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Je panse, donc j’agis

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Cette semaine, le hasard m’a joué un bon tour, du genre clin d’œil à la fois ironique et tragique. Une missive de la Croix-Rouge s’était glissée dans le Sillon, en page 21, en haut de laquelle un titre sautait aux yeux : «  Matières premières : les cours fléchissent sous le poids de l’offre ».Laissant la lettre de côté, j’ai parcouru rapidement l’article, puis j’ai repris ma lecture en page 2, où le « Céréales Killer » de Manou de Warneton disait tout le désarroi et la désillusion des céréaliers belges, pris en otage par les marchés mondiaux, écartelés par leurs coûts de production, désenchantés par la perte de valeur du blé, un or blond réduit à la vile fonction de matière première industrielle.

Pfft ! Pas de quoi remonter le moral des troupes, tout ça ! J’ai ouvert l’enveloppe de la Croix-Rouge, sans doute une piqûre de rappel pour donner mon sang ? Bizarre, j’y suis allé voici un mois… Il s’agissait en fait de tout autre chose. Un logo surprenant accrochait le regard : « J’ai faim », sur lequel était collé un sparadrap, pour l’opération «  Je panse, donc j’agis ». Je vous donne un petit extrait du texte explicatif : « Le Soudan du sud, la Somalie, le Nigeria et le Yémen sont frappés par une crise alimentaire. 20 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont menacés de mort, par manque de nourriture. (…) La sécheresse et les conflits armés sont à l’origine de cette situation dramatique. Cette crise est la pire catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre Mondiale  ! ».

En dehors du très sobre logo, la lettre ne comptait nulle photo de femmes et d’enfants effroyablement maigres, du style « SOS Faim ». Nul misérabilisme, pour secouer nos consciences d’Européens (trop) bien nourris ! Le poids des mots sans le choc des photos… Et ces mots-là m’ont choqué d’avoir lu, le moment d’avant, ces deux articles du Sillon, où l’on parlait de « récoltes abondantes », de «  stocks élevés » , de « concurrence vive entre les exportateurs de blé », et cette question dans Voix de la Terre : «  Qui veut la mort du céréalier ? ».

Le monde croule, paraît-il, sous des excédents de céréales. Dans notre gentille petite Belgique pharisienne, peuplée de braves gens pétris de bons sentiments, on jette chaque semaine deux millions de pains ! Et pourtant, des gens ont faim, en Afrique et ailleurs… Pas une petite fringale, un jeûne temporaire ou un régime Slim Fast pour perdre du poids, non, une épouvantable famine dont les victimes souffrent et meurent atrocement, un désastre que la Croix-Rouge dénomme pudiquement «  crise alimentaire »  ! Ce paradoxe effarant, scandaleux, ce grand écart innommable, devrait donner la nausée à tout être humain digne de ce nom. Comment peut-on vivre l’âme en paix, sachant qu’il suffirait d’affréter quelques navires, d’organiser une opération humanitaire, pour sauver la vie et rendre la dignité à des millions d’innocents ? Nos pays riches trouvent facilement de l’argent pour faire la guerre, à 25.000 € la bombe (dépêchez-vous, ma bonne dame, les prix augmentent sans arrêt, et pour dix bombes achetées, vous aurez la onzième gratuite !), mais pour solutionner une partie de ces « crises alimentaires », des ONG comme la Croix-Rouge doivent faire appel à la charité des petites gens comme nous. Ce serait pourtant tellement simple : il suffirait de vider ces stocks « trop élevés » pour nourrir les affamés. Les deux crises seraient résolues d’un coup d’un seul, céréalière et alimentaire !

J’en conviens, je raisonne comme un enfant de dix ans. Dans la vraie vie, mon petit gars, les choses ne se passent pas ainsi, et sont éminemment plus complexes ! Des contingences pratiques, politiques et financières, entrent en jeu et enferment l’aide humanitaire dans un cadre très strict. C’est à pleurer d’impuissance et de honte ! Et puis, que pèsent 20 millions de miséreux, petits paysans pour la plupart, qui de toute façon ne pourront pas payer leur farine de blé, de riz ou de maïs, face aux enjeux commerciaux des grands marchés céréaliers, ces hydres impitoyables et carnassières qui rançonnent nos paysans sans le moindre état d’âme !

Que la Croix-Rouge se rassure : penser et agir, nous ne faisons que ça ! Panser aussi : nos plaies, vaille que vaille, et celles des autres en donnant quelques euros… N’oublions pas nos frères africains !

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