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La coopérative, un choix d’avenir pour la viticulture wallonne

Six créations en dix ans et bientôt sept : le modèle coopératif a « le vin en poupe » en Wallonie et permet de développer un modèle durable d’entreprise qui accorde la priorité à l’équité et à l’égalité, tout en générant des emplois et de la prospérité à long terme. C’est aussi une opportunité de diversification pour les agriculteurs qui le souhaitent.

Temps de lecture : 13 min

C réée en 1895 pour promouvoir le modèle coopératif, l’Alliance coopérative internationale porte la voix des trois millions de coopératives existant dans le monde dont les membres représenteraient 10 à 12 % de la population mondiale ! En Belgique, le SPF Economie donne sur son site web une liste de plus de 650 sociétés coopératives dans tous les secteurs d’activité confondus et rappelle que « l’économie sociale a longtemps été identifiée au sens large comme une alternative à l’économie de marché valorisant un modèle économique destiné à apporter une plus-value sociale et un développement durable à la société plutôt que la recherche du profit. (…)

Son essor a été particulièrement marqué ces vingt dernières années dans un contexte de recherche d’actions porteuses de sens, face à un monde économique perçu comme déshumanisé par une part croissante de la population. Cette redécouverte de l’économie sociale a permis l’émergence récente de nouvelles notions apparentées comme l’entre-preneuriat social, l’entreprise sociale ou l’entrepreneur social. »

La viticulture n’a pas échappé à ce mouvement, du moins en Wallonie, car le nord du pays ne semble pas inspiré par le modèle, mis à part l’expérience de Ghislain Houben et son fils dans Jerom Winery à Saint-Trond.

Engouement du public

On retrouve ces mêmes préoccupations chez Fabrice Collignon, autrefois directeur commercial d’une société privée dans le secteur médical et actuel président du conseil d’administration de la coopérative « Vin de Liège » (VDL).

En 2003, suite à divers contacts avec les milieux altermondialistes et à plusieurs voyages en Afrique avec Médecins sans frontières, il créa avec d’autres l’asbl La Bourrache à Grivegnée qui, outre la promotion de différents types d’agricultures alternatives, avait pour « vocation de donner à des individus en décrochage la possibilité de se restructurer autour d’horaires de travail et de relations humaines dans une équipe de travail (…) et la possibilité de découvrir un nouveau métier » en vue d’un futur emploi.

Réalisant que les terres gérées par l’asbl seraient plus adaptées pour la vigne que pour les légumes, il mène une étude de faisabilité et lance en 2010 la coopérative Vin de Liège, d’abord au cœur de la Cité ardente, ensuite à Heure-le-Romain et Eben-Emael.

Planté sur plusieurs parcelles, le vignoble de VDL compte aujourd’hui 16,5ha certifiés bio depuis le début, c’est aussi le 3e plus important vignoble wallon et le plus grand vignoble de variétés interspécifiques. Son exemple est souvent mis en exergue, car VDL rassemble plus de 2.300 partenaires privés et bénéficie de trois fonds d’investissement wallons, dont Noshaq et W.Alter (ex-Sowecsom).

En novembre dernier, souhaitant augmenter ses capacités de production de 40 % environ, la coopérative a annoncé une augmentation de capital de 1,05 million d’€ afin d’investir dans de nouveaux moyens techniques et proposé l’acquisition de 2.100 parts ordinaires de 500 euros. Alors que l’opération était programmée sur un an, plus de 900 citoyens ont finalement apporté la quasi-entièreté de la somme en une semaine ! L’engouement du public est palpable…

Au-delà de leur participation financière, tous ces coopérateurs font aujourd’hui la force de l’entreprise, car ils en sont les meilleurs ambassadeurs et les premiers aussi à s’investir dans les travaux d’entretien de la vigne ou des vendanges. Et la main-d’œuvre (bénévole) est toujours bienvenue…

Émulation

L’exemple de Vin de Liège a incontestablement inspiré la coopérative « Vin du Pays de Herve » créée en 2017 à Plombières et qui a sorti ses premières bouteilles à l’automne dernier.

À l’origine de ce projet, on trouve Michel Schoonbroodt qui a un passé professionnel dans la gestion d’entreprises. Diplômé de l’Institut d’Administration et de gestion (IAG) de Louvain-la-Neuve, il a partagé sa carrière entre les multinationales et le conseil aux entreprises, plutôt dans les télécommunications ou les biotechnologies, ou plus récemment dans le domaine du logement social où il rencontra notamment Fabrice Collignon…

Parti pour quelques mois dans les Antilles avec la prime de départ de son dernier emploi, il y reste finalement cinq ans. À son retour, il décide de monter un projet de coopérative à responsabilité limitée et à finalité sociale. Plusieurs partenaires le rejoignent pour former un conseil d’administration et des groupes de travail sont lancés pour suivre le projet.

