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Quel État gère?

Inutile de vous le rappeler, notre société vit une époque fort chahutée, secouée dans la plupart de ses compartiments, de ses tiroirs et étagères… L’agriculture wallonne n’échappe pas aux chamboulements tous azimuts, et c’est peu de le dire ! Notre nouvelle PAC est à l’étude auprès de nos gouvernements régionaux, afin de décider à quelle sauce piquante nous serons mangés. Sur nos femmes et hommes politiques wallons, repose la lourde tâche de mettre en musique les partitions européennes. Valse ou tango ? Limbo-twist ou boogie-woogie ? Les paris sont ouverts ! Le monde politique tient notre sort entre ses mains : c’est tout sauf rassurant, quand on voit comment la particratie mange littéralement les débats au sein des hémicycles parlementaires et sur les tables de négociations.

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En principe pourtant, nous vivons en démocratie. Nous avons élu des gens censés représenter et défendre nos désirs et nos intérêts, selon nos affinités gauches-droites ou bien ailleurs. Merveilleuse théorie, mais triste réalité… Une fois nos représentants en place, ce sont eux qui décident et mènent la danse, ou plutôt c’est leur parti politique, lui-même dirigé par un président et sa garde rapprochée. Au final, un tout petit nombre de personnes gouvernent nos destinées : on appelle cela une oligarchie, n’en déplaise à d’aucuns. Les partis sont tout-puissants en Belgique ; les présidents nomment et révoquent les ministres. Si l’un de ceux-ci risque une semelle en dehors de son passage clouté, il est aussitôt tancé par le bureau de son parti, ou carrément « démissionné ». Un ministre MR trop social l’a éprouvé naguère… Les partis font et défont les hommes politiques, impossible d’y échapper. Ils établissent les listes lors des élections, évitant par exemple de placer en bon ordre un candidat susceptible de devenir calife à la place du calife. À ce petit jeu, des idéalistes de grande valeur sont écartés au profit de personnalités mièvres et dociles : le fait est connu et reconnu, surtout visible au niveau local.

Une fois les élections terminées, les partis s’entendent pour former des majorités. Celles-ci dépècent la bête, et chaque groupe s’octroie une part du pouvoir, un domaine particulier. Au niveau wallon, par exemple, le MR de Willy Borsus dispose de l’Agriculture, tandis que l’Écolo Céline Tellier gère l’Environnement. L’ours et la poupée vont devoir s’entendre sur la mise en couleur wallonne d’une nouvelle PAC, plus verte que verte. En clair, le MR et Écolo vont s’occuper de nous, ou plutôt Georges-Louis Bouchez et le duo Maouane-Nollet. De leurs marchandages et compromissions, nous ne saurons jamais rien, car les tractations principales auront lieu en tout petits comités ; les décisions seront prises en « oligarchie restreinte », n’ayez grainte ! « Tu me donnes ça, et tu auras ceci. Tu auras ton million pour construire cela, si tu me laisses un million pour tel projet que tu combats. ». J’exagère à peine.

C’est ainsi que la politique fonctionne, comme dans le Livre de la Jungle : « La force du loup, c’est la meute ; la force de la meute, c’est le loup. ». Avec un loup Alpha en tête de chaque meute, qui domine celle-ci… Un ami conseiller communal m’a raconté une anecdote édifiante. Voici dix ans, sa petite entité du Hainaut était dirigée par 17 élus, avec trois groupes plus ou moins bien représentés. À (8 élus) et B (4 élus) s’étaient alliés pour former une large majorité de 12 conseillers, tandis que le groupe C en minorité se comptait sur les doigts d’une main. Vint sur la table un projet d’implantation sportive, décliné en deux options : soit un terrain de foot, soit une plaine multisport. Avant chaque conseil, les groupes se concertent en interne, afin de dégager une ligne directive et voter à l’unisson afin d’afficher une cohésion de façade. Le groupe C s’est tout de suite prononcé en interne pour la plaine multisport, à l’unanimité (5 voix plaine multisport), car la commune comptait déjà trois terrains de foot et aucune piste d’athlétisme. Au bureau du groupe A (8 conseillers), deux membres forts portaient le projet du terrain de foot ; trois fidèles suiveurs leur ont emboîté le pas, tandis que trois autres préféraient tout de même le projet multisport (5 voix foot, 3 voix plaine multisport) ; sous la pression des chefs, le groupe A décida de voter unanimement lors du conseil pour le projet foot. Le groupe B comptait quatre membres ; deux d’entre eux préféraient une plaine multisport. Mais pour ne pas fâcher le groupe A avec lequel ils formaient la majorité, les quatre conseillers du groupe B acceptèrent cependant de voter tous pour le projet foot. Ainsi, lors du conseil communal officiel, devant la presse locale et les citoyens présents, le projet foot fut adopté avec une belle et large majorité, 12 voix contre 5. En réalité, si les conseillers avaient voté chacun en toute honnêteté, sans être assujettis à leur groupe et leurs leaders respectifs, le résultat aurait été bien différent!! 10 conseillers contre 7 auraient soutenu le projet plaine multisport ! Et on appela cela une décision « démocratique »…

Ce genre de tractation est monnaie courante en politique, à tous les niveaux. Nous sommes dirigés par des marchands de tapis, des gens inféodés à leur parti, à leurs barons et rois. On a beau faire et beau dire, manifester et gueuler, se croire plus malins qu’eux. Pour cette réforme 2022 de la PAC, avec quels choix et compromis les oligarques politiciens vont-ils cette fois dépecer notre agriculture familiale, dans notre Wallonie surendettée ? Arbitrages et restrictions budgétaires ? Greenwashing ? À tous les coups, ils se cacheront derrière les directives européennes. Leurs discours ne sont que messages convenus et lénifiants ; leurs promesses nous infantilisent et nous asservissent, pour notre plus grande honte, à une poignée de dirigeants politiques.

Dans quel État j’erre ?

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