l’évolution de phénomènes extrêmement lents comme la désertification des sols, la hausse ou la baisse des teneurs en minéraux ou en matières organiques des sols…

Le décryptage de ces centaines de milliers de données est une manière d’apporter des réponses claires et objectives aux nombreuses questions que se posent les citoyens qui, souvent, évoquent davantage les effets néfastes de l’agriculture sur l’environnement que l’apport essentiel des professionnels de ce secteur au bien-être quotidien de la société.

Moins de fermes, mais d’une taille plus grande

Après avoir atteint un pic vers les années 2000, le nombre de fermes affiliées au service de comptabilité de gestion du Carah est en diminution, suivant en cela l’évolution du nombre d’exploitations total tant à l’échelle du pays, que de la région wallonne et de la province hainuyère. Entre 1987 et 2017, ce nombre a reculé de 67 % en Hainaut, glissant de quelque 9.500 exploitations à moins de 3.950.

Parallèlement, la superficie moyenne des fermes n’a cessé de croître au cours de cette même période, de 25 ha à 53 ha en Hainaut (et même de 40 à 80 ha pour les fermes affiliées aux services du Carah).

Plus largement, aux niveaux du pays, de la région et de la province, on observe que la surface agricole utile a légèrement diminué au cours de ces 30 dernières années, en lien en partie avec l’extension de l’habitat et des parcs industriels.

La main-d’œuvre présente dans les fermes n’ayant pratiquement pas évolué au cours de cette période, la charge de travail s’est considérablement accrue. D’où de gros investissements pour racheter des terres, améliorer les infrastructures et acquérir des équipements.

Entre 1987 et 2017, le nombre des exploitations a fondu, mais leur taille moyenne a nettement progressé. Les effectifs bovins ont reculé en chiffres absolus, mais on dénombre davantage de têtes de bétail par ferme.
Entre 1987 et 2017, le nombre des exploitations a fondu, mais leur taille moyenne a nettement progressé. Les effectifs bovins ont reculé en chiffres absolus, mais on dénombre davantage de têtes de bétail par ferme. - M. de N.

Concernant le cheptel, le nombre moyen de bovins détenus par les exploitations affiliées au Carah est passé de quelque 65 à 110 têtes entre 1987 et 2017. À l’échelle nationale, comme régionale et provinciale, les effectifs bovins ont régressé en chiffres absolus, mais on dénombre davantage de têtes de bétail par exploitation.

Diversifications en cours: bio, circuits courts, maraîchage…

Du côté des productions végétales, il y a 30 ans, l’assolement de l’exploitation agricole hainuyère moyenne se partageait essentiellement entre les céréales (50 %), les betteraves (25 %) et le maïs (22 %).

Aujourd’hui, la diversification est en marche : la forte réduction des superficies consacrées à la betterave a été compensée par l’accroissement spectaculaire de la culture de la pomme de terre. La sole céréalière reste stable, par contre les superficies dédiées à la culture des légumes augmentent régulièrement.

Une donnée importante apparaît clairement : pour l’ensemble de ces cultures, les exploitants veillent à utiliser les engrais et pesticides de manière de plus en plus parcimonieuse.

De nouvelles tendances s’observent également ces dernières années. L’apparition de ceintures alimentaires périurbaines, les pratiques de l’agriculture biologique et de la diversification agricole favorisant les circuits courts sont désormais une réalité quotidienne. D’autres dynamiques plus collaboratives se mettent aussi en place, tels les jardins collectifs ou les entreprises de réinsertion par le maraîchage.

La fertilité des sols ne montre aucun relâchement : un démenti cinglant à une critique récurrente !

Qu’en est-il de la désertification des sols agricoles, décrétée comme une vérité absolue dans certains milieux ? « Depuis les années ‘50, le laboratoire de pédologie du Carah mesure les indicateurs de fertilité dans les échantillons apportés par les agriculteurs.

«La matière organique humifiable étant aussi rare que précieuse pour maintenir la fertilité des terres cultivées, il convient prioritairement de la restituer aux champs. Leur usage à d’autres finalités (énergie, biométhanisation, construction) doit être mûrement réfléchi et quantifié», avertit également ce rapport.
«La matière organique humifiable étant aussi rare que précieuse pour maintenir la fertilité des terres cultivées, il convient prioritairement de la restituer aux champs. Leur usage à d’autres finalités (énergie, biométhanisation, construction) doit être mûrement réfléchi et quantifié», avertit également ce rapport. - M. de N.

Observons l’évolution des différents paramètres indicatifs de cette fertilité, au cours de la période 1987-2017.

L’acidité

« En prélevant des éléments minéraux dans le sol, les plantes libèrent des acides. L’acidification est un processus naturel », rappelle Michel Van Koninckxloo. En Hainaut comme en Wallonie, les valeurs moyennes du pH s’avèrent d’une très grande stabilité à travers les années (1987-2017) et très légèrement inférieures aux valeurs recommandées. La pratique du chaulage doit donc être maintenue, mais il n’existe aucune tendance à l’acidification des sols.

