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Aux origines de Steyr, à travers cinq modèles emblématiques

Après une première tentative dans les années 30, c’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que Steyr se lance véritablement dans la production de tracteurs agricoles. Le constructeur fait rapidement de la robustesse et de la fiabilité de ses modèles sa carte de visite. En témoignent les exemplaires détenus par Jacques Latour, un collectionneur passionné par les marques germaniques, parmi d’autres.

Temps de lecture : 11 min

Lors du dernier salon Agritechnica qui s’est tenu à Hanovre en 2019, un tracteur était placé sous le feu des projecteurs : le Steyr Konzept. Celui-ci a suscité la curiosité des visiteurs avec son allure ultra-moderne et ses équipements de pointe. Et c’était bien là l’intention du constructeur : présenter un concept doté de technologies innovantes posant les jalons du tracteur de demain, avec notamment un dispositif hybride de traction électrique à variation continue ou encore un système hydraulique et une prise de force à commande électrique, sans oublier un design futuriste.

Dans la foulée de ce grand rendez-vous allemand, CNH Industrial, la maison-mère des marques New Holland, Case IH et Steyr, communiquait sa nouvelle stratégie et le repositionnement des tracteurs rouge et blanc dans sa gamme, en faisant de Steyr la marque « Premium » du groupe.

L’avenir semble donc sourire pour cette marque autrichienne qui célébrera l’année prochaine 75 ans de production de tracteurs. Monsieur Jacques Latour, collectionneur de tracteurs anciens, nous offre l’opportunité de retourner aux origines de la marque en nous ouvrant les portes de sa collection.

Des voitures, des camions et… des tracteurs

La société Steyr, née en 1864 dans la ville du même nom dans le nord de l’Autriche, se distingue initialement, mais encore aussi de nos jours, par la fabrication d’armes. À noter d’ailleurs que le sigle présent sur les capots des tracteurs et autres véhicules de la marque représente une cible de tir stylisée. Ces armes, dont la réputation n’est plus à faire, seront écoulées en grand nombre dans l’armée impériale, puis dans d’autres armées, mais aussi auprès de chasseurs ou de tireurs sportifs.

Par la suite, Steyr produit également des vélos avant de se lancer, dans les années 1920, dans la fabrication de véhicules à moteur, notamment des voitures et des camions. Une première tentative de construction d’un tracteur agricole a lieu dans les années 30 mais reste sans lendemain.

C’est en 1947, plus exactement le 29 septembre, que débute réellement l’aventure agricole de Steyr, avec la sortie du premier tracteur Steyr 180. L’année suivante, le constructeur propose quelques outils, comme une barre de coupe, adaptables sur ce tracteur.

Aujourd’hui, Steyr est divisée en plusieurs ensembles, l’un spécialisé dans la fabrication de tracteurs, un dans les armes à feu et un troisième poursuivant des collaborations avec différents constructeurs automobiles.

Un nouveau-né robuste, maniable et confortable

Le modèle 180 est doté du moteur diesel Steyr WD213 à deux cylindres à refroidissement liquide, développant initialement une puissance de 26 ch avant que celle-ci ne passe à 30 ch en 1950. La boîte de vitesses comporte cinq rapports vers l’avant, dont trois vitesses qualifiées de silencieuses, et une marche arrière. L’alimentation en carburant du moteur s’opère grâce à deux pompes d’injection distinctes de la marque Friedman & Maier.

M. Latour est installé au volant du Steyr 180 alors que son petit-fils chevauche le 80.  Sur leur gauche se trouvent les Steyr 180a, 185a et 280a.
M. Latour est installé au volant du Steyr 180 alors que son petit-fils chevauche le 80. Sur leur gauche se trouvent les Steyr 180a, 185a et 280a. - N.H.

Le constructeur annonce un rendement de 2,5 ha labourés sur 20 à 25 cm de profondeur en 10 heures. Durant ce travail, la consommation en carburant est de 3 l/h. Robuste, maniable et d’un confort accru grâce à son essieu avant monté sur double ressort pendulaire, le 180 jette les bases de la construction de tracteurs, notamment avec le montage de ces moteurs fiables de la série 13, et se vend bien, avec plus de 25.000 unités produites en à peine cinq ans.