Si la première campagne de crowdfunding a convaincu 550 coopérateurs privés pour un budget de 550.000 euros, quatre ans plus tard, ils sont 150 de plus et le budget total apporté est de 800.000€, auxquels s’ajoutent 200.000€ provenant de W.Alter.

Pour l’heure, la coopérative gère sept parcelles plantées en 2018 et 2019 avec les quatre cépages résistants les plus populaires en Wallonie pour l’instant : Solaris, Johanniter, Muscaris et Souvignier gris. Aucune variété rouge et une production qui se répartit donc entre blancs tranquilles et bulles. Le vignoble est contrôlé par Quality Partner et sera certifié bio pour la récolte 2022.

Moment de vendanges pour la coopérative Vin du Pays de Herve.
Moment de vendanges pour la coopérative Vin du Pays de Herve.

« Créer un domaine vinicole, du raisin jusqu’à la bouteille, est extrêmement coûteux, constate Michel, et il faut atteindre dix hectares pour obtenir une masse critique. Et pour les atteindre, on tombe toujours sur le million minimum… Pour l’instant, nous avons planté 40.000 pieds sur huit hectares, nous allons chercher les deux suivants, dès que notre équipe sera renforcée, car le chef de culture nous a récemment quittés. »

« Plusieurs cas de figure existent : nous achetons un terrain ou nous le louons pendant 27 ans, nous pouvons aussi acheter le raisin, ou même faire le travail de vinification pour eux. Parallèlement à cela, nous proposons aux agriculteurs les plus proches de nous de se diversifier en plantant des vignes sur leur propre terrain (que nous aidons à entretenir) et dont nous achetons la récolte au kilo (±2€/kg). Aujourd’hui, je pense que le projet peut aller plus loin et mettre en avant une région, et aller jusqu’à de l’œnotourisme. »

Deux autres coopératives se sont développées en province de Liège : celle du Domaine de la Bouhouille à Blegny-Trembleur en 2017 et celle du Domaine Bellum Fagetum à Beaufays, en juin 2021.

De la mine aux vignes

L’aventure du Domaine de la Bouhouille démarre il y a 5 ans à l’initiative de Nicolas Ferrara et de son épouse Valérie Scheen, inspirés par la bonne santé de quelques pieds de Schuyler (un cépage résistant canadien) offerts par « Nonno » et plantés en 2001 dans la maison familiale en face de chez eux.

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Ingénieur industriel de formation, rien ne prédestinait Nicolas Ferrara à bosser dans le vin. En 2009, après quatre années passées dans la gestion électrique de stations d’épuration, il décide de rejoindre la marbrerie familiale et de donner également un coup de main aux quatre restaurants de la famille à Barchon et à Visé.

Les premiers essais de vin se révèlent concluants et amènent le couple à planter un premier hectare de Souvignier gris et de Johanniter, avec leurs amis sur un terrain voisin. Pour entretenir et faire évoluer l’activité, la coopérative « Infinity Wine » est créée avec la soeur de Nicolas et son mari, elle attire rapidement une centaine de personnes.

« Aux 110 coopérateurs du début (62.500€) sont venus s’ajouter 106 autres en janvier dernier lors d’une augmentation de capital de 100.000€, précise Nicolas. Chaque part de 250 € donne droit à une exonération fiscale de 40 à 45 % grâce au Tax Shelter ainsi qu’à une remise de 15 à 20 % sur le prix des vins. »

« Tout cela, ajouté aux rentrées de nos tables d’hôte, nous a permis de planter 1,5ha de plus (Regent et Solaris) et d’acquérir plus de matériel pour mieux travailler nos vignes et nos vins. Aujourd’hui, pour compenser les mauvaises années climatiques, nous voulons développer une activité agro-touristique avec six logements insolites au-dessus du nouveau chai et dans les vignes. Nous démarrons cela dès réception des autorisations nécessaires. »

Et Valérie de conclure : « Nous n’aurions pas pu réaliser cela sans la coopérative, c’est un projet d’avenir qui va perdurer avec les générations suivantes, car les enfants qui sont avec nous dans les vignes mettront certainement la main à la pâte dans 10 ans et porteront ce projet peut-être encore plus loin ».

Au Domaine de la Bouhouille, à Blégny, en province de Liège.
Au Domaine de la Bouhouille, à Blégny, en province de Liège.

Avis aux investisseurs

Surplombant les vallées de l’Ourthe et de la Vesdre à Beaufays, le Domaine Bellum Fagetum a été créé en 2021 par Judith Michel et son compagnon Geoffrey Prinsens. Si le couple n’a pas d’expérience agricole ou viticole, Judith Michel a toutefois une expérience de plus de dix ans dans le vin.

