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Au mieux que ça te goûte…

… au plus que ça te coûte ! C’est l’adage sans ambages du consommateur, le blues du mec qui n’a pas de flouze, tiraillé entre la tyrannie diabolique de ses papilles et la gestion étriquée de son portefeuille. L’industrie agro-alimentaire a résolu l’équation, en lui infligeant la tri-thérapie de la malbouffe bon marché : graisse, sucre et sel, trois ingrédients de base auxquels on l’a rendu accroc ! S’y ajoutent force édulcorants et exhausteurs de goût, qui cachent la misérable saveur de la plupart des matières premières agricoles, produites aujourd’hui par la « grosse culture », en quantité… industrielle !

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… au plus que ça te coûte ! C’est l’adage sans ambages du consommateur, le blues du mec qui n’a pas de flouze, tiraillé entre la tyrannie diabolique de ses papilles et la gestion étriquée de son portefeuille. L’industrie agro-alimentaire a résolu l’équation, en lui infligeant la tri-thérapie de la malbouffe bon marché : graisse, sucre et sel, trois ingrédients de base auxquels on l’a rendu accroc ! S’y ajoutent force édulcorants et exhausteurs de goût, qui cachent la misérable saveur de la plupart des matières premières agricoles, produites aujourd’hui par la « grosse culture », en quantité… industrielle !

Beaucoup de gens s’en plaignent : e pain n’a plus le bon goût d’autrefois, il vous tombe comme une pierre dans l’estomac. Les pommes de terre se ressemblent toutes : une fois dans l’assiette, disparue la douceur de noisette de certaines variétés ! Même chose pour les légumes, – carottes, petits pois, haricots, laitues… –, et les fruits, – pommes, poires, bananes, tomates… Mais où sont les fèves d’antan ? Manger n’est plus un vrai plaisir, digérer l’est encore moins. Car bonheur des papilles et facilité de digestion sont liés ! Un bon aliment vous fait saliver, et vous le mâchez avec entrain, ce qui l’imprègne de sucs digestifs. Votre estomac s’en réjouit, puis votre foie et vos intestins sont à la fête ! Les microbes de votre flore intestinale s’en délectent et frétillent de délice, et comme le dit une publicité bien connue : «  Ce qui se passe à l’intérieur se voit à l’extérieur ! ».

Les rendements affolants d’aujourd’hui ont-ils « dilué » la saveur des aliments ? Enfants, quand nous triions les pommes de terre, il nous fallait éliminer les trop grosses patates, réputées sans goût, juste bonnes pour les cochons ou pour être cuisinées en frites, à la rigueur. Les plus petites étaient les meilleures, celles des variétés Sirtema, Climax, Cornes de Gattes, Plates de Florenville… Les Nicolas et les Bintjes donnaient de trop gros formats, et devenaient sucrées en hiver. En 2017, la grande culture de pommes de terre est devenue très pointue. Le marché actuel exige des produits bon marché, avec des exigences strictes : format des tubercules, qualités de cuisson et de conservation, contrats d’approvisionnements drastiques. La qualité gustative vient au second plan, car elle sera de toute façon corrigée par les sauces, graisses, sucre et sels. Ça ne rigole plus ! Fini de cultiver les « canadas » comme Papa ! Idem pour le froment et les autres grands classiques.

Les cultures modernes ont pris le dessus (elles ont la patate !) car elles augmentent les rendements pour un minimum de tracas. Les hybrides fabriqués en labo peuvent généralement se développer tout au long de l’année, s’adapter à différents sols et résister aux maladies, aux pesticides et à de longues périodes de réfrigération. Bien qu’il existe plus d’un million de variétés de céréales, légumineuses, fruits et légumes, catalogués dans les banques de semences européennes, seule une poignée d’entre eux se retrouvent dans les rayons des supermarchés. L’omnipotente industrie agro-alimentaire oblige les agriculteurs à privilégier des cultures commerciales tout au long de l’année. Ils obtempèrent, cultivent des plantes sans goût au moindre coût, juste pour tenir le coup.

Mais cette façon de travailler montre réellement ses limites ! La dramatique perte de saveur des aliments n’est qu’un avant-goût saumâtre du délabrement du système agro-industriel. Les sols en particulier, et les écosystèmes agraires en général, digèrent de plus en plus difficilement leur gavage en produits chimiques, puis leur pillage, imposés par l’agriculture moderne : disparition affolante de l’humus, fatigue et érosion, approvisionnement en eau. Ajoutez-y le changement climatique et l’évolution à moyen terme devient réellement incertaine : va-t-on vers la désertification et une pénurie en aliments ? Les agriculteurs-spécialistes travaillent le nez dans le guidon, assujettis à ces cultures uniques, qui les rendent particulièrement vulnérables, car la nature finit toujours par punir de disparition les espèces trop spécialisées…

L’idéal, dans un monde censé et responsable, serait de sortir de cette voie trop étroite, bordée de précipices, suicidaire et sans issue. Il suffirait de redécouvrir des cultures oubliées, des variétés délaissées, afin de récupérer les saveurs perdues depuis longtemps. Les leçons de l’agriculture traditionnelle révèlent comment la diversité agricole peut rendre la production alimentaire plus saine, plus savoureuse surtout (miam-miam !), et plus respectueuse de l’environnement.

Ces propos vous semblent sortis tout droit d’une bible écologiste ? En vieillissant, le diable-culto se fait écolo. Ces réflexions vagabondes me sont venues en mâchouillant tristement une tartine-margarine de pain blanc, qu’il m’a fallu noyer de confiture de fraise insipide, d’une marque bien connue pourtant. Décidément, tout fout le camp. Au plus que je la goûte, au moins que ça me goûte…

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