Le Steyr 80 : le remplaçant des animaux de trait…

La collection de M. Latour recèle un 180 et renferme aussi les quatre autres modèles-phares, en un, deux, trois et quatre cylindres, qui figuraient au catalogue Steyr dans les années ’50 et au début des années ’60. Ces tracteurs ont permis au fabricant autrichien de se tailler une réputation très positive, tant sur le marché national qu’à l’exportation.

Le premier d’entre eux est le Steyr 80, dont la construction débute dès 1949. Doté du moteur Steyr WD113 (1 pour 1 cylindre et 13 en référence à la série « 13 » du moteur) diesel à quatre temps et refroidissement par eau, le 80 est équipé d’une boîte de vitesses à quatre rapports avant et une marche arrière. Sa puissance est de 13 ch, puis passe à 15 ch en 1953 par l’intermédiaire d’un accroissement du régime moteur (13 ch à 1.500 tr/min et 15 ch à 1.600 tr/min).

Ce modèle répond à une importante demande : à l’époque, il existe en effet en Autriche, mais aussi dans les pays voisins, une multitude de petites fermes à la recherche d’un tracteur léger, simple et fiable pour remplacer les animaux de trait. Le Steyr 80, à la ligne plus fine que le 180, répond parfaitement à ces critères. Il connaît un succès commercial particulièrement important : le 45.068ème et dernier exemplaire tombe ainsi des chaînes de montage en 1964.

… et un des premiers exemplaires acquis

Comme tous les tracteurs de la marque en sa possession, le Steyr 80 de M. Latour est en parfait état de fonctionnement. « Mais il a fallu quelques heures de travail pour y parvenir », signale-t-il. « Ce tracteur est un des tout premiers que je me suis procuré. Je devais avoir moins de 15 ans. Je l’ai acheté à un fermier du village voisin avec le moteur cassé ; il avait gelé. Je l’ai réparé mais j’ai ensuite dû me résoudre à le vendre. À l’époque, j’habitais chez mes parents et je n’y disposais pas de la place suffisante pour le conserver. »

« On dit souvent que l’histoire est un éternel recommencement. Ce tracteur n’a pas fait mentir cet adage puisque son nouveau propriétaire me l’a revendu en 1985… avec le moteur gelé, pour la seconde fois ! Je l’ai à nouveau réparé mais, malheureusement, l’opération n’a pas connu le même succès que la première fois. Je lui ai finalement greffé un bloc-moteur identique récupéré sur une épave, avant de lui ajouter une barre faucheuse et un relevage. Par la suite, j’ai pu acquérir d’autres modèles, mon intention étant si possible de rassembler les différents moteurs de la série 13, du monocylindre au quatre cylindres ».

Dans son jus et en parfait fonctionnement malgré deux casses du moteur dues au gel,  ce 80 s’est vu doté d’une barre faucheuse par M. Latour.
Dans son jus et en parfait fonctionnement malgré deux casses du moteur dues au gel, ce 80 s’est vu doté d’une barre faucheuse par M. Latour. - N.H.

À la question de savoir pourquoi M. Latour s’est intéressé à la marque Steyr, il répond : « Je ne suis pas fermé, je m’intéresse à tous les tracteurs. De multiples marques sont représentées dans ma collection, avec des tracteurs de toutes origines et de toutes tailles. Mais il est vrai que j’ai un faible pour les tracteurs germaniques. Initialement, je pensais constituer une collection Deutz mais je me suis vite ravisé tant le nombre de modèles du constructeur de Cologne est important. La marque Steyr m’est alors apparue être une belle alternative car certains concepts de construction sont proches et, selon moi, de qualité supérieure. Bien sûr, le nombre de modèles est plus limité mais le challenge n’en est pas moins intéressant car les anciens Steyr sont aussi plus difficiles à dénicher… ».

Ce Steyr 80 est équipé d’un relevage  et d’une prise de force.
Ce Steyr 80 est équipé d’un relevage et d’une prise de force. - N.H.