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« Je me définis avant tout comme entrepreneure, précise-t-elle d’emblée. J’ai d’abord importé (avec d’autres) des vins effervescents avec la société Opale, racheté la société The Tasting Room spécialisée dans les vins du Nouveau Monde avant « d’habiller » les bouteilles avec des feuilles de plastique avec Sleev’in de 2012 à 2020. L’activité a été arrêtée à cause de la crise sanitaire, sans compter que j’avais des problèmes de conscience avec le plastique. »

« J’ai alors ressenti un grand besoin de me lancer dans un projet proche de la terre, en adéquation avec l’environnement, proche de la maison et des enfants, qui permet de rencontrer des gens, avec un caractère social, avec un petit côté festif pour que ce soit parfait. »

Pour éviter que de nouvelles habitations soient construites derrière chez eux, le couple acquiert progressivement à partir de fin 2020 cinq hectares de terrains derrière leur maison pour un projet qui n’était pas encore défini…

« Un matin, j’ai déclaré que l’on allait planter de la vigne, poursuit Judith. Comme on adore le partage, on a décidé de partir sur une coopérative. Aujourd’hui, nous avons environ 380 coopérateurs pour 640 parts (de 500€) sur les 1.500 que nous souhaitons atteindre. Les premiers 2.000 pieds ont été plantés le 1er mai dernier, les 20.000 suivants le seront dans les prochaines semaines. Une société immobilière a été créée pour acheter les derniers terrains et arriver ainsi à 9 hectares. »

« Nous avons la chance de tout pouvoir faire autour de chez nous, sans déplacement, c’est appréciable. On a bien sûr une grosse pression financière, car c’est un projet à 1,8 million d’euros, hors terrains, mais nous sommes une entreprise sociale, notre but n’est pas de devenir riche. Et ceux qui ne souhaitent pas devenir coopérateurs peuvent tout simplement contribuer au crowdfunding à partir de 10€. »

Premières plantations au Domaine de Bellum Fagetum le 1er mai 2021.
Premières plantations au Domaine de Bellum Fagetum le 1er mai 2021. - © Vanel

Au Domaine BF, la coopérative n’est en effet pas juste une forme de société qui permet de collecter de l’argent. Les coopérateurs ont leur mot à dire et la moitié d’entre eux sont actifs dans les divers comités qui se réunissent au moins tous les 2 mois, en soirée.

« La composante sociale, conclut Judith, s’est aussi imposée à nous. Nous sommes en contact avec une association qui aide les enfants du SAJ et SPJ à assumer leur autonomie et nous allons également contacter les associations de la commune afin d’envisager des collaborations. »

Sirault, le village coopératif

Une des initiatives les plus intéressantes est celle du « Vignoble de Sirault », un petit village situé dans l’entité de Saint-Ghislain, dont la vie a véritablement été transformée par l’aventure viti-vinicole.

Séance d'information dans le chai du Vignoble de Sirault.
Séance d'information dans le chai du Vignoble de Sirault.

« La coopérative a été créée en mars 2018 par onze membres, explique son président Jean-Christophe Vanderelst, le pharmacien du village, réunis par des « on-dit ». J’avais déjà planté des vignes en 2016, cela a incité mon voisin, le docteur Pat Brunin, à planter 200 pieds dans son jardin, puis, un peu plus loin dans le village le journaliste Thierry Vangulick, également dans son jardin, puis Jean-Jules Frécourt, commissaire à Mons. De là, on s’est dit qu’on n’allait pas faire du vin chacun de notre côté et nous avons donc décidé de créer une coopérative pour mettre nos outils en commun et vinifier ensemble dans un chai ensemble. »

Le capital de départ était de 1.855 euros par personne (en référence au classement en 1855 des Grands crus de Bordeaux) et la nouvelle structure a rapidement recruté 200 coopérateurs, chacun investissant 500 à 5.000€, dont 45 % peuvent être récupérés grâce au Tax-Shelter déjà évoqué ci-avant.

« C’est parti comme une flèche, poursuit Jean-Christophe, et la Région wallonne nous a aussi aidés via le Fonds Brasero, aujourd’hui W.Alter, à hauteur de 140.000€ à rembourser après cinq ans. Pour le chai, nous avons fait un leasing immobilier assez flexible. »

Les coopérateurs du Vignoble de Sirault, après la taille des vignes.
Les coopérateurs du Vignoble de Sirault, après la taille des vignes.

