L’Auto-suffisance alimentaire en élevage: plus pertinent de la réfléchir à l’échelle des régions qu’au niveau de son exploitation
Le 4 décembre dernier se tenait dans le cadre de l’Agr-e-Sommet, une journée de conférences en ligne dédiée à la nutrition des animaux d’élevage. L’occasion pour Yves Beckers, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech – Liège Université d’aborder, notamment, les enjeux et perspectives de l’auto-suffisance alimentaire en élevage

Bien que cela n’ait pas toujours été le cas, l’autonomie alimentaire dans les élevages est un sujet d’actualité très travaillé. Les raisons ? La situation économique dans les élevages est bien évidemment l’un d’entre elles mais d’autres motivations tirent les éleveurs vers l’avant.
La question n’est pas d’être totalement autonome ou ne pas l’être du tout. Les élevages de ruminants le seraient en moyenne à 80 % dans notre région. Toutefois, elle reste variable selon la région agricole, les catégories animales mais également d’une exploitation à l’autre. « Il convient justement de cultiver cette variabilité », note Yves Beckers.
Un simple automatisme pour maintenir le revenu ?
« La légitimité des motivations liée à l’autonomie alimentaire est variable selon les exploitations, elle devrait donc être évaluée au cas par cas. Ce n’est pas un seul et même objectif qui est conféré à toutes les exploitations wallonnes. Le penser serait se tromper. On en oublierait alors les fondamentaux ! »
Parmi les motivations, l’orateur en épingle plusieurs. Si elles peuvent être en effet d’ordre agronomique, zootechechnique ou encore personnelles… l’aspect économique reste prépondérant. En effet, l’approvisionnement en matières premières est le talon d’Achille des productions animales. « Les frais d’alimentation rapportés au niveau de production restent relativement importants. Parce que le cours des matières premières est élevé et il le restera probablement à l’échelle globale. »
Il est clair que certains se penchent sur la question de l’autonomie fourragère pour réduire les frais alimentaires. Yves Beckers s’interroge : « Est-ce un simple automatisme pour maintenir le revenu ? » C’est en tout cas une question qui doit être réfléchie au niveau des exploitations.
Et de revenir aux fondamentaux : le revenu agricole n’est autre que les recettes auxquelles sont déduites les charges liées aux activités de l’exploitation.
Les recettes étant issues de la vente de produits ainsi que des revenus pac, la question est de savoir si l’agriculteur a une quelconque maîtrise sur les prix unitaires et les quantités produites. « Le secteur n’a que peu de maîtrise sur les prix en général, il en a a priori davantage en ce qui concerne les quantités. Quid à moyen et long terme avec des épisodes de sécheresse répétés ? »
En ce qui concerne les charges, nombreux sont les facteurs à rémunérer pour pratiquer une activité agricole dans nos régions et l’alimentation est un poste d’importance. Selon la DAEA, c’est même le poste le plus élevé en élevage bovin. Mais ce n’est pas le seul… et d’insister : « Si vous devez travailler sur le revenu de votre exploitation, ne foncez pas tête baissée sur les frais alimentaires. »
Réduire la facture alimentaire
Et de s’intéresser à l’assiette des bovins. Elle est composée pour grande partie des produits de la prairie, les aliments achetés en représentent en moyenne 10 à 20 %.
« Si les fourrages sont autant mis en avant, c’est avant tout une conséquence de la surface agricole utile (sau) wallonne. Près d’1ha sur 2 n’est autre que de la prairie. Celle-ci reste le terrain favorable pour l’élevage de ruminants. »
« Si l’autonomie alimentaire est fortement interrogée et retravaillée chez les ruminants, c’est parce qu’il y a raison de le faire. Nous avons en Wallonie un système très lié au sol, donc très lié à la prairie. C’est un cycle long. Les indicateurs nous permettent d’ailleurs de qualifier nos systèmes de ruminants dans nos régions de bons à très bons ! », précise encore M. Beckers.
Chez les volailles et les porcs, c’est une question nettement moins posée, les cycles étant plus courts et systèmes de productions moins liés au sol.
Il est donc possible de réduire la facture alimentaire, mais ce n’est pas le seul moyen de générer du revenu.
Connaître ses coûts
Quand on travaille sa facture alimentaire, la première chose à faire, compte tenu de l’importance des fourrages pour l’alimentation des ruminants, c’est tout logiquement s’interroger sur le coût de ceux-ci. « Est-il connu ? On connaît davantage les coûts de son maïs que de son herbe. Toutefois, ce n’est pas impossible de le calculer. Nous sommes en 2020 et d’autres fourrages peuvent être produits ! »
Autre réflexe que l’on peut observer en ferme : la réduction du facturier, notamment par l’achat d’aliments, comme les concentrés. « On se concentre aussi sur les coproduits. On l’oublie souvent mais ceux-ci vont enrichir la ration en hydrate de carbone de structure (cellulose) et en protéines, par contre l’amidon et les sucres en ont généralement été extraits, ce qui peut mener à des écarts de production. »
Il poursuit : « Les aliments achetés peuvent venir complété des fourrages qui ne sont pas suffisants, en quantités et en qualité. La sécheresse est certainement un élément qui vient s’ajouter à la difficulté du travail. La météo, qui devient capricieuse, pose de nombreuses questions. Les itinéraires techniques sont aussi à questionner. Ils peuvent subir des accidents, mais ils sont parfois aussi le résultat d’erreurs de stratégies ».
Les aliments extérieurs peuvent aussi diversifier les rations. Minéraux et vitamines y sont essentiels. Ces aliments fonctionnels sont pourtant difficiles à produire à l’échelle d’une exploitation.
Une autonomie ? Oui, mais à quelle échelle ?
« Tout système productif demande que l’on réalimente son sol : soit par le biais des déjections animales, soit via les imports, sous forme d’engrais. Et dans ce cas, je suis persuadé que l’animal est un élément clé dans les flux des nutriments ! C’est un élément qui peut aider à boucler les cycles biogéochimiques, notamment via les aliments exogènes à l’exploitation. C’est un aspect que l’on oublie quand on parle d’autonomie et d’auto-suffisance alimentaire. »
Il va plus loin : « La fertilisation peut se raisonner à l’échelle d’une parcelle, d’une exploitation ou d’une région. Dans le premier cas on redistribue au sol ce qui est nécessaire pour produire ce qui va être exporté. »
Dans le second, le système polyculture-élevage permet de faire « tourner » les éléments en vase clos sur l’exploitation et sa SAU. « Ce n’est malheureusement pas le système dominant chez nous, ce qui signifie que les différents secteurs doivent dialoguer, collaborer pour faire tourner les éléments localement. »
Enfin, la fertilisation à l’échelle d’une région demande de faire cohabiter des activités strictement végétales avec d’autres strictement animales. « Les régions doivent pouvoir communiquer entre elles au vu de leurs spécialisations et les faire participer entre elles à ces échanges de nutriments. »
Et de conclure : « L’autonomie est importante. Ce n’est pas le seul facteur qui va régler les problèmes de revenu mais il peut y participer. Au moment d’y réfléchir, ne soyez pas trop simplistes, ce n’est pas uniquement le facturier qu’il faut diminuer… il y a certainement d’autres voies à explorer ! »