Un 180a au parcours forestier…

Autre tracteur présent chez M. Latour, le Steyr 180a est pourvu du moteur bicylindre Steyr WD213a. Avec sa cylindrée de 2.661 cm³, ce bloc délivre 33 ch à 1.600 tr/min. Le principe de construction monobloc du véhicule est identique à celui des autres modèles ; le moteur, la boîte de vitesses et le pont arrière formant un ensemble autoportant. La transmission dispose de six rapports avant et un rapport en marche arrière.

Présenté en 1953, le 180a est livré selon deux versions : le Standard dépourvu de relevage et le Super qui en est équipé. Il est à noter qu’une déclinaison surbaissée, dénommée N180a, est aussi disponible, conférant davantage de sécurité et de maniabilité et notamment destinée aux régions au relief accidenté. Au total, plus de 14.000 exemplaires seront fabriqués.

« Le Steyr 180a fait partie des rares tracteurs qui m’ont été donnés », commente M. Latour. « Il appartenait à un exploitant forestier que je connaissais bien et à qui il m’arrivait de rendre l’un ou l’autre service. Lorsqu’il prit sa pension à la fin des années 80, il me fit don de son Steyr pour qu’il puisse tenir compagnie à mon 80. »

Ce tracteur était dans un bon état mécanique mais, après une longue et rude carrière dans les bois, présentait inévitablement quelques dommages. « Les garde-boues, par exemple, étaient fortement abîmés. Je les ai remplacés après avoir prélevé et échangé ceux d’un autre tracteur que j’ai ensuite revendu. J’ai ensuite dû entreprendre un chantier plus important sur le relevage. Celui-ci ne fonctionnait plus et plusieurs composants tels que les chandelles et les bras de relevage avaient disparu. Le bloc relevage, la pompe à huile et les tuyauteries ont ainsi été remplacés et les pièces manquantes ont pu être progressivement rassemblées et mises en place. Quelques années auparavant, j’avais acheté une barre de coupe adaptable à un Steyr 180a. Je l’ai donc montée sur ce tracteur pour en compléter l’équipement ».

… rejoint par le 185a, le grand frère robuste

Un trois cylindres a ensuite rejoint ses petits frères, le 185a. Le moteur diesel Steyr WD313a procure 55 ch à 1.850 tr/min, ce qui fait de ce tracteur un véhicule adapté aux exploitations de taille moyenne à grande. Pour information, le 185a est, en 1958, le descendant du Steyr 185, tracteur trois cylindres de 45 ch lancé en 1955. La boîte de vitesses possède sept rapports en marche avant, dont une vitesse dite de fraisage de 2,63 km/h, et une marche arrière. Trois vitesses de fraisage supplémentaires sont proposées en option, la plus lente limitant la vitesse d’avancement à 0,66 km/h.

Toujours en équipement optionnel, le 185a peut recevoir une prise de force indépendante, le constructeur insistant sur l’importance de cet équipement lors de l’entraînement d’une moissonneuse-batteuse tractée. Steyr met également en avant les capacités en matière de force de traction et de charge remorquée de ce tracteur qualifié de robuste.

Le Steyr 185a développe 55 ch grâce à son moteur à 3 cylindres. A noter que cet exemplaire dispose d’une monte de pneumatiques de taille supérieure à celle d’origine.
Le Steyr 185a développe 55 ch grâce à son moteur à 3 cylindres. A noter que cet exemplaire dispose d’une monte de pneumatiques de taille supérieure à celle d’origine. - N.H.

Et ce n’est pas M. Latour qui contredira le constructeur : « Robuste, il l’est sans aucun doute. En témoigne l’état dans lequel j’ai acheté cet exemplaire qui a lui aussi fait carrière chez un exploitant forestier dans la région de Dinant. Hormis la résolution d’un souci au niveau du moteur, je n’ai rien eu à faire sur ce tracteur. Un cylindre posait problème. La cause se situait au niveau du joint de chemise qui ne remplissait plus correctement son rôle. Je l’ai remplacé et, depuis lors, le moteur tourne comme une horloge ».

