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Changement radical de cap: des cultures au maraîchage de plein air et bio, en 5ans

Agriculteur et maraîcher de plein air dans le village néerlandais d’Ooltgensplaat, sur l’île de Goeree-Overflakkee (sud de Rotterdam), Cornelis Mosselman affiche une personnalité innovante et progressiste. Âgé de 36 ans, il ambitionne de transformer sa ferme de grandes cultures « classique » en une des exploitations maraîchères de plein air les plus durables d’Europe d’ici 5 ans. Pour ce faire, il a entamé une conversion à l’agriculture bio et développe un parcellaire de cultures en bandes.

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Pour des raisons d’économies d’échelle, notamment, Cornelis Mosselman utilisait jusqu’il y a peu des machines agricoles toujours plus grandes et plus lourdes. Il faisait également usage d’engrais et de produits de protection des plantes de synthèse. L’homme a cependant fait face à divers problèmes de compaction des sols et rencontrait davantage de difficultés à travailler ses terres. Avec une triple conséquence : baisse de la qualité globale du sol, recul de la biodiversité et retard dans le développement des cultures.

« Poursuivre sur cette voie n’était pas envisageable, du moins sur le long terme. Le sol était détruit et épuisé, ce qui lui a fait perdre ses fonctions naturelles », explique-t-il. « Nous sommes responsables de la manière dont nous utilisons la Terre, nous en sommes les gardiens. C’est pourquoi mon « ancienne » manière de pratiquer l’agriculture ne me convenait plus du tout. »

Apprendre à penser à long terme

Cornelis estime que le secteur agricole européen doit revenir à l’essentiel : le sol. « C’est pourquoi je soutiens pleinement les plans de Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne en charge du Green Deal. Seulement, je me demande parfois s’il sait exactement de quoi il parle… » Toujours selon l’agriculteur, la transition ne doit pas être abordée n’importe comment.

« Il faut que quelque chose change dans la manière de penser des agriculteurs et maraîchers de plein air », poursuit-il. « Ils doivent apprendre à penser à long terme, et non à courtes échéances. Selon moi, 90 % de la production alimentaire est le fruit d’une réflexion à court terme… Mais les agriculteurs n’en sont pas responsables ; ils doivent composer avec ce qu’on leur impose. Ce que Timmermans veut, les agriculteurs européens peuvent le réaliser, mais cela demande également la pleine collaboration des diverses sphères qui travaillent autour du monde agricole. »

« Le déclic s’est fait lorsque j’ai eu des enfants »

Cornelis représente la septième génération d’agriculteurs de la famille Mosselman. Une fois ses études terminées, il a travaillé pour un entrepreneur, à Goeree-Overflakkee, puis a repris l’exploitation familiale, en 2006. Celle-ci combinait alors grandes cultures et élevage laitier. Ayant peu d’affinité pour cette seconde spéculation et ne disposant pas des moyens financiers pour la développer, il a décidé de se concentrer uniquement sur le volet cultural.

Avec un collègue, le jeune agriculteur cultivait 150 ha de terre, dont une partie a été échangée avec des éleveurs voisins. Sur l’exploitation, on retrouvait 45 ha de pommes de terre (production de plants et pommes de terre de consommation) et 25 ha d’oignons et échalotes. S’y ajoutaient betterave sucrière, blé, maïs et chicon. « C’est mon ancienne vie, c’est vraiment comme cela que je le vois aujourd’hui », se souvient-il.

À l’automne 2018, Cornelis Mosselman a commencé à réfléchir à la possibilité de se lancer dans les cultures en bandes, afin de travailler dans un écosystème encore plus diversifié. Cette année, il a débuté un test à grande échelle, sur 15
ha.
À l’automne 2018, Cornelis Mosselman a commencé à réfléchir à la possibilité de se lancer dans les cultures en bandes, afin de travailler dans un écosystème encore plus diversifié. Cette année, il a débuté un test à grande échelle, sur 15 ha. - DvD

