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Comme au temps des Mayas…

Avec une contagieuse obstination, l’espèce humaine répète en boucles les mêmes comportements, les mêmes emportements depuis la nuit des temps. Elle a conquis tout l’espace vital de sa planète, puis appris à cultiver la terre voici 10.000 ans à peine. Au fil des siècles se sont développées de brillantes civilisations, disparues les unes après les autres, le plus souvent empêtrées dans des crises majeures causées en grande partie par la mauvaise conduite de leur agriculture. Un reportage consacré aux Mayas (France 5, 27 janvier) m’a beaucoup interpellé, tant leur déclin présente des similitudes effrayantes avec notre époque contemporaine. Vers 900 après JC, l’extraordinaire civilisation Maya s’éteignit au faîte de sa splendeur, en Amérique Centrale. Démographie urbaine galopante, surexploitation des sols, déforestation, changements climatiques, troubles sociaux, conflits intercités…, anéantirent un mode de vie bien rodé en quelques décennies à peine ! Ces causes ne vous rappellent-elles rien ?

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Tout ce qui touche à l’Histoire est fort intéressant, car découvrir les failles du passé est toujours riche d’enseignement, afin de comprendre le présent et mieux appréhender l’avenir. Les bêtises et les bienfaits d’autrefois devraient nous servir de leçon, en principe. Assyriens, Grecs, Romains, Mongols…, ont commis la même gaffe, à savoir négliger leur agriculture, persuadés que leurs conquêtes allaient garantir facilement l’approvisionnement en nourriture de leur peuple. La très prospère civilisation Maya a dominé l’Amérique Centrale lors du premier millénaire après Jésus-Christ, avant de s’éteindre mystérieusement en moins d’un siècle. Son agriculture était florissante, basée sur le maïs ; ils ne connaissaient pas l’usage de la roue, et tous les travaux étaient manuels, sur des terres riches en humus conquises sur la jungle. Le climat était propice et tout poussait à foison. Puis la déforestation gagna sans cesse du terrain, tandis que les cités états s’agrandissaient de manière exponentielle. La nourriture, amenée à dos d’hommes (!), venait de plus en plus loin ; les parcelles proches des grandes villes recevaient des quantités invraisemblables d’effluents humains, ont découvert des archéologues en analysant les surfaces autrefois cultivées auprès de grandes cités précolombiennes, lesquelles comptèrent chacune jusque 50.000 individus !

Ces terroirs surexploités auraient souffert, selon eux, d’un travail intensif sur une profondeur de 20 à 40 cm. Forte pression démographique, excès d’azote et perte de carbone dans les sols : cela ne vous rappelle-t-il rien ? Sans nul doute, les dignitaires Maya auraient-ils été mieux avisés de bichonner leur agriculture, au lieu de faire construire de grandes pyramides à leur gloire, et d’esquinter leurs paysans dans des guerres idiotes, destinées à capturer des prisonniers pour les sacrifier à leurs dieux. Drôle d’idée ! La déforestation massive aurait, selon les archéologues, modifié profondément le climat de cette région du globe. L’humidité dégagée par la respiration de la jungle attirait les nuages, et la pluie bienfaisante irriguait le maïs, une plante très gourmande en eau. Forêt anéantie, nuages enfuis, soleil brûlant et pluies absentes : finis les beaux maïs ! Sécheresses et canicules, sols pollués et malmenés, légumes trop riches en nitrates, maladies, famines, épidémies : une nuée de malheurs s’est abattue sur ces Mayas fort intelligents pourtant, mais qui refusèrent de remettre en question leur mode de vie. Ils eurent beau arracher les cœurs de leurs prisonniers par milliers, jeter des jeunes filles par charretées en sacrifice dans des puits sans fond, danser et chanter comme des fous autour de leurs idoles, rien n’y fit…

Selon François-René de Chateaubriand (19e siècle) : « Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent. ». Qu’est devenu le Croissant Fertile, berceau de l’agriculture au Moyen-Orient ? Une vaste mosaïque de déserts… Les immenses champs fertiles des Mayas ? Des landes aux sols incultes ; des jungles marécageuses… Pour en arriver là, les dirigeants de ces civilisations disparues ont sans aucun doute souffert de distorsions de perceptions et de pensées, pour ainsi exploiter à mort leurs sols nourriciers. Mais en 2021, nous sommes censés être beaucoup plus malins ! Dans mille ans, dix mille ans, que trouveront chez nous les archéologues du futur ? Comment interpréteront-ils les données qu’ils récolteront ? Positivement, ou négativement ? S’ils explorent l’Ardenne, ils observeront de fortes teneurs en humus dans ce qui fut des prairies ; en région limoneuse, ils seront étonnés par la texture des sols passés mille fois à la moulinette, de leur pauvreté en carbone, de la présence de molécules chimiques indésirables. Qui sait ? Ils seront surpris sans doute en Flandre par les résidus ahurissants des épandages d’effluents d’élevage, et se demanderont comment des millions de cochons et des milliards de volailles furent nourris en ces temps lointains. Pourquoi les Européens du 21e siècle mangeaient-ils tant de viande industrielle et si peu de bonnes denrées ?

Notre civilisation occidentale va-t-elle imploser, elle aussi, sous la pression des dérèglements -climat, pollution, énergie, inégalités, conflits- ? Des gens qui ne savent pas distinguer une houe d’une hache, un chêne d’un peuplier, une fléole d’un ray-grass, une génisse d’un taureau, ont pris en main la destinée de l’agriculture. À l’image des Mayas et d’autres civilisations disparues, ils s’entêtent dans une vision « mythologique » altérée et sacrifient à outrance aux dieux « capitalisme », « industrie », « consumérisme », « progrès technologiques », « digitalisation »… « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, cultivant la terre, font vivre les autres ! ». Cette remarque de Voltaire, glissée malicieusement à l’oreille de son protecteur Frédéric le Grand en 1752, n’a pas pris une ride en 270 ans… L’Histoire se répète en boucles sombres, du Néolitique à nos jours. L’agriculture nourricière constitue une base essentielle, un fondement indispensable à toute civilisation. Aujourd’hui, on fait joujou avec elle, dans nos orgueilleuses nations occidentales. À trop s’en amuser, le bac finit toujours par se retourner sur le cochon, le maïs finit par crever de soif, comme au temps des Mayas…

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