Quand débarque le « Roi parmi les tracteurs »

Enfin, dernier modèle et non des moindres, le Steyr 280a vient couronner cette série de tracteurs. Et ce terme n’est pas usurpé, Steyr qualifiant cet engin de « Roi parmi les tracteurs » dans sa documentation commerciale. Il faut dire que ce tracteur à quatre cylindres produit à un peu plus de 2.000 unités n’est pas fréquent et est destiné aux plus grandes exploitations.

C’est en 1952 que débute la production de tracteurs dotés du moteur Steyr WD413, en l’occurrence avec le modèle 280 de 60 ch. L’évolution de ce dernier donne naissance en 1958 au 280a, dont la puissance a été portée à 68 ch. La transmission du 280a comporte ici aussi sept rapports vers l’avant et une marche arrière. Bien que l’équipement du tracteur prévoie un relevage hydraulique, des photos issues des prospectus montrent un 280a avec une plateforme arrière sans relevage. Une prise de force indépendante et des jeux de masses de lestage peuvent être fournis sur demande.

Les Steyr 280a ne courent pas les rues et la découverte de l’un d’entre eux tient parfois à peu de chose, comme le confirme Jacques Latour : « J’ai longtemps cherché un modèle pourvu de ce moteur 413, en vain. Comme souvent, c’est quand on ne cherche plus que l’on trouve… Ce jour-là, nous devions passer une journée à la mer en famille. Nous sommes partis de bon matin et, après une petite heure de route, voilà que la voiture tombe en panne. Je me mets à la recherche d’une habitation pour demander un peu d’aide. Le premier bâtiment que j’aperçois est une ferme. Quand j’entre dans la cour de celle-ci, mes yeux se portent directement sur ce gros Steyr. Inutile de vous dire que j’ai plus parlé du tracteur que de ma voiture avec l’agriculteur… Il a fallu longuement parlementer avec le propriétaire mais celui-ci a finalement accepté de me le céder. »

Ce tracteur était parfaitement entretenu. Seuls quelques menus travaux de carrosserie se sont révélés nécessaires pour redresser un garde-boue légèrement endommagé.

Des tracteurs qui méritent davantage de reconnaissance

Collectionneur multi-marques et fin connaisseur de ces mécaniques d’antan, que pense Jacques Latour de ces productions autrichiennes ? « Les tracteurs Steyr sont relativement peu répandus dans les collections belges. Il est vrai qu’ils sont plus difficiles à trouver que certaines autres marques, plus largement distribuées dans notre pays. Ils méritent cependant d’être davantage connus car ce sont des engins de très bonne facture. Ils sont robustes, fiables et bien construits. »

Et d’ajouter : « Il ne faut pas hésiter à nouer des contacts hors de nos frontières avec des passionnés de la marque. Les discussions qui en découlent sont souvent enrichissantes. J’ai, par exemple, récemment appris d’un amateur alsacien que Steyr prévoyait le montage d’un compresseur sur chaque trappe de visite des cylindres du moteur. Il était ainsi possible d’installer autant de compresseurs que de cylindres. C’est le genre de solutions astucieuses que j’affectionne. Je ne sais pas comment s’effectuait le montage mais je serais intéressé d’en apprendre davantage sur le sujet et, pourquoi pas, de trouver l’un de ces compresseurs. Ces apprentissages permanents font partie du plaisir du collectionneur ».

D’autres Steyr pourraient-ils rejoindre le hangar de M. Latour ? « Ah oui, c’est tout à fait envisageable ! Le Steyr 84, par exemple, serait une acquisition plaisante. Il s’agit de l’évolution du Steyr 80, dont la puissance a été augmentée à 18 ch. Quelques détails permettent de les distinguer rapidement, notamment les roues arrière de 28’’ et avant de 16’’, plus grandes que celles du 80, ou encore les 10 vis de fixation des tambours de frein, au lieu de 8. Si l’occasion m’était donnée d’en trouver un, je n’hésiterais guère ».

Qui sait, le message étant lancé, peut-être que l’un de nos lecteurs pourra aider M. Latour dans ses recherches. Quoi qu’il en soit, nous le remercions pour son accueil chaleureux et la mise à disposition de ses tracteurs dans le cadre de la rédaction de cet article.

N.H.

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