La fertilité chimique

Les sols hainuyers et wallons sont très riches en phosphore depuis les années ’60, à la suite d’apports abondants liés à un prix très intéressant à l’époque post-industrielle. En raison d’un risque d’eutrophisation des cours d’eau, comme pour l’azote, les laboratoires recommandent de modérer les apports en cet élément. En conséquence, depuis 2000, les teneurs sont à la baisse, mais encore largement au-dessus des valeurs conseillées.

Et la richesse en potassium ? L’analyse statistique des données disponibles montre pour la Wallonie et le Hainaut une grande stabilité des teneurs moyennes des terres arables, à des niveaux un peu supérieur aux recommandations, mais avec une grande variabilité des situations.

Quant au magnésium, dont les terres étaient carencées dans les années ’80, les teneurs sont désormais significativement en hausse, au point de dépasser depuis quelques années les valeurs seuils à la suite des efforts demandés au secteur agricole.

La fertilité biologique

La richesse des sols en matière organique est quantifiée au laboratoire par le dosage du carbone organique total dans l’horizon superficiel. Sur la période considérée, tant en Hainaut qu’en Wallonie, les teneurs en carbone total des terres arables s’avèrent stables et légèrement supérieures aux valeurs conseillées, avec une grande variabilité de situations. « C’est très positif et cela apporte un démenti aux affirmations fréquentes d’appauvrissement des sols. Cette stabilité à travers les années nécessite pour la maintenir dans le futur de continuer à incorporer dans le sol les résidus de cultures, de la matière organique… »

Par ailleurs, avec la restitution de résidus végétaux et autres engrais de ferme au sol, et le semis de cultures intermédiaires pièges à nitrate, l’évolution de la teneur moyenne en azote organique mesurée dans les analyses des terres arables s’avère positive et montre même une légère tendance à la hausse.

« C’est bénéfique puisque cela permet de modifier positivement le rapport entre les teneurs du sol en carbone organique total et en azote organique total. Ce rapport C/N donne une bonne information sur la qualité de l’humus présent dans le sol. Sa valeur doit être idéalement proche de 10. Elle était un peu plus élevée, mais petit à petit, avec une teneur en carbone stable et une légère hausse de la teneur en azote organique, les sols wallons tendent vers un C/N idéal signe d’un bon équilibre et d’un humus de bonne qualité.»

En conclusion, les indicateurs de fertilité des terres arables en Wallonie sont « au vert ». Les agriculteurs font globalement un usage parcimonieux des éléments fertilisants. L’assez grande variabilité autour des valeurs moyennes doit toutefois inciter les agriculteurs à faire analyser leurs terres tous les trois ans.

Comme le montre cette étude, l’usage des engrais et amendements pour les grandes cultures est loin d’être massif et inconsidéré en Wallonie. Les teneurs des terres arables en éléments minéraux essentiels pour la croissance et le développement des plantes sont globalement stables depuis trente ans.
Comme le montre cette étude, l’usage des engrais et amendements pour les grandes cultures est loin d’être massif et inconsidéré en Wallonie. Les teneurs des terres arables en éléments minéraux essentiels pour la croissance et le développement des plantes sont globalement stables depuis trente ans. - M. de N.

Bon à retenir

De manière synthétique et globale, ce rapport révèle que les agriculteurs wallons, et hainuyers en particulier, gèrent leur exploitation, leur patrimoine en bon père de famille. Les investissements indispensables sont consentis au prix d’efforts importants, l’assolement et les productions animales sont adaptés à l’évolution de la politique agricole commune et aux réalités économiques, les intrants des grandes cultures sont utilisés avec parcimonie, mais en maintenant quasiment stable la richesse des terres arables. Les itinéraires techniques suivent prudemment les progrès réalisés en matière de variétés et de protection phytosanitaire. Il reste toutefois aux agriculteurs hainuyers et wallons une belle marge de perfectionnement.

Le service Expérimentation agronomique du Carah met en comparaison chaque année des dizaines de variétés et produits de protection des plantes au service des agriculteurs hainuyers.
Le service Expérimentation agronomique du Carah met en comparaison chaque année des dizaines de variétés et produits de protection des plantes au service des agriculteurs hainuyers. - M. de N.

L’attrait des consommateurs pour les circuits courts et les modes de production alternatifs, telle l’agriculture biologique, offre de belles opportunités et des perspectives encourageantes pour les exploitations familiales qui se trouvent en périphérie urbaine et surtout pour les petites ex ploitations, encore nombreuses en Hainaut.

Plus d’informations

Les services agricoles provinciaux et le Centre pour l'agronomie et l'agro-industrie de la province du Hainaut mènent depuis 65 ans un travail d’encadrement sur le terrain considérable en faveur de l’agriculture hainuyère. Après 35 ans de carrière à la direction de ces services, avec le soutien des équipes et un ensemble de données chiffrées objectives issues dudit Carah et de Requasud, Michel Van Koninckxloo dresse un bilan de l’évolution de l’état de l’agriculture en province de Hainaut. Cette étude scientifique axée sur l’accompagnement des agriculteurs en matière d’économie rurale, de pédologie et de phytotechnie des grandes cultures propose une vision globale de l’évolution du secteur en trente ans. L’étude complète peut être consultée sur www.carah.be/2-non-categorise/251-30-ans-d-agriculture-en-hainaut.html.

Propos recueillis par M. de N

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