Le Vignoble de Sirault se compose aujourd’hui de huit parcelles de cépages résistants réparties dans le village de tailles diverses pour un total de trois hectares environ (Souvignier gris, Johanniter, Muscaris et Cabernet Cortis) supervisés aujourd’hui par un œnologue champenois.

Outre le rassemblement régulier des coopérateurs pour les travaux de la vigne et pour de multiples fêtes, la coopérative organise également un « Apéro au chai » le premier samedi matin du mois qui a autant de succès que le reste. Une vraie plus value pour la petite communauté qui suit l’évolution du vignoble de très près.

Terres de carrière

Le projet du Domaine du Blanc Caillou à Landelies (Montigny-le-Tilleul) a été nourri par Marc Boddaert, fonctionnaire de l’Awex, mais surtout un passionné de viticulture qui possédait dix pieds vignes dans son jardin et qui rêvait d’en planter davantage.

Un étonnant chai creusé la roche pour le Blanc Caillou.
Un étonnant chai creusé la roche pour le Blanc Caillou.

Lors de la dégustation d’une de ses rares bouteilles avec Michel Evrard, directeur de la Carrière des Calcaires de la Sambre, celui-ci lui proposa un terrain de 1,5 hectare disponible derrière la carrière, sur une parcelle composée de terres redéposées par la Carrière au fil des années qu’il a fallu enrichir en matière organique pour aérer le sol et activer la vie microbienne. Et cela a pris ! Une coopérative fut rapidement créée pour récolter les premiers fonds, la Carrière prenant 100 parts et intervenant pour les gros postes de travaux ou, comme en 2019, pour le percement du chai dans la roche surplombant le vignoble.

« Depuis 2018, explique Marc, nous faisons appel au public pour réunir les fonds nécessaires pour l’ensemble du projet dont le budget global s’élève à un demi-million d’euros. Le démarrage a été un peu lent, mais au 1.1.22, nous avons environ 400 coopérateurs qui ont pris 800 parts à 300 ou 315€. Il s’agit d’abord des gens de la commune, mais nous avons aussi des coopérateurs français et un Hollandais qui est déjà venu nous aider. »

« L’information diffusée sur les réseaux sociaux et nos portes ouvertes nous aident beaucoup pour nous faire connaître. Chaque semaine, le samedi matin et le mercredi après-midi, nous organisons des séances de travail avec les bénévoles et nous sommes tout le temps entre 10 et 25 », se réjouit le vigneron.

Deux premiers vins sortiront en mai prochain sous le nom de BlanCaillou, deux blancs tranquilles (« le matériel pour les vins effervescents coûte trop cher », confie Marc) : un assemblage de Johanniter et Souvignier gris pour l’un (±1.000 bouteilles), et de Solaris avec un peu de Johanniter pour le second (±300-350 bt.). Il faudra toutefois se dépêcher pour en acquérir, car chaque coopérateur a droit à deux bouteilles chaque année pendant 20 ans. Et il est encore possible d’acheter des parts…

Le Domaine du Blanc Caillou, un vignoble en collaboration avec la Carrière des Calcaires de la Sambre  qui veut remercier ses voisins en produisant du vin.
Le Domaine du Blanc Caillou, un vignoble en collaboration avec la Carrière des Calcaires de la Sambre qui veut remercier ses voisins en produisant du vin.

Dans la Jeune Province

Si toutes les structures précédentes sont bien implantées, mis à part peut-être Sirault, elles sont toutefois très différentes des coopératives « à la française » où les coopérateurs sont majoritairement des viticulteurs qui ont décidé de mettre leurs raisins dans un pot commun et qui, à l’arrivée, récupèrent soit de l’argent, soit des bouteilles à leur nom ou au nom de la coopérative.

Certaines structures ont des chiffres d’affaires qui donnent le tournis. Plus de 300 millions d’euros pour Vinadeis ou de 200 pour les champagnes Nicolas Feuillatte, pour ne citer que ces deux géants qui font toutefois figure d’exception.

En Belgique, la première coopérative de services pourrait bien voir le jour à la fin de cette année en Brabant wallon, une province qui compte une trentaine de vignerons de toutes tailles qui exploitent environ 55 hectares de vignes, avec de belles locomotives telles que le Domaine de Mellemont, le Domaine W ou le Domaine du Chapitre.

Une dizaine de vignobles ont déjà marqué leur intérêt pour ce projet, notamment pour la production de leurs vins effervescents. Porté par le succès des formations de l’Ifapme Perwez à la gestion d’entreprises viti-vinicoles, le projet a trouvé écho auprès de l’Agence de Développement local de Perwez, et du Gal Culturalité qui a dégagé un financement permettant le lancement d’une étude de faisabilité et la réalisation d’un business plan indispensable. Un projet à suivre.

Marc Vanel

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