Les premières années qui ont suivi son installation, Cornelis a travaillé dur, dans la lignée de ce qui se pratiquait sur la ferme. « Le déclic, l’envie de changer, s’est fait lorsque j’ai eu des enfants et que j’ai commencé à penser à ma succession », explique-t-il. « Mes revenus n’évoluaient plus alors que la qualité du sol se détériorait d’année en année. En même temps, de nombreuses mesures, prises par l’Europe et le gouvernement néerlandais, tiraient les prix de revient à la hausse. »

Fin 2017, l’agriculteur a résolument décidé de changer de cap, avec le soutien de sa femme. Dans un premier temps, il a rejoint le réseau de connaissances et d’innovations alimentaires « Zuid-Holland Voedselfamilies ». Il a ensuite étendu son réseau professionnel et, en 2018, a débuté la conversion de ses parcelles à l’agriculture biologique. Cette année, 2 parcelles sur 7 sont bio et trois autres le seront l’an prochain. Sa conversion sera achevée en 2022, pour la cinquantaine d’hectares que possède aujourd’hui la famille.

Pas sans difficultés financières

Les terres en question se trouvent juste derrière la digue du Volkerak, une étendue d’eau douce située au sud de l’île. Elles se composent principalement de sols lourds, et leur prix est très élevé (entre 8 et 12 €/m²). «Je n’ai aucun problème avec les terres plus lourdes, car la pression en nématodes et adventices y est réduite ». La totalité des 50 ha a été à nouveau drainée au cours des trois dernières années.

Le passage au bio entraîne des pertes financières que Cornelis estime, sur les cinq années nécessaires pour convertir l’entièreté de son exploitation, pouvoir atteindre jusqu’à 4.000 €/ha par rapport au plan financier établi. Et ce, sans inclure la mécanisation. Le remplacement des machines actuelles, nécessaires pour pratiquer l’agriculture bio mais aussi pour travailler en voies fixes, un mode de culture qu’il a adopté au printemps 2019, lui coûterait plusieurs centaines de milliers d’euros. « Et je peux vous dire que même si je suis convaincu que c’était nécessaire, il m’a fallu un certain temps pour passer d’un tracteur 6 cylindres au 4 cylindres du Claas Arion 550 avec écartement de voies de 3,20 m que l’on utilise actuellement. »

En outre, le travail préalablement réalisé par un tiers doit maintenant être effectué en interne, car son système de cultures n’est pas adapté aux machines d’un entrepreneur agricole.

Afin de financer cette transition, la famille Mosselman a cédé, en 2010, 21 ha de terres dont elle était propriétaire et locataire. « C’étaient de très bonnes terres, situées à Den Bommel (côte nord de Goeree-Overflakkee), mais nous avons choisi de nous en séparer pour disposer des ressources financières nécessaires. » De cette manière, elle a pu acquérir la pleine propriété de la majorité des 53 ha de terres sur lesquels s’étend actuellement à la ferme.

La ferme de la famille Mosselman se situe sur l’île de Goeree-Overflakkee, au sud  de Rotterdam. Elle s’étend sur une cinquantaine d’hectares bio ou en cours de conversion.
La ferme de la famille Mosselman se situe sur l’île de Goeree-Overflakkee, au sud de Rotterdam. Elle s’étend sur une cinquantaine d’hectares bio ou en cours de conversion.

« Jusqu’à présent, environ 70.000 € d’aides et subsides m’ont également été octroyés, dont 20.000 € pour le matériel et les machines. Le solde est destiné au frais de conseil, de suivi, de formation… » Cornelis souligne également qu’il a reçu sa plus grande subvention de la municipalité de Goeree-Overflakkee.

Pas question, au contraire, de frapper aux portes des banques. « Elles me considèrent comme étant à risques, vu le changement radical de cap effectué et les nombreux essais en cours sur la ferme. Heureusement, j’ai trouvé un investisseur qui me donne la marge de manœuvre financière nécessaire pour mener à bien nos projets. Mais cela ne change rien au fait que l’obtention d’un statut financier sain sera un défi majeur dans les années à venir. D’autant que je vais fournir des services à la société pour lesquels aucune rémunération n’est prévue. »

Prendre soin du sol et de la biodiversité

Parmi les essais en question, figurent notamment la circulation sur voies fixes ou encore la mise en place d’une forêt nourricière.

À l’automne 2018, Cornelis a commencé à réfléchir à la possibilité de se lancer dans la culture en bandes, afin de travailler dans un écosystème encore plus diversifié. Avec ce principe, chaque culture occupe une bande de 3 m, ce qui permet le passage du tracteur (3,20 m) sur les voies fixes bordant les bandes (lire ci-dessous), et chaque bande est emblavée différemment. Par exemple, sept bandes adjacentes, séparées chacune par les voies de passage du tracteur, sont occupées par sept cultures différentes. « Cette année, j’ai testé cela pour la première fois, sur 15 ha. C’est un essai à grande échelle ! »

Une zone de 2 ha a ainsi été implantée de choux blanc et rouge, potirons, oignons, carottes, panais, chicon, graminées et trèfles, pommes de terre à frites (variété Agria) et pommes de terre de conservation (variété Vitabella). « Je suis curieux de voir comment les Agria vont se comporter vis-à-vis du mildiou, sans traitement phytosanitaire et dans cette nouvelle configuration. »

Depuis cette saison, l’agriculteur et maraîcher est également membre du Nationale Proeftuin Precisielandbouw (Laboratoire national de l’agriculture de précision). Au printemps 2019, il est passé au système des voies fixes sur ces parcelles. Ainsi, les engins agricoles circulent toujours aux mêmes endroits, dans les mêmes voies. En conséquence, seuls 10 % des terres sont encore en contact avec les pneus des engins.

Le passage à l’agriculture en planches et à voies fixes a nécessité le remplacement  du matériel de la ferme. C’est ainsi que Cornelis Mosselman a acquis  un tracteur Claas Arion 550 d’une largeur de voie de 3,20 m.
Le passage à l’agriculture en planches et à voies fixes a nécessité le remplacement du matériel de la ferme. C’est ainsi que Cornelis Mosselman a acquis un tracteur Claas Arion 550 d’une largeur de voie de 3,20 m. - DvD

« Le sol sur lequel on ne circule plus est en bien meilleur état que précédemment. Je suis très enthousiaste à ce sujet. Je n’utilise plus aucun produit chimique et je ne laboure plus. » Toujours au sujet du sol, l’agriculteur essaye qu’il soit aussi couvert que possible, tout au long de l’année. Différents engrais verts (phacélie, trèfles…) sont semés pour couvrir les sols et empêcher le développement des adventices. « Nous essayons aussi de transformer les flux résiduels d’une réserve naturelle toute proche en engrais de haute qualité par le biais de la fermentation. C’est ce que l’on appelle la méthode Bokashi. Et ce Bokashi est l’engrais que j’utilise le plus en ce moment. »

Via « Zuid-Holland Voedselfamilies », l’agriculteur a aussi développé ses connaissances en matière de permaculture et forêts nourricières, des parcelles établies selon le modèle de la forêt naturelle et comportant différents étages de végétations tels de grands arbres, des arbustes ou arbrisseaux, des buissons et des plantes herbacées. « Cette année, des étudiants de l’Université de Wageningen vont installer une parcelle de ce type. Au total, aux environs de mon exploitation, 4 ha vont accueillir le projet. »

Des produits abordables

Cornelis a déjà planifié ses ventes, mais seulement en partie. En raison des volumes produits, il compte se concentrer uniquement sur le commerce de détail. Actuellement, la plupart des récoltes sont entreposées dans un hangar, chez un agriculteur voisin, mais il est prévu d’investir dans un hangar de stockage avec espace de conditionnement.

« Nous voulons être en mesure de fournir des produits abordables. Mais quand je dis abordables, ce n’est pas uniquement pour le roi. » L’homme fait toutefois face à décalage en termes de volumes de production. Ceux-ci son trop importants pour travailler en circuit court, mais trop faibles pour collaborer avec la grande distribution. « Pourquoi ne pas mettre en place un service de livraison à domicile, via des boutiques en ligne ? », imagine-t-il.

Et d’ajouter : « Le problème, aujourd’hui, est que le lien entre le producteur et le consommateur n’existe plus. Lorsque je fais pousser différentes cultures, je veux privilégier uniquement la qualité, le goût et la durée de conservation ». Voilà qui devrait séduire le consommateur et recréer ce lien !

D’après Dick van